Portée d'un protocole d'accord

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 23-21.410
  • ECLI:FR:CCASS:2025:C300564
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 27 novembre 2025

Décision attaquée : Cour d'appel de Noumea, du 22 mai 2023

Président

Mme Teiller (présidente)

Avocat(s)

SAS Buk Lament-Robillot, SCP Delamarre et Jehannin, SCP Richard

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 27 novembre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 564 F-D

Pourvoi n° X 23-21.410



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 NOVEMBRE 2025


La société Impex Nouvelle-Calédonie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° X 23-21.410 contre l'arrêt rendu le 22 mai 2023 par la cour d'appel de Nouméa (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Ingénierie-prospection-assistance-construction (IPAC), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en liquidation judiciaire,

2°/ à la société Le Nickel, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société Pétrole industrie développement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], en liquidation judiciaire,

4°/ à la société ETTM centre, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7],

défenderesses à la cassation,

En présence de :

1°/ la socété Alliance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [N] [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ingénierie- prospection-assistance-construction,

2°/ la société Mary-Laure Gastaud, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Pétrole industrie développement,

La société Mary-Laure Gastaud, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Pétrole industrie développement, a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseillère, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Impex Nouvelle-Calédonie, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la société ETTM centre, de la SCP Richard, avocat de la société Mary-Laure Gastaud, ès qualités, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, Mme Foucher-Gros, conseillère rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à la société Impex Nouvelle-Calédonie (la société Impex NC) de sa reprise d'instance contre la société Alliance, prise en la personne de M. [N] [R], en sa qualité de liquidateur de la société Ingénierie- prospection-assistance-construction (la société IPAC).




Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué, et les productions (Nouméa, 22 mai 2023), la société Le Nickel (le maître de l'ouvrage) a confié à la société Pétrole industrie développement (le maître d'oeuvre) la réalisation de « travaux d'ingénierie », destinés à mettre en conformité le système de défense contre l'incendie des unités de stockage du fuel lourd de son usine.

3. Le maître d'oeuvre a sous-traité certaines missions préalables aux travaux à la société IPAC (le sous-traitant).

4. Est intervenu à l'opération pour le lot 1 « Génie civil et structure métallique » un groupement d'entreprises dont les sociétés Impex NC et ETTM centre.

5. Le maître de l'ouvrage, se plaignant d'un désamorçage des pompes et d'une mise en défaut complète du système lors d'essais, a, après expertise, assigné les intervenants à l'opération en indemnisation.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en ses quatrième et sixième branches, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa deuxième branche du pourvoi incident

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Impex NC fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec le maître d'oeuvre et le sous-traitant, à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme et de répartir la dette entre le maître d'oeuvre à hauteur de 50 %, le sous-traitant à hauteur de 5 %, la société Impex NC à hauteur de 15 % et la société ETTM centre à hauteur de 30 %, alors :

« 1°/ que le juge qui doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office que la société Impex NC avait manqué à son devoir de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage en ne l'alertant pas sur le problème d'altimétrie des tuyaux d'alimentation en eau quand le maître de l'ouvrage et la société PID ne lui reprochaient rien d'autre, à cet égard, qu'un défaut d'exécution des travaux dans les règles de l'art sans avoir soutenu un véritable moyen tendant à faire valoir un manquement à son devoir de conseil du maître de l'ouvrage, la cour d'appel qui n'a pas mis les parties à même de discuter ce fondement de responsabilité, a violé l'article 16 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

2°/ que l'obligation de conseil de l'entrepreneur ne peut être recherchée en dehors du champ sa mission telle qu'elle est définie par le marché ; que dès lors en retenant, pour considérer que la responsabilité contractuelle de la société Impex NC était engagée à l'égard du maître de l'ouvrage, que si sa mission consistait, en ce qui concerne l'installation de pompage de l'eau de mer, à poser et assembler deux collecteurs d'une longueur de 125 m, deux vannes murales et deux regards, tandis que les travaux de génie civil devaient être exécutés par la société ETTM centre, la société Impex NC connaissait la finalité de travaux qui lui étaient confiés et était donc débitrice d'une obligation de conseil lui imposant de s'assurer que les collecteurs étaient bien totalement immergés, qu'elle ne pouvait donc se désintéresser de la hauteur d'implantation des collecteurs et devait attirer l'attention de la société SLN sur les conséquences d'une erreur d'altimétrie, la cour d'appel, qui a imposé à la société Impex NC une obligation de conseil excédant les limites de sa mission, a violé, ensemble, les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel, devant laquelle le maître de l'ouvrage invoquait les fautes de tous les intervenants au regard de leurs obligations contractuelles ou quasi-contractuelles, a relevé que les désordres affectant l'installation de pompage étaient causés notamment par une erreur d'altimétrie affectant les collecteurs d'eau que la société Impex NC était chargée de poser et d'assembler, que celle-ci connaissait la finalité des travaux et qu'il résultait du cahier des clauses générales du marché de travaux que les plans remis au groupement d'entreprises par le maître de l'ouvrage ne constituaient pas des documents «bons pour construction» et qu'il appartenait à l'entrepreneur de les modifier si nécessaire.

9. Elle a pu retenir, sans relever aucun moyen qui n'ait été dans le débat, que, nonobstant la ventilation des tâches entre les membres du groupement, il incombait à la société Impex NC, chargée de l'installation de pompage, tandis que la société ETTM centre était chargée des travaux de génie civil, de s'assurer que les collecteurs étaient complément immergés, ainsi que le prévoyaient les plans qui lui avaient été remis, et d'appeler l'attention du maître de l'ouvrage sur les conséquences d'une erreur d'altimétrie et, que faute pour elle d'y avoir satisfait, elle avait engagé sa responsabilité contractuelle envers le maître de l'ouvrage.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, rédigés en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

11. Par son moyen, la société Impex NC fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec le maître d'oeuvre et le sous-traitant, à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme et de répartir la dette entre le maître d'oeuvre à hauteur de 50 %, le sous-traitant à hauteur de 5 %, la société Impex NC à hauteur de 15 % et la société ETTM centre à hauteur de 30 %, alors « que dans les groupements d'entreprises non solidaires, chacun des membres du groupement qui s'engage à réaliser sa partie de travaux n'est responsable que de sa part de prestations et ne peut faire l'objet d'une condamnation solidaire ou in solidum du seul fait de sa qualité de membre du groupement, quand bien même sa faute aurait contribué au préjudice global du maître de l'ouvrage ; que dès lors en retenant, pour condamner la société Impex NC in solidum avec les sociétés PID, IPAC à payer à la société SLN la somme de 372 000 000 F CFP en réparation de son préjudice global, que la clause qui prévoyait que les parties agissaient « non solidairement dans le cadre du présent contrat » « n'interdit pas au maître de l'ouvrage de réclamer à la société Impex NC la réparation de son entier préjudice si sa faute a concouru avec celles d'autres intervenants à un même dommage », la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

12. Par son moyen, la société Mary-Laure Gastaud, en sa qualité de mandataire liquidateur du maître d'oeuvre, fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Impex NC et le sous-traitant, à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme, puis de repartir la dette entre le maître d'oeuvre à hauteur de 50 %, le sous-traitant à hauteur de 5 %, la société Impex NC à hauteur de 15 % et la société ETTM centre à hauteur de 30 %, alors « que dans les groupements d'entreprises non solidaires, chacun des membres du groupement qui s'engage à réaliser sa partie de travaux n'est responsable que de sa part de prestations et ne peut faire l'objet d'une condamnation solidaire ou in solidum du seul fait de sa qualité de membre du groupement, quand bien même sa faute aurait contribué au préjudice global du maître de l'ouvrage ; que dès lors en retenant, pour condamner la société PID, in solidum avec les sociétés Impex NC et IPAC à payer à la société SLN la somme de 372 000 000 FCFP en réparation de son préjudice global, que la clause qui prévoyait que les parties agissaient « non solidairement dans le cadre du présent contrat » n'interdisait pas au maître de l'ouvrage de réclamer à chacun des membres du groupement la réparation de son entier préjudice si sa faute avait concouru avec celles d'autres intervenants à un même dommage, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

13. La clause de non solidarité stipulée dans une convention de groupement d'entreprises ne fait pas obstacle à la condamnation de l'un des membres du groupement, in solidum avec d'autres intervenants non membres de celui-ci, à raison de ses fautes personnelles, dès lors que celles-ci ont indissociablement concouru, avec les fautes de ces autres intervenants, à l'entier dommage du maître de l'ouvrage.

14. Les moyens, qui postulent le contraire, ne sont donc pas fondés.

Mais sur le moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident, rédigés en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

15. Par son moyen, la société Impex NC fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'il résulte du protocole conclu entre le maître de l'ouvrage et la société ETTM centre le 23 décembre 2020 et régulièrement versé aux débats, que le maître de l'ouvrage avait renoncé à agir en responsabilité contre cette société dans le présent litige en contrepartie du versement d'une indemnité ; que dès lors en condamnant in solidum les seules sociétés Impex NA, PID et IPAC à payer au maître de l'ouvrage la somme de 372 000 000 F CFP, soit l'intégralité du préjudice évalué par l'expert, sans tenir compte de la somme que la société ETTM centre avait d'ores et déjà versée dans le cadre de la transaction conclue avec le maître de l'ouvrage, laquelle venait en réduction de son préjudice, la cour d'appel a violé l'article 2051 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime. »

16. Par son moyen, la société Mary-Laure Gastaud, ès qualités, fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'il résulte du protocole conclu entre le maître de l'ouvrage et la société ETTM centre le 23 décembre 2020 et régulièrement versé aux débats, que le maître de l'ouvrage avait renoncé à agir en responsabilité contre cette société dans le présent litige en contrepartie du versement d'une indemnité ; que dès lors, en condamnant in solidum les seules sociétés Impex NC, PID et IPAC à payer à la société SLN la somme de 372 000 000 FCFP, soit l'intégralité du préjudice évalué par l'expert, sans tenir compte de la somme que la société ETTM centre avait d'ores et déjà versée dans le cadre de la transaction conclue avec la société SLN, laquelle venait en réduction de son préjudice, la cour d'appel a violé l'article 2051 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime :

17. Pour condamner, la société Impex NC et le maître d'oeuvre in solidum entre eux et avec le sous-traitant au paiement d'une certaine somme, l'arrêt retient que cette somme représente le coût des travaux de reprise.

18. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que le maître de l'ouvrage avait, en cause d'appel, abandonné ses prétentions à l'encontre de la société ETTM centre, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s'il ne résultait pas du protocole conclu entre le maître de l'ouvrage et la société ETTM centre que cet abandon avait pour contrepartie le versement par celle-ci d'une indemnité diminuant d'autant le préjudice du maître de l'ouvrage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation prononcée sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident rend sans objet l'examen du moyen, pris en sa septième branche, du pourvoi principal et du moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi incident qui attaquent le même chef de dispositif.

20. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif répartissant la dette entre le maître d'oeuvre, le sous-traitant et les sociétés Impex NC et ETTM centre et condamnant la société ETTM centre à garantir le sous-traitant à hauteur de 30 % des condamnations mises à sa charge au profit de la société SLN, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

21. Elle ne s'étend pas, en revanche, aux dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles d'appel, justifiés par des motifs non critiqués.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à la somme de 372 000 000 euros la somme que les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et Impex NC sont condamnées in solidum à payer à la société SLN, fixe le partage de responsabilité entre les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC, Impex NC et ETTM centre et condamne la société ETTM centre à garantir la société IPAC à hauteur de 30 % des condamnations mises à sa charge au profit de la société SLN, l'arrêt rendu le 22 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa, autrement composée ;

Condamne la société Le Nickel aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-sept novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300564

Publié par ALBERT CASTON à 17:04  

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