Le droit de la consommation, longtemps cantonné à la protection contractuelle du consommateur contre les déséquilibres du marché, vit aujourd’hui une mutation silencieuse mais décisive.

Sous l’effet de la transition écologique européenne, il devient le vecteur d’un nouveau type de régulation environnementale, à la croisée du droit de la consommation, du droit de l’environnement et du droit économique.

Pour les praticiens du droit, cette évolution annonce la naissance d’un contentieux inédit, où se mêlent obligations d’information, de conformité et de sincérité écologique.


I. Une mutation conceptuelle : de la conformité fonctionnelle à la conformité durable

Jusqu’à récemment, la conformité d’un bien ou d’un service était appréciée au regard de sa fonctionnalité : un produit conforme est celui qui répond à l’usage attendu, selon les dispositions de la directive 2019/771 et des articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation.

Mais les nouveaux textes européens – notamment le règlement (UE) 2023/988 sur la sécurité générale des produits, la directive (UE) 2024/825 sur le droit à la réparation, et le futur règlement sur l’écoconception (ESPR) – introduisent une dimension inédite : celle de la durabilité environnementale.

Le produit n’est plus seulement conforme parce qu’il « fonctionne » ; il doit aussi être :

  • réparable,

  • conçu pour durer,

  • et sincèrement présenté comme respectueux de l’environnement.

Dès lors, l’obligation de conformité s’enrichit : elle devient écologique, et le contentieux s’en trouve profondément transformé.


II. L’émergence d’un contentieux de la sincérité écologique

a) Les allégations environnementales sous contrôle

La future directive sur les allégations écologiques (Green Claims Directive, COM(2023) 166 final) érige la transparence environnementale en exigence juridique.
Toute allégation du type « neutre en carbone », « biodégradable » ou « durable » devra être scientifiquement démontrée, vérifiable par des données objectives et actualisées.

Cette obligation de preuve fera naître un contentieux probatoire nouveau :
le professionnel devra justifier non seulement la véracité de ses propos, mais aussi la méthodologie employée pour les étayer (mesures d’émissions, cycles de vie, taux de recyclabilité, etc.).

Le greenwashing devient ainsi une pratique commerciale trompeuse (art. L. 121-2 C. cons.) susceptible d’entraîner :

  • des sanctions administratives par la DGCCRF ;

  • des actions en responsabilité civile pour tromperie sur la nature ou la qualité du produit ;

  • voire, à terme, des actions collectives transfrontalières (directive (UE) 2020/1828).

b) Vers une responsabilité du professionnel pour “durabilité défaillante”

Le juge pourrait bientôt être amené à qualifier d’inexécution contractuelle la non-réalisation des promesses de durabilité : un produit vendu comme « réparable » mais dont les pièces ne sont plus disponibles ; un appareil « éco-efficace » dont les mises à jour logicielles augmentent la consommation énergétique ; ou encore une marchandise « neutre en carbone » sans certification valide.

L’article L. 217-5 du code de la consommation, relatif à la conformité objective du bien, offre déjà le terrain juridique pour ces contentieux.

La CJUE, dans la logique téléologique qui la caractérise, pourrait aisément admettre que la durabilité écologique fasse désormais partie des « qualités que le consommateur peut légitimement attendre ».


III. L’action collective environnementale : un instrument de masse

La directive (UE) 2020/1828 sur les actions représentatives en matière de consommation ouvre la voie à des recours collectifs européens fondés sur la violation des droits environnementaux des consommateurs.

Une même association pourra agir au nom de groupes situés dans plusieurs États membres, pour des produits diffusés à grande échelle présentant un caractère « écologique trompeur ».

Cette possibilité démultiplie la portée du contentieux : un manquement à la durabilité ou une allégation mensongère pourrait donner lieu à une action paneuropéenne coordonnée, sous l’égide du réseau CPC (Consumer Protection Cooperation).

Pour les praticiens, cette évolution suppose :

  • une vigilance accrue dans la conformité des supports marketing et des fiches produit ;

  • une veille transnationale sur la jurisprudence européenne ;

  • et la constitution d’équipes d’action collective associant avocats, associations et experts techniques.


4. Le triple plan de responsabilité du professionnel

Le nouveau droit de la consommation écologique repose sur un triptyque :

Plan Fondement Conséquences
Contractuel Manquement à l’obligation de conformité ou d’information (L. 217-4, L. 111-1 C. cons.) Résolution du contrat, restitution, réparation
Délictuel Pratique commerciale trompeuse, dol écologique Dommages-intérêts, publication judiciaire
Administratif Sanctions de la DGCCRF, rappels de produits, injonctions de retrait Amendes, réputation, retrait du marché

Cette architecture renforce la capacité de coercition du droit de la consommation.
Elle s’inscrit dans la logique de l’enforcement européen : assurer non seulement la protection du consommateur, mais l’effectivité des objectifs environnementaux.


V. Les nouveaux défis du praticien : du juriste de la conformité au juriste de la durabilité

a) Pour l’avocat-conseil

Il devient l’interlocuteur privilégié des entreprises dans la mise en conformité « verte » :

  • audit des mentions environnementales,

  • validation juridique des supports publicitaires,

  • intégration des critères de réparabilité et de circularité dans les CGV et contrats de distribution,

  • et rédaction de clauses de preuve environnementale pour anticiper les litiges.

Le conseil ne porte plus seulement sur les droits du consommateur, mais sur la traçabilité écologique du produit.

b) Pour l’avocat contentieux

Le contentieux devient technique, probatoire et pluridisciplinaire.
Il exige de manier à la fois le droit économique, le droit de l’environnement, le droit de la preuve et la science des données.
Il faudra savoir mobiliser des experts en empreinte carbone ou en analyse du cycle de vie, tout en argumentant sur le terrain juridique classique du dol ou de la non-conformité.

c) Pour le magistrat

L’enjeu sera de maintenir un équilibre entre la protection du consommateur et la sécurité juridique du marché.
Trop de sévérité freinerait l’innovation ; trop de tolérance viderait de sens la transition écologique.
Les premières décisions feront donc office de jurisprudence fondatrice : elles diront si la promesse écologique engage aussi fortement que la promesse contractuelle.


VI. Une poussée verte assumée : la transition du droit lui-même

Le droit de la consommation devient un droit de la transition, au sens plein du terme :
il ne se contente plus d’encadrer la relation économique, il oriente la production et les comportements.

Pour les praticiens, cette transformation impose une adaptation intellectuelle :

  • comprendre le produit dans son cycle de vie,

  • raisonner en termes d’impact global,

  • et anticiper le contentieux environnemental comme un risque structurel, non plus accidentel.

Le juriste n’est plus simple observateur du marché : il devient acteur de la transformation écologique du droit privé. C’est là le sens véritable de cette poussée verte : la montée en puissance d’un contentieux à la fois économique, environnemental et éthique, où le droit de la consommation devient la clef de voûte d’une économie responsable.


En conclusion

L’avocat de demain, dans ce champ, devra conjuguer la rigueur du privatise et la culture du régulateur.
Il ne défendra plus seulement un consommateur trompé ou un professionnel imprudent : il arbitrera la sincérité écologique du marché.

Le droit de la consommation, ainsi renouvelé, devient l’un des instruments les plus puissants de la politique environnementale européenne. Il ne s’agit plus simplement de protéger l’acheteur, mais de garantir la loyauté environnementale du commerce.

Une révolution est en marche : celle d’un contentieux vert, intégré au droit de la consommation.