Le délai biennal de l'article 1648 de l'action en garantie des vices cachés de la chose vendue est un délai de prescription susceptible de suspension
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 23-19.610
- ECLI:FR:CCASS:2025:C300158
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation sans renvoi
Audience publique du jeudi 20 mars 2025
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 09 juin 2023
Président
Mme Teiller (président)
Avocat(s)
Me Isabelle Galy, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 mars 2025
Cassation sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 158 F-D
Pourvoi n° R 23-19.610
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MARS 2025
1°/ Mme [C] [P], domiciliée [Adresse 5],
2°/ M. [E] [P], domicilié [Adresse 4],
3°/ M. [Y] [P], domicilié [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° R 23-19.610 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [X] [H], domiciliée [Adresse 2],
2°/ au syndicat des copropriétaires du [Adresse 5] à [Localité 7], représentée par son syndic coopératif M. [S] [J], domicilié [Adresse 3],
3°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillaudier, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [P] et MM. [E] et [Y] [P], de Me Isabelle Galy, avocat de Mme [H], après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Guillaudier, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [P] et MM. [E] et [Y] [P] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le syndicat des copropriétaires du [Adresse 5] à [Localité 7], pris en la personne de son syndic coopératif, M. [J], et la société Allianz IARD.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2023), par acte du 9 octobre 2017, Mme [H] (la venderesse) a vendu à Mme [P] et MM. [E] et [Y] [P] (les acquéreurs) un appartement dans un immeuble en copropriété.
3. Les acquéreurs ont constaté des infiltrations et une expertise amiable a été réalisée et déposée le 26 avril 2018.
4. Le 10 septembre 2018, la venderesse a été assignée en référé afin de voir désigner un expert.
5. Une expertise judiciaire a été ordonnée le 21 décembre 2018 et l'expert a déposé son rapport le 1er juin 2021.
6. Par acte du 4 novembre 2021, les acquéreurs ont assigné la venderesse et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble et son assureur en résolution de la vente et dommages-intérêts sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande formée contre la venderesse, alors :
« 1°/ que le délai de prescription biennal prévu à l'article 1648 du code civil
est, conformément à l'article 2241 de ce code, interrompu par une assignation en référé, et est, en outre, suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du même code, le délai recommençant à courir
à compter du jour où la mesure a été exécutée ; qu'en déclarant irrecevable l'action introduite le 4 novembre 2021 par les acquéreurs, au motif que le délai biennal ayant couru à compter du dépôt du rapport d'expertise amiable le 26 avril 2018 avait été interrompu par l'assignation en référé du 10 septembre 2018 et qu'il avait recommencé à courir à compter de la décision ordonnant l'expertise, le 21 décembre 2018, de sorte que l'action introduite postérieurement au 21 décembre 2020 serait prescrite, quand le délai de prescription biennal avait été en outre suspendu durant l'exécution de la mesure d'expertise jusqu'au 1er juin 2021, de sorte que l'action introduite moins de deux ans après cette date, le 4 novembre 2021, était recevable, la cour d'appel a violé les articles 1648, 2239 et 2241 du code civil ;
2°/ que seule la connaissance du vice dans toute son ampleur et ses conséquences fait courir le délai biennal de prescription de l'action en garantie des vices cachés ; qu'en jugeant, pour déclarer irrecevable l'action des acquéreurs, que le rapport d'expertise amiable du 26 avril 2018 leur aurait permis de connaître la nature et la gravité des désordres affectant l'appartement qu'ils avaient acquis de sorte que le délai biennal avait couru dès cette date, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le rapport d'expertise amiable concluant au conditionnel, et ne formulant qu'une hypothèse sur la cause des désordres, qui devait être vérifiée par des investigations supplémentaires, avait permis aux acquéreurs de prendre connaissance de manière certaine de la cause des infiltrations affectant le bien vendu, et partant, du vice dans toute son ampleur et ses conséquences, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1648 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La venderesse conteste la recevabilité du moyen, pris en sa première branche, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Elle soutient que les acquéreurs n'invoquaient pas devant la cour d'appel la suspension du délai biennal par application de l'article 2239 du code civil.
9. Cependant, dans leurs conclusions d'appel, les acquéreurs soutenaient que le délai prévu par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil, était qualifié de délai de prescription par certains arrêts de la Cour de cassation et pouvait faire l'objet d'une suspension.
10. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 1648, alinéa 1er, et 2239 du code civil :
11. Le délai biennal prévu par le premier de ces textes pour intenter l'action en garantie à raison des vices cachés de la chose vendue est un délai de prescription susceptible de suspension en application du second de ces textes (Ch. mixte, 21 juillet 2023, pourvoi n° 21-15.809, publié).
12. La sécurité juridique, invoquée par la défense sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée de l'accès au juge.
13. Pour déclarer irrecevable l'action des acquéreurs sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'arrêt retient que le point de départ du délai de forclusion biennal, qui doit être fixé à la date du dépôt du rapport de l'expert amiable le 26 avril 2018, a été interrompu par l'assignation en référé du 10 septembre 2018 et a repris son cours à la date de l'ordonnance du juge des référés du 21 décembre 2018 pour prendre fin le 21 décembre 2020 et que les acquéreurs n'ayant assigné au fond la venderesse que le 4 novembre 2021, leur action contre elle est irrecevable.
14. En statuant ainsi, alors que le délai biennal de garantie des vices cachés est un délai de prescription et que celui-ci, à supposer même qu'il ait commencé à courir le 26 avril 2018, date du dépôt du rapport de l'expert amiable, avait été interrompu le 10 septembre 2018 par l'assignation en référé-expertise, et suspendu par l'ordonnance du juge des référés du 21 décembre 2018 pour recommencer à courir pour une durée qui ne pouvait être inférieure à six mois, à compter du 1er juin 2021, date de dépôt du rapport d'expertise, de sorte qu'il n'était pas expiré au jour de l'assignation au fond, le 4 novembre 2021, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Tel que suggéré par les acquéreurs, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il résulte des motifs énoncés au paragraphe 14 que le délai biennal n'était pas expiré au jour de l'assignation au fond des acquéreurs.
18. Les acquéreurs sont, dès lors, recevables à agir en garantie des vices cachés. L'ordonnance du juge de la mise en état sera donc confirmée par substitution de motifs, et l'action des acquéreurs déclarée recevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny rendue le 3 octobre 2022 ;
Déclare recevable l'action de Mme [P] et MM. [E] et [Y] [P] formée contre Mme [H] sur le fondement de la garantie des vices cachés ;
Condamne Mme [H] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [H] et la condamne à payer à Mme [P] et MM. [E] et [Y] [P] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300158
Publié par ALBERT CASTON à 12:29
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Libellés : article 1648 du code civil , Prescription , suspension , vente immobilière , vice caché
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