La Cour de cassation a opéré un revirement majeur en matière de prêts immobiliers en francs suisses consentis aux emprunteurs percevant leurs revenus en francs suisses
Par un arrêt très attendu (pourvoi n° 24-19.647, 9 juillet 2025), la première chambre civile a cassé l’analyse traditionnelle selon laquelle les emprunteurs percevant leurs revenus en francs suisses ne seraient pas exposés à un risque de change.
Ce revirement de la Cour de cassation, bien que décisif, avait déjà été préfiguré par plusieurs décisions de fond récentes, obtenues par le cabinet Dana Avocats, rendues par la Cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 27 mars 2025, RG n° 21/0879), le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse (TJ de Bourg-en-Bresse, 23 janvier 2025, RG n° 22/3617 ; 28 février 2025, RG n° 22/03908 ; 17 avril 2025, RG n° 23/10482) et le tribunal judiciaire de Mulhouse (TJ de Mulhouse, 27 juin 2025, RG n° 23/00607) qui avaient reconnu, avant même l’arrêt du 9 juillet 2025, que le risque de change ne pouvait être écarté du seul fait que l’emprunteur percevait ses revenus en francs suisses.
Victoire pour les emprunteurs rémunérés en francs suisses
Pendant plus d’une décennie, les banques ont fait valoir que les emprunteurs (notamment les travailleurs frontaliers), rémunérés en francs suisses (CHF) et ayant souscrit des prêts libellés et remboursables dans la même devise, ne couraient aucun risque monétaire.
Sous prétexte qu’ils percevaient leurs revenus en francs suisses, les banques affirmaient qu’ils ne subissaient "aucun risque de change".
Cette ligne de défense a longtemps trouvé un écho favorable devant certaines juridictions, jusqu’à l’arrêt rendu ce jour.
Un revirement de principe de la Cour de cassation
Cette solution vient d’être abandonnée le 9 juillet 2025 par la plus haute juridiction judiciaire française.
Dans une décision historique (pourvoi n° 24-19.647), la première chambre civile juge que le risque de change ne peut être apprécié uniquement au moment de la souscription du prêt, mais doit être évalué sur l’ensemble de la durée du contrat, en tenant compte de l’évolution prévisible de la situation personnelle et professionnelle de l’emprunteur.
Elle précise notamment que :
« L’établissement financier doit exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé, sur toute sa durée […], notamment en cas de dépréciation de la monnaie nationale ou de perte des revenus en devise étrangère . ».
Concrètement, cela inclut notamment les situations de licenciement, de départ en retraite, ou de revente du bien, où le remboursement en francs suisses devient économiquement dangereux pour un emprunteur domicilié en zone euro.
Ce revirement clarifie définitivement que même un frontalier payé en francs suisses peut être victime d’un défaut de transparence et donc bénéficier de la protection contre les clauses abusives prévue par le droit de l’Union européenne.
Une reconnaissance du droit à la protection, même pour les frontaliers
Ce revirement clarifie définitivement que même un frontalier payé en francs suisses peut être victime d’un défaut de transparence de la part de la banque, et bénéficier de la protection contre les clauses abusives prévue par le droit de l’Union européenne.
Il remet en cause l’idée selon laquelle un prêt libellé et remboursé en devise étrangère serait automatiquement sans danger pour un emprunteur rémunéré dans cette même devise.
Cette décision conforte en conséquence les actions engagées à travers la France et devrait inciter de nombreux autres emprunteurs à faire valoir leurs droits.
Un retour sur le contexte
Pour mémoire, au début des années 2000, de nombreuses banques ont proposé des prêts immobiliers en francs suisses, paraissant très avantageux grâce à des taux d’intérêt bas.
Mais le mécanisme cachait un danger : le risque de change, c’est-à-dire la perte financière liée à une variation défavorable du taux entre l’euro et le franc suisse. Et ce risque s’est concrétisé à compter de la crise de l’Euro en 2010, quand l’euro a chuté de manière vertigineuse, alourdissant brutalement les dettes des emprunteurs.
Jusqu’à présent, les juges estimaient qu’un frontalier payé en francs suisses ne risquait rien, puisque le prêt était libellé et remboursé dans la même devise.
Ce que dit désormais la Cour de cassation
La Cour de cassation revient sur cette position et retient désormais que :
- une clause peut être jugée abusive même si l’emprunteur est payé en francs suisses.
- le caractère clair et compréhensible d’une clause doit être apprécié sur toute la durée du prêt.
La Cour de cassation applique en conséquence strictement les exigences de transparence posées par la CJUE.{{}}
En résumé : le consommateur doit être informé clairement et convenablement, peu importe qu’il soit frontalier ou non.
Cette décision donne de l’espoir aux nombreuses familles concernées par des prêts en francs suisses, souvent empêchées de vendre leur bien immobilier, et donc parfois étranglées financièrement, faute de pouvoir rembourser un capital devenu excessif à cause du taux de change défavorable.
Cette décision de la Cour de cassation est une vraie victoire pour les consommateurs, et surtout pour tous ceux qui pensaient que leur situation était sans issue simplement parce qu’ils étaient frontaliers.
Elle remet en cause l’idée selon laquelle un prêt en devise serait automatiquement sans danger dès lors que l’emprunteur est payé dans cette devise.
Elle permet aussi d’accéder à une vraie protection juridique en cas de manquement de la banque à son devoir d’information.
Les emprunteurs frontaliers peuvent désormais contester leurs contrats avec de solides arguments juridiques. Les banques devront démontrer qu’elles ont correctement informé leurs clients, ce qui est rarement le cas dans ces dossiers.
Tous les prêts ne sont pas concernés
Cette avancée majeure ne signifie pas que tous les prêts en francs suisses sont automatiquement illégaux.
Le même jour, dans une autre affaire (pourvoi n° 24-18.018), la Cour de cassation a rejeté le recours d’emprunteurs, au motif que la banque leur avait fourni une notice d’information comprenant des exemples chiffrés clairs, illustrant les effets d’une variation du taux de change sur le coût du crédit.
En résumé, ce n’est que si la banque n’a pas expliqué, de façon concrète et compréhensible, les conséquences d’une dépréciation de l’euro face au franc suisse pendant toute la durée du prêt en cas de revente du bien financé ou de pertes d’emploi en Suisse que l’emprunteur pourra faire valoir l’argument du défaut de transparence ou de clause abusive, et solliciter l’annulation de son prêt.
Le recours n’est donc possible que si certaines conditions juridiques sont remplies.
Il est donc indispensable que l’avocat analyse en détail les clauses du contrat de prêt, la notice d’information remise à l’époque, ainsi que la situation personnelle de l’emprunteur au moment de la signature et pendant l’exécution du prêt.
Cette expertise permettra de déterminer si la clause sur le risque de change est effectivement abusive ou non, au regard de la jurisprudence européenne et française désormais clarifiée.
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