La gravité de la crise viticole actuelle, exprimée avec force par les Vignerons Indépendants ou les commentaires affûtés des observateurs du terrain, appelle des réponses urgentes, mais surtout une relecture en profondeur du modèle coopératif viticole. Face à la montée des cessations de paiement, des trésoreries exsangues et des restructurations parfois trop tardives, il est temps de poser les bases d’une stratégie juridique durable et adaptée à l’économie réelle des exploitants et de leurs coopératives.

I. Sauvegarde judiciaire, procédure amiable… des outils à manier avec discernement

La sauvegarde judiciaire, comme l’a rappelé un commentateur lucide, n’est pas un joker, mais un instrument exigeant, encadré par un équilibre juridique délicat : celui entre passif exigible et actif disponible. Elle ne dispense ni d’un devoir d’anticipation, ni d’une gouvernance responsable. Elle peut, au contraire, précipiter la perte de contrôle si elle est engagée tardivement ou mal préparée.

Un accompagnement par un avocat spécialisé est ici indispensable, tant pour sécuriser la déclaration de cessation de paiement que pour ouvrir, le cas échéant, une procédure de sauvegarde véritablement protectrice.

Mais cette réponse judiciaire, aussi utile soit-elle, ne doit pas masquer le sujet de fond : la faiblesse structurelle du haut de bilan coopératif, trop dépendant des banques classiques, trop peu ouvert à l’innovation patrimoniale.

II. Repenser le financement coopératif : titres participatifs, fiducie, véhicules hybrides

Où sont les capitaux patients dans la coopération ? Où sont les outils qui permettent à une coopérative de financer de la R&D, une diversification, ou un projet stratégique sans hypothéquer son autonomie ou pressuriser ses adhérents ?

Voici plusieurs pistes que nous avons mises en œuvre ou que nous proposons à la réflexion :

Titres participatifs et parts à droits renforcés : encore sous-utilisés, ces instruments pourraient être mieux mobilisés, notamment via des mécanismes d’ouverture restreinte à des partenaires stratégiques ou à des adhérents de long terme.

Fiducie de gestion agricole : instrument de protection et de structuration du patrimoine collectif. La fiducie permettrait, par exemple, de sanctuariser certaines recettes issues de la vente de foncier ou de contrats pluriannuels, pour les affecter à un objectif d’investissement ou de solidarité intergénérationnelle.

Filialisation intelligente : en logistique, en commercialisation ou en innovation, certaines coopératives gagneraient à créer des structures filiales, mixtes ou autonomes, pour lever des fonds hors bilan, attirer des compétences et mutualiser les risques.


III. Gouvernance et objets sociaux : des révisions nécessaires

La tension actuelle dans la viticulture coopérative révèle une forme d’essoufflement du modèle statutaire classique :

L’objet social est parfois trop étroit pour permettre l’incubation de projets nouveaux.

Les engagements des adhérents sont démotivants, car ils ne sont ni valorisés ni réversibles de manière sécurisée.

La gouvernance est parfois déconnectée des enjeux opérationnels, notamment sur la trésorerie, les créances, ou les arbitrages fonciers.


Il est temps de réfléchir à une gouvernance fonctionnelle plus agile, à une clarification des droits et obligations des adhérents, et à une révision des statuts pour y intégrer la notion d’intérêt général agricole, d’innovation durable et de transmission.

IV. Coopératives et territoires : vers des pactes inter-structures ?

Pourquoi ne pas imaginer, demain, des alliances territoriales coopératives autour de thématiques comme :

la résilience climatique,

la sobriété énergétique (agrivoltaïsme, autoconsommation),

les débouchés courts ou contractualisés,

la transformation de friches en patrimoine productif mutualisé.


Le droit coopératif offre de nombreux outils pour cela : groupements, unions, conventions inter-coopératives, sociétés mixtes de projet. Encore faut-il les mobiliser.