Selon une étude de l’INSEE, les français passaient en moyenne 38.9 heures par semaine sur leurs lieux de travail en 2022. Reporté à une journée, ce temps équivaut à plus de 7 h45 par jour au travail (sur la base d’une semaine de 5 jours). Forcément, des liens se créent entre collègues, qui deviennent rapidement les quelques personnes que nous côtoyons tous les jours et qui font désormais partie de notre quotidien. Si les relations amicales sont largement acceptées en entreprise, et même encouragées par les agents de ressources humaines, les employeurs se montrent toutefois beaucoup plus réticents lorsqu’il est question de relations amoureuses.
Un arrêt retentissant à ce sujet a fait grand bruit en doctrine, et dans le monde des ressources humaines, lors de sa publication le 29 mai 2024. Dans cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation a validé le licenciement pour faute grave d’un directeur des ressources humaines, dont le contrat avait été rompu pour avoir dissimulé à son employeur la relation amoureuse qu’il entretenait avec une représentante syndicale de l’entreprise (Cass., Soc, 29 mai 2024 n°22-16.218). La dissimulation d’une relation amoureuse à son employeur peut, ainsi fonder un licenciement.
Maître Johan Zenou expert en droit social vous évoque le respect de la vie privée en entreprise (I), ensuite il vous fera part des dérogations au principe d’interdiction du licenciement (II) et pour finir si les relations amoureuses sont protégées par le droit de la vie privée (III).
I. Le principe : l’interdiction du licenciement fondé sur un motif tiré de la vie privé
En France, le licenciement d’un salarié ne peut être fondé sur un motif tiré de sa vie privée. Cette règle, posée par plusieurs arrêts fondateurs de la Cour de cassation (Cas. Soc., 20 novembre 1991 ; n°89-44.605 ; Cass. Soc. 9 juillet 2002 n°00-45.068), revête, en effet, le caractère d’un principe cardinal du droit du travail.
Le droit au respect à la vie privée est, ainsi, garanti par de nombreux textes de loi ainsi que par des normes supra-législatives, tels que l’article 9 du Code civil ou l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH).
Les relations amoureuses, en ce qu’elles relèvent de l’intimité de vie des salariés et de leur vie privée, sont donc, en principe, protégés par ces dispositions. En sus, la consécration du droit au respect à la vie privée et familiale dans la CESDH élève ce dernier au rang de droit fondamental, et lui confère, par la même, une force juridique importante.
Par conséquent, tout licenciement qui est prononcé sur le fondement d’une liberté fondamentale, le droit à la vie privée et familiale dans le cas d’une relation amoureuse, est, en principe, sanctionné par la nullité du licenciement (al. 1, 1°, article L. 1235-3-1 Code du travail).
II. Les dérogations au principe d’interdiction du licenciement fondé sur un motif tiré de la vie privé
Si le principe est clair, il est, toutefois, accompagné de quelques dérogations très précises. Il est important de noter que la Cour de cassation n’admet ces exceptions que si l’atteinte aux droits et aux libertés individuelles (en l’espèce, l’atteinte au droit à la vie privée) est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but poursuivi (article L1121-1 du Code du travail).
Les exceptions à l’interdiction de licencier un salarié en raison d’un fait tiré de sa vie personnel sont les suivants :
- Lorsque le fait de vie privée qui fonde le licenciement constitue un manquement à une obligation du contrat de travail. C’est notamment le cas lorsque ladite obligation est une obligation de sécurité, de probité ou de loyauté.
- Lorsque le fait de vie privée crée un trouble objectif caractérisé dans l’entreprise. Ce motif a, par exemple, été retenu, dans le cas où un salarié a été licencié en raison de sa condamnation pour viol sur un enfant.
- En effet, si une condamnation pénale, relève du droit à la vie privée du salarié et ne peut fonder un licenciement, celui-ci a été validée car la mère de la victime était également salariée de l’entreprise, ce qui avait obligé l’employeur à intervenir à plusieurs reprises pour calmer la propagation de rumeurs, ainsi qu’à mettre en place une cellule psychologique dans l’entreprise.
- Dès lors, le licenciement prononcé en se fondant sur ladite condamnation a été considéré comme justifié, puisque la condamnation pénale du salarié créait un trouble objectif dans l’entreprise.
Le cas singulier de l’arrêt du 29 mai 2024 (Cass., Soc, 29 mai 2024 n°22-16.218)
Dans un arrêt du 29 mai, la Cour de cassation a retenu que le licenciement prononcé en raison de la dissimulation d’une relation amoureuse qu’entretenait un DRH avec une salariée titulaire d’un mandat de représentation syndicale et de représentation du personnel était justifié (Cass., Soc, 29 mai 2024 n°22-16.218). Cette décision inédite paraît, toutefois, proportionnée au regard des fonctions exercés par les deux salariés ainsi que par les éventuels conflits d’intérêts qui pourraient en résulter.
En effet, il convient de rappeler que le salarié licencié était chargé de la direction des ressources humaines. Pour rappel, les agents de ressources humaines ont pour mission la négociation des accords collectifs avec les syndicats représentatifs de l’entreprise. Ces agents agissent au nom de l’employeur, tandis que les syndicats portent la voix des salariés lors des négociations. En l’espèce, les deux salariés représentaient respectivement les deux camps qui s’affrontent lors de ces négociations.
Il faut aussi noter que les accords collectifs ont une importance capitale dans la vie de l’entreprise puisqu’ils permettent de négocier les primes, les salaires minimaux, les avantages des salariés… Ainsi, un DRH entretenant une relation avec une représentante syndicale et du personnel crée un conflit d’intérêts indéniable en raison de la nature des fonctions des deux salariés.
L’arrêt précise, en effet, que la salariée avait notamment prit part à plusieurs mouvements de grèves et d’occupation d’un des établissements de l’entreprise, alors que le DRH est, lui, charger de renouer le dialogue avec les grévistes afin de parvenir à un accord. Pour justifier le licenciement du salarié titulaire de fonctions de directions des ressources humaines dans l’entreprise, l’employeur avait, ainsi, invoquer un manquement du salarié à son obligation de loyauté, qui constitue une de ses obligations contractuelles.
L’employeur a estimé que la dissimulation d’une relation amoureuse, avec une représentante du personnel et représentante syndicale constituait un acte de déloyauté, en raison de la nature des fonctions professionnelles des deux salariés, ce qui pourrait affecter le bon exercice des fonctions du salarié licencié. La Cour a validé ce raisonnement en affirmant que le manquement du salarié à son obligation de loyauté rendait impossible le maintien de ce dernier dans l’entreprise.
Ainsi, si cette décision peut paraître démesurée, au premier abord, le conflit d’intérêt évident qui en résulte permet de saisir la subtilité de sa portée. C’est bien, ici, en raison du lien avec le bon fonctionnement de l’entreprise que le licenciement est jugé justifié par une cause réelle et sérieuse.
III. Les relations amoureuses, protégées par le droit au respect de la vie privée des salariés ?
Si l’arrêt du 29 mai 2024 fait jurisprudence, il convient de souligner que c’est en raison de la corrélation entre la relation amoureuse et la nature des fonctions occupées par les deux protagonistes que le licenciement a été justifié. Il va sans dire que les relations amoureuses qui ne causent aucun préjudice à la société et qui ne constituent ni un manquement à une obligation contractuelle, ni un trouble objectif caractérisé dans l’entreprise, ne peuvent valablement servir de fondement à un licenciement.
Autrement dit, aucune sanction ne peut être prise par un employeur en raison d’une relation amoureuse entre deux salariés qui ne peut être rattachée à la vie de l’entreprise.
A ce titre, tout licenciement prononcé sur ce motif se verrait sanctionné de la nullité du licenciement. En effet, puisque les relations amoureuses font partie de la vie privée des salariés, ces derniers sont protégés par le droit fondamental à la vie privée et familiale garantie par l’article 8 de la CESDH. Par conséquent, conformément à l’article L1235-3-1 du Code du travail, les licenciements pris en violation d’une liberté fondamentale sont nuls.
Le régime de la nullité du licenciement est un régime très protecteur du salarié. Il s’applique à titre exceptionnel, uniquement en cas violation de libertés fondamentales, de faits de harcèlement moral ou sexuel, de licenciement discriminatoire, etc.
En principe, hors de ces cas exceptionnels, il est invoqué le motif selon lequel le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, pour contester un licenciement. L’indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse est beaucoup moins importante qu’un licenciement nul puisque ces indemnités sont plafonnées par un barème (article L1235-3 du Code du travail) dans le cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui n’est pas le cas dans le cas d’un licenciement nul.
Les sanctions d’un licenciement nul sont, en effet, beaucoup plus sévères et se distinguent selon deux cas. D’abord, si le salarié demande sa réintégration dans l’entreprise et que l’employeur l’accepte (l’employeur peut refuser cette réintégration, mais uniquement lorsqu’elle est matériellement impossible parce que le salarié a liquidé ses droits à la retraite, par exemple (Cass. soc., 14 nov. 2018, no 17-14.932), le salarié aura droit à une indemnité qui correspond au maximum aux salaires dont il a été privé au cours de la période qui s'est écoulée entre la rupture du contrat et sa réintégration.
Si le salarié ne demande pas sa réintégration dans l’entreprise, il pourra bénéficier des indemnités de fin de contrat comprenant une indemnité de licenciement (dont le montant est déterminé par le juge sans limite de plafonds), une indemnité de préavis et une indemnité compensatrice de congés payés. Cette indemnisation est exclusivement à la charge de l'employeur, et ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Si vous faites l’objet d’un licenciement en raison d’une relation amoureuse au travail, cette dernière est protégée par le droit au respect de la vie privée et familiale, et tout licenciement prit sur ce fondement, pourra, en fonction des circonstances, être sévèrement sanctionné. Le Cabinet Zenou expert en droit du travail défend le respect effectif de votre droit à la vie privée.
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