L’interdiction faite aux professionnels de santé d’effectuer des missions de travail temporaire (intérim) s’ils ne justifient pas d’une durée minimale d’exercice a été posée par l'article 29 de la loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 (voir notre précédent article à ce sujet). Les acteurs du secteur et les professionnels de santé concernés étaient dans l’attente de précisions sur les modalités pratiques de cette interdiction qui devait initialement entrer en vigueur le 1er avril 2024.

Le récent décret n° 2024-583 du 24 juin 2024 précise ces modalités notamment pour les auxiliaires médicaux et les sages-femmes qui devront désormais justifier d’une durée minimale d’exercice de deux ans pour pouvoir effectuer des missions temporaires auprès d’établissements de santé, de laboratoires de biologie médicale et d’établissements et services sociaux et médicaux-sociaux. Ces règles sont codifiées d'une part, aux articles R. 6115-1 et R. 6115-2 du code de la santé publique et, d'autre part, aux articles R. 313-30-5 et R. 313-30-6 du code de l'action sociale et des familles.

Cette condition de durée sera exigée pour les contrats conclus à compter du 1er juillet 2024.

Ce décret, qui ne s’applique pas à tous les professionnels (1.), vient préciser d’une part, la durée minimale d’exercice et les conditions dans lesquelles celle-ci sera appréciée (2.) et, d’autre part, les obligations de vérification pesant sur les entreprises de mise à disposition (3.), sans toutefois prévoir de sanctions en cas de mise à disposition irrégulière (4.).

 

1. L’interdiction est désormais effective notamment pour les auxiliaires médicaux et les sages-femmes

Avant toute chose, il est utile de relever que le décret du 24 juin 2024 vise l’essentiel des professionnels du secteur médical et médico-social concernés par la condition de durée minimale d’exercice exigée pour réaliser des missions temporaires.

Toutefois, ce décret ne vise pas les médecins, chirurgiens-dentistes et pharmaciens qui demeurent donc pour le moment de facto exclus de cette interdiction dans l’attente d’un décret d’application les concernant.

Ceci précisé, l’interdiction sera donc effective au 1er juillet 2024 pour :

  • les auxiliaires médicaux régis par le livre III de la quatrième partie du code de la santé publique, tels que :
    • les infirmières et infirmiers, en ce compris ceux titulaires d’une spécialisation (infirmières puéricultrices et infirmiers puériculteurs (IPDE), infirmiers anesthésistes (IADE), infirmiers de bloc opératoire (IBODE) et infirmiers en pratique avancée (IPA)),
    • les masseurs-kinésithérapeutes,
    • les pédicures-podologues,
    • les ergothérapeutes et psychomotriciens,
    • les orthophonistes et orthoptistes,
    • les manipulateurs d’électrocardiologie médicale et techniciens de laboratoire médical,
    • les audioprothésistes,
    • les opticiens-lunetiers,
    • les prothésistes et orthésistes pour l’appareillage des personnes handicapées,
    • les diététiciens,
  • les autres professionnels régis par le livre III de la quatrième partie du code de la santé publique, à savoir :
    • les aides-soignants,
    • les auxiliaires de puériculture,
    • les ambulanciers,
    • les assistants dentaires,
    • et les assistants de régulation médicale
  • les sages-femmes,
  • les professions non réglementées du secteur médico-social, à savoir les :
    • éducateurs spécialisés,
    • assistants de service social,
    • moniteurs-éducateurs,
    • et accompagnants éducatifs et sociaux.

 

2. La durée minimale d’exercice est fixée à deux ans en équivalent temps plein

Le décret fixe la durée minimale d’exercice à deux ans en équivalent temps plein.

Cette durée sera appréciée en tenant compte de l'ensemble des périodes d'exercice dans la même profession ou la même spécialité que celle pour laquelle la mise à disposition est envisagée.

Attention cependant, la durée d'exercice effectuée dans le cadre d'un contrat de mission sera exclue du calcul. Ainsi, les professionnels qui auraient exercé plus de deux ans depuis leur diplomation mais exclusivement dans le cadre de contrats de mission, ne pourront donc plus signer de nouveau contrat de travail temporaire.

Pour les professionnels titulaires d'une spécialité, cette durée d'exercice sera appréciée sur les emplois occupés dans cette spécialité et non sur les emplois d’infirmiers en soins généraux. Par exemple, pour les IPDE, IBODE, IADE ou encore les IPA, leur expérience sur des emplois d’infirmiers en soins généraux ne sera pas prise en compte.

Quelques précisions utiles s’imposent.

 

D’une part, le décret dispose que la justification du respect de la durée minimale devra intervenir préalablement à la conclusion du contrat de mise à disposition. Ainsi, l’interdiction ne concernera pas les contrats de travail temporaire en cours qui se poursuivront après l’entrée en vigueur du décret ainsi que les contrats signés avant le 1er juillet 2024.

Cependant, une distinction devrait en principe être opérée s’agissant des contrats qui arriveront à leur terme après le 1er juillet 2024. Si le contrat peut être prorogé car la durée maximale prévue par la loi n’a pas été atteinte, la justification du respect de la durée minimale d’exercice ne devrait en principe pas être exigée, dès lors qu’une prorogation ne fait pas naître un nouveau contrat.

Au contraire, si le contrat doit être renouvelé, un nouveau contrat naîtra et le respect de la durée minimale devrait être démontrée.

 

D’autre part, tous les professionnels concernés devront justifier de la durée minimale exigée, qu’ils soient anciens ou nouveaux diplômés ou encore qu’ils accomplissent une mission temporaire pour la première fois.

 

Enfin, cette interdiction s’appliquera aux nouveaux comme aux anciens diplômés : la loi et son décret d’application ne distinguent pas selon la date d’obtention du diplôme, il n’y a donc pas lieu de distinguer.

Dans les faits cependant, cette interdiction s’appliquera quasi-exclusivement aux nouveaux diplômés qui ne peuvent pas - par principe - justifier de la durée minimale d’exercice requise sur les nouvelles fonctions dont ils viennent d’être diplômés.

De manière plus limitée, d’anciens diplômés pourraient être concernés tels que ceux qui exercé moins de deux ans après l’obtention de leur diplôme et qui auraient changé de profession.

 

3. Les entreprises de travail temporaire seront pleinement responsables de la justification du respect de cette durée minimale d’exercice

Les entreprises de travail temporaire devront vérifier que le professionnel mis à disposition justifie de la durée minimale d’exercice de deux ans.

Le décret leur impose plusieurs obligations.

 

  • Recueil et conservation des justificatifs

Tout d'abord, le décret dispose que ces entreprises devront obtenir du professionnel les pièces justifiant de la durée et de la nature des fonctions antérieurement occupées. Pour une période transitoire allant du 1er juillet 2024 au 31 décembre 2024, un arrêté du 28 juin 2024 un régime assoupli est prévu avec la remise d'une attestation sur l’honneur par le professionnel à l’entreprise de travail temporaire, incluant son engagement de remettre les pièces justificatives seulement en cas de demande de l’entreprise concernée.

L’attestation sur l'honneur rédigée, datée et signée par le professionnel devra préciser :

  • a) ses nom, prénom et date de naissance,
  • b) sa profession et, le cas échéant, la spécialité exercée,
  • c) des informations sur l’activité réalisée pour chaque période considérée : la nature libérale, salariée ou publique de l'activité, et en cas d'activité salariée ou publique la dénomination de l'établissement ou de la structure employeur ainsi que le cas échéant la nature du contrat, les dates de début et de fin de période, et enfin le cas échéant, la quotité de travail,
  • d) la mention de l'engagement du professionnel à fournir les pièces justificatives relatives aux informations indiquées dans cette attestation, sur demande de l'entreprise de travail temporaire.

S’agissant des professions réglementées (infirmiers, sages-femmes, masseurs kinésithérapeutes etc), ils devront produire « une copie du diplôme ou de l'autorisation d'exercice de la profession, et, le cas échéant, de la spécialité concernée, antérieur aux périodes d'exercice prises en compte pour justifier de la durée minimale d'exercice ».

Dans ce cadre, l’entreprise ne devra pas seulement collecter les pièces mais sera tenue de vérifier que les fonctions occupées ou la spécialité sont équivalentes à celles pour lesquelles la mise à disposition est envisagée.

Les preuves de ces vérifications devront être conservées pendant cinq ans.

 

  • Attestation de respect de la durée minimale

De plus, il leur appartiendra d’attester du respect de cette durée minimale d'exercice auprès des établissements au plus tard lors de la signature du contrat de mise à disposition, et de pouvoir prouver la réception de cette attestation en cas de contrôle.

S’agissant de la forme de cette attestation, le décret reste silencieux et celle-ci pourra donc prendre une forme libre telle qu’une attestation sur l’honneur. Aucun justificatif complémentaire ne devra être transmis avant la signature du contrat.

 

  • Contrôle des vérifications réalisées

Enfin, le respect de ces obligations pourra être contrôlé a posteriori. Ces entreprises devront ainsi transmettre les justificatifs des vérifications réalisées à l'établissement bénéficiaire de la mise à disposition sur demande de celui-ci, ou à toute autorité compétente.

Aucune obligation n’est mise à la charge des établissements auxquelles il incombera donc de s'assurer de la réception de cette attestation, sans avoir à vérifier la réalité de la durée minimale d’exercice ni l’appréciation portée par l’entreprise de mise à disposition sur les justificatifs reçus.

 

4. Sanctions en cas d’irrespect

Bien que la loi renvoie au pouvoir réglementaire le soin de prévoir les sanctions encourues en cas de méconnaissance de ces dispositions, le décret commenté reste silencieux.

Toutefois, ce silence ne semble pas devoir exclure tout risque pour les acteurs concernés.

Avant tout, les entreprises de mise à disposition et les professionnels risqueraient de voir les établissements de santé dénoncer les contrats de travail temporaire conclus en méconnaissance de la durée minimale d’exercice.

De plus, d’autres dispositions répressives pourraient être mobilisées par exemple en cas de faux justificatifs produits par un professionnel ou encore de déclaration erronée ou mensongère transmise par une entreprise de mise à disposition.

Enfin, on ne peut pas exclure qu’en cas d’accident médical dont serait à l’origine le professionnel mis à disposition, l’établissement ou encore la victime ou ses ayants-droits engagent une action à l’encontre du professionnel ou de l’entreprise si la mise à disposition est intervenue dans des conditions irrégulières.

 

Article à retrouver également sur Village de la justice