Prescription de l'action engagée par l'entreprise principale contre l'assureur du sous-traitant

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 23-22.017
  • ECLI:FR:CCASS:2025:C300565
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 27 novembre 2025

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, du 19 septembre 2023

Président

Mme Teiller (présidente)

Avocat(s)

SARL Le Prado - Gilbert, SCP Duhamel

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 27 novembre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 565 F-D

Pourvoi n° H 23-22.017






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 NOVEMBRE 2025


La société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-22.017 contre l'arrêt rendu le 19 septembre 2023 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Leroy Merlin France, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseillère, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société MAAF assurances, de la SCP Duhamel, avocat de la société Leroy Merlin France, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, Mme Foucher-Gros, conseillère rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 19 septembre 2023), la société Leroy Merlin France (l'entreprise principale) a confié à un sous-traitant, assuré auprès de la société MAAF assurances, des travaux de pose de poêles et d'inserts chez ses clients.

2. Au cours de l'année 2012, l'entreprise principale a mis en garde ses clients contre le danger que pouvait présenter l'utilisation des installations réalisées par son sous-traitant et a déclaré plusieurs sinistres auprès de son assureur.

3. Après plusieurs expertises amiables réalisées en 2013 et 2014, l'entreprise principale, soutenant que les désordres qui affectaient les installations réalisées par son sous-traitant étaient de nature décennale, de sorte qu'ils relevaient de la garantie de la société MAAF assurances, a, le 25 octobre 2017, assigné celle-ci en paiement de certaines sommes correspondant à celles versées à ses clients.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société MAAF assurances fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de l'entreprise principale et, en conséquence, de la condamner à lui payer certaines sommes, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que la prescription commence donc à courir à compter de la connaissance suffisante du dommage par la victime, sans qu'il soit nécessaire que cette dernière ait une connaissance entière du dommage, ni a fortiori de la solution réparatoire ; qu'en fixant néanmoins le point de départ de la prescription à la date du dernier des rapports d'expertise amiable du 6 janvier 2014, au motif que la société l'entrepreneuse principale n'avait été « pleinement informée des désordres imputables à son sous-traitant et du montant total des travaux de reprise qu'elle aurait à avancer qu'avec le dépôt de ce dernier rapport », la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Ayant énoncé, à bon droit, que l'action engagée par l'entreprise principale contre l'assureur du sous-traitant en paiement des sommes versées aux tiers lésés était soumise au délai quinquennal de prescription prévu à l'article 2224 du code civil, et souverainement retenu que ce n'était que par le dernier rapport d'expertise du 6 janvier 2014 qu'elle avait été pleinement informée du montant total des sommes qu'elle aurait à avancer, la cour d'appel a exactement retenu que l'action formée le 25 octobre 2017 avait été introduite avant l'expiration du délai quinquennal de prescription.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

7. La société MAAF assurances fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'entreprise principale certaines sommes, alors « que tout jugement doit être motivé et que le juge ne peut statuer par une simple affirmation dépourvue de tout raisonnement juridique ne traduisant pas le travail d'analyse du juge ; que la cour d'appel a retenu que la MAAF était tenue de garantir l'entrepreneuse principale du préjudice résultant des désordres imputables à son assuré, le sous-traitant, relevant de sa responsabilité décennale ; qu'en se bornant, pour statuer ainsi, à relever que la réception des ouvrages, expresse ou tacite, avait été effectuée sans réserves et le prix payé par le maître de l'ouvrage, sans préciser quels chantiers auraient fait l'objet d'une réception expresse ou tacite, ni quels éléments lui permettaient pour chacun d'eux de parvenir à l'un ou l'autre constat, la cour d'appel, qui a statué par des motifs généraux et imprécis insusceptibles de mettre la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que le sous-traitant était intervenu entre les années 2007 et 2011, que la mise en garde que l'entreprise principale avait adressée à ses clients ne l'avait été qu'une année plus tard, que de nombreux dossiers comportaient un bon de réception et que tous les travaux avaient été payés par les maîtres de l'ouvrage, la cour d'appel a pu déduire de ces motifs, qui ne sont ni généraux ni imprécis, que tous les travaux réalisés avaient fait l'objet d'une réception, expresse ou tacite.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

10. La société MAAF assurances fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'entreprise principale certaine sommes, alors :

« 1°/ que la responsabilité du sous-traitant à raison de son obligation de résultat à l'égard de l'entrepreneur principal ne peut être engagée qu'au titre des désordres affectant les prestations qu'il a réalisées, ce dont la preuve incombe à l'entrepreneur principal qui met en cause sa responsabilité dans ces désordres ; qu'en se bornant à déclarer qu'il résultait des rapports d'expertise amiables non contradictoires versés aux débats par l'entrepreneuse principale, corroborés par les courriers de réclamation de certains clients, les factures des travaux préconisés par les experts amiables, l'absence de réclamation après la réalisation des travaux de reprise et les transactions conclues par l'entrepreneuse principale avec certains clients, que son sous-traitant, n'avait pas réalisé les travaux confiés dans les règles de l'art ni respecté les distances de sécurité en la matière et qu'il avait manqué à son obligation de résultat et engagé sa responsabilité à l'égard de l'entrepreneuse principale, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les documents produits par l'entrepreneuse principale étaient de nature à établir que les prestations dont la cour d'appel relevait l'irrégularité avaient été réalisées par le sous-traitant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;

3°/ que la cour d'appel qui infirme un jugement, doit réfuter les motifs des premiers juges par des motifs propres, en eux-mêmes ou explicitement, contraires à ceux du jugement ; que pour considérer que les désordres dont l'entrepreneuse principale demandait réparation étaient imputables à une intervention défectueuse de M. [G], dont elle a reconnu la qualité de sous-traitant de la société Leroy Merlin France, la cour d'appel s'est bornée à énumérer les pièces produites par l'entrepreneuse principale pour chacun des chantiers en cause et a considéré que les rapports d'expertise amiable non contradictoire qu'elle produisait établissaient l'irrespect des règles de l'art et des distances par le sous-traitant sur ces chantiers ; qu'en statuant ainsi, sans réfuter les motifs du jugement infirmé sur ce point, qui retenait que, tandis que la mise en cause de la responsabilité du sous-traitant supposait que soit déterminées les prestations qui lui avaient été confiées, à l'exception de six dossiers, les autres comportaient seulement la facture du sous-traitant sans détail des prestations, ou seulement le procès verbal de réception, traduisant certes une intervention matérielle du sous-traitant mais ne permettant pas de déterminer l'étendue des prestations qui lui avaient été confiées, outre qu'aucun dossier ne comportait la demande d'intervention prévue au contrat de base de sous-traitance et que la plupart ne comportaient pas de facture du sous-traitant ou son devis, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon le premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts à raison de l'inexécution de son obligation.

12. En application du second, la cour d'appel qui infirme un jugement doit réfuter les motifs des premiers juges par des motifs propres, en eux même ou explicitement, contraires à ceux du jugement.

13. Pour condamner l'assureur du sous-traitant à payer certaines sommes à l'entreprise principale, l'arrêt retient que les rapports d'expertise qui se corroborent entre eux, et qui sont encore corroborés par les courriers de réclamation de clients, les transactions avec certains de ces derniers et l'absence de réclamation postérieure aux travaux de reprise établissent le manquement du sous-traitant à son obligation de résultat.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si les documents produits par l'entreprise principale établissaient que les dommages résultaient d'une prestation réalisée par le sous-traitant, ni réfuter les motifs contraires du jugement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du premier texte susvisé et n'a pas satisfait aux exigences du second.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'action de la société Leroy Merlin France, l'arrêt rendu le 19 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société Leroy Merlin France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-sept novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300565

Publié par ALBERT CASTON à 17:11  

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