Cass. soc., 17 sept. 2025, n° 24-10.990, inédit.
La Cour de cassation précise que, lors de l’organisation d’un vote électronique pour l’élection des membres du comité social et économique (CSE), chaque salarié doit disposer en amont du scrutin d’une notice d’information détaillée sur le déroulement des opérations électorales, laquelle peut être communiquée par tout moyen.
Si la Haute juridiction admet la liberté des modalités de diffusion, elle confirme que le juge du fond peut légitimement en déduire que l’affichage seul ne suffit pas à garantir l’accès effectif de chaque salarié à l’information.
L’arrêt consacre ainsi une exigence d’effectivité de l’information électorale tout en maintenant un contrôle juridictionnel allégé, et rappelle la gratuité du contentieux des élections professionnelles.
La numérisation des relations collectives de travail a profondément transformé les procédures électorales au sein des entreprises et des groupes, notamment dans les structures rurales et coopératives où la dispersion géographique du personnel rend le vote électronique particulièrement adapté.
Encore faut-il que ce mode de scrutin respecte les principes fondamentaux du droit électoral professionnel : égalité des électeurs, sincérité du vote et transparence des opérations.
Dans ce contexte, l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 17 septembre 2025 apporte une précision bienvenue sur la mise à disposition de la notice d’information prévue à l’article R. 2314-12 du Code du travail :
chaque salarié doit disposer, avant le scrutin, d’une information complète et accessible, mais l’employeur reste libre du moyen employé pour la transmettre.
À la suite de la décision de recourir au vote électronique pour l’élection des membres du CSE, l’employeur avait affiché sur le lieu de travail une note d’organisation exposant les modalités du scrutin, puis adressé quelques semaines plus tard une notice d’information par courrier électronique et postal.
Des organisations syndicales ont contesté la régularité de cette communication, estimant que tous les électeurs n’avaient pas disposé, en temps utile, d’une notice individuelle.
Le tribunal judiciaire de Nanterre, statuant selon la procédure accélérée au fond, avait enjoint à l’employeur de remettre individuellement la notice à l’ensemble des salariés inscrits sur les listes électorales, et de repousser le premier tour de quinze jours à compter de cette remise.
La société forma un pourvoi, invoquant la violation de l’article R. 2314-12 du Code du travail, au motif que ce texte ne prévoit aucune modalité particulière de communication.
La question posée à la Cour de cassation portait sur la portée de l’obligation d’information prévue par le Code du travail :
l’employeur est-il tenu d’une remise individuelle de la notice à chaque électeur, ou suffit-il qu’elle soit portée à la connaissance de tous par tout moyen ?
L’enjeu pratique est considérable, notamment pour les groupes de grande taille et les entreprises à établissements multiples, où la preuve de l’information effective de chaque salarié peut s’avérer délicate.
Analyse
1. L’obligation d’information individuelle préalable
L’article R. 2314-12 du Code du travail dispose que « chaque salarié dispose d’une notice d’information détaillée sur le déroulement des opérations électorales ».
La Cour confirme que cette notice doit être fournie en amont du scrutin, afin de garantir la loyauté du processus électoral et le droit de chaque salarié à un vote éclairé.
Elle s’inscrit ainsi dans la lignée d’une jurisprudence constante exigeant que les opérations électorales se déroulent dans des conditions de transparence et d’égalité
La décision rejoint également la délibération n° 2019-053 de la CNIL du 25 avril 2019, qui impose une communication « en temps utile » du fonctionnement du système de vote, distincte de l’information sur les traitements de données personnelles.
2. La liberté de la modalité de communication : une souplesse encadrée
La Cour énonce clairement que la notice peut être communiquée par tout moyen, consacrant la liberté de l’employeur quant au vecteur de transmission (affichage, intranet, courriel, courrier postal, remise en main propre).
Cependant, en approuvant le tribunal pour avoir jugé que le simple affichage ne permettait pas de garantir que chaque salarié ait disposé de la notice, la Cour subordonne cette liberté à la preuve de l’accès effectif à l’information.
Autrement dit, si la modalité est libre, le résultat ne l’est pas :
l’employeur doit être en mesure de démontrer que l’ensemble des électeurs ont eu communication de la notice, par un moyen traçable (accusé de réception électronique, signature, courrier nominatif).
Cette position, cohérente avec les exigences de sécurité et de fiabilité propres au vote électronique, impose une vigilance accrue dans la gestion documentaire des opérations électorales.
3. Le contrôle léger de la Cour de cassation : souveraineté du juge du fond
En retenant la formule classique « le tribunal judiciaire a pu en déduire », la Haute juridiction marque les limites de son contrôle : elle ne substitue pas son appréciation des faits à celle des juges du fond, lesquels disposent d’une marge souveraine pour apprécier si l’information a été effectivement donnée à tous les salariés.
Ce contrôle minimal permet d’éviter une rigidité excessive, mais laisse subsister un risque de divergence d’appréciation entre tribunaux, selon la rigueur de la preuve apportée par l’employeur.
4. La cassation partielle : rappel du principe de gratuité du contentieux électoral
La cassation partielle, limitée au chef des dépens, illustre la vigilance de la Cour sur le respect du principe de gratuité du contentieux des élections professionnelles.
En effet, l’article R. 2314-25 du Code du travail, issu du décret n° 2019-966 du 18 septembre 2019, dispose que le tribunal judiciaire statue « sans frais ni forme de procédure ».
Cette précision réaffirme la nature protectrice de ce contentieux, conçu pour garantir l’exercice effectif du droit syndical sans contrainte économique.
Conclusion
L’arrêt du 17 septembre 2025 clarifie utilement le cadre juridique du vote électronique :
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la notice d’information constitue un élément substantiel du processus électoral ;
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sa communication effective à chaque salarié relève d’une obligation de résultat, tandis que le choix du moyen de diffusion reste libre ;
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l’employeur doit, en pratique, assurer la traçabilité de la communication, faute de quoi le scrutin pourrait être annulé.
Pour les structures de groupe, notamment coopératives agricoles et agroalimentaires, cette jurisprudence incite à formaliser les procédures internes de communication électorale : archivage des envois, signature électronique, ou double canal (affichage + e-mail nominatif).
L’arrêt, bien que non publié, s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle visant à sécuriser la démocratie sociale à l’ère numérique : la liberté technologique demeure, mais la transparence reste la boussole.
Bibliographie et références
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C. trav., art. L. 2314-26, R. 2314-5, R. 2314-12 et R. 2314-25.
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CNIL, délib. n° 2019-053, 25 avr. 2019, rel. au vote électronique dans les entreprises.
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Cass. soc., 13 janv. 2021, n° 19-23.533.
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J.-F. Weber, « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile », Bull. d’information de la Cour de cassation, n° 702, 15 mai 2009.
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