Par un arrêt du 2 décembre 2020 voué à la plus large diffusion, (Cass. soc., 2 décembre 2020, no19-11.986 à 19-11.994 PBRI), la chambre sociale pose en principe que le refus d’application d’un accord de mobilité interne constitue un motif économique de licenciement autonome des motifs prévus à l’article L. 1233-3 du code du travail.

Dès lors, l’employeur n’a pas à justifier que la modification du contrat de travail proposée en application de l’accord de mobilité est consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète d’activité.

Cependant, le contrôle de la cause réelle et sérieuse du licenciement est dévolu au juge prud’homal.

On rappellera utilement qu’aux termes de l’article L1233-3 susvisé constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

Faits et procédure

Après avoir perdu un marché couvrant les départements du Gard et de la Lozère, la société Inéo Infracom a déménagé son centre de Nîmes à une autre adresse au sein de la même ville et a proposé aux salariés rattachés à ce centre des affectations temporaires dans d’autres régions à compter du 1er juillet 2013. Plusieurs salariés ont fait part de leur refus de cette situation à l’employeur et ont saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation de leur contrat de travail.

Le 29 juillet 2013, un accord de mobilité interne a été conclu entre l’employeur et plusieurs organisations syndicales représentatives en application des articles L. 2242-21 et suivants du code du travail. Plusieurs salariés rattachés au centre de Nîmes, licenciés pour motif économique le 8 avril 2014 en raison de leur refus de mobilité interne, ont saisi la juridiction prud’homale d’une demande subsidiaire contestant le bien-fondé de leur licenciement.

Les textes relatifs aux accords de mobilité interne

Les accords de mobilité interne ont été créés par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui a introduit les articles L. 2242-21 à L. 2242-23 du code du travail, sur la base des stipulations de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 ayant le même objet. Ces dispositions ont ensuite été reprises aux articles L. 2242-17, L. 2242-18 et L. 2242-19 du même code, à la suite de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.

Ces accords de mobilité ont été supprimés par l’ordonnance du 22 septembre 2017 qui a instauré un régime unique pour certains accords collectifs à l’article L. 2254-2 du code du travail : l’accord de performance collective.

Ce texte dispose que pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut :

- aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ;

- aménager la rémunération dans le respect des salaires minima hiérarchiques ;

- déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise.

L’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2020

Conformément à son précédent arrêt du 11 décembre 2019 (Soc., 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-13.599), la chambre sociale juge que, dès lors que l’accord de mobilité interne avait été négocié en dehors de tout projet de réduction d’effectifs au niveau de l’entreprise, même si, ayant pour objet de répondre à des situations de perte de marché, il entraînait des suppressions de postes impliquant la réaffectation des salariés concernés, il répondait au critère des mesures collectives d’organisation courantes sans projet de réduction d’effectifs.

Motif économique de licenciement autonome en cas de refus

Puis, elle se prononce sur la cause des licenciements résultant du refus de salariés de l’application à leur contrat de travail des stipulations de l’accord relatives à la mobilité interne.

L’article L. 2242-23 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi 14 juin 2013, disposait que, lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application à leur contrat de travail des stipulations de l’accord relatives à la mobilité interne, leur licenciement repose sur un motif économique.

La chambre sociale considère que cet article a institué un motif économique de licenciement autonome des motifs économiques prévus à l’article L. 1233-3 du code du travail.

Dès lors, l’employeur n’a pas à justifier que la modification du contrat de travail proposée en application de l’accord de mobilité est consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète d’activité.

Contrôle de la cause réelle et sérieuse du licenciement dévolu au juge prud’homal

Il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement consécutif au refus des salariés au regard de la conformité de l’accord de mobilité aux dispositions des articles L. 2242-21, L. 2242-22 et L. 2242-23 du code du travail et de sa justification par l’existence des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire que la modification, refusée par le salarié, soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur.

Le pourvoi est rejeté car en l’espèce, la cour d’appel a, à juste titre, retenu que l’accord était conforme aux dispositions de l’article L. 2241-21 du code du travail.

En outre, la cour d’appel, devant laquelle il n’était pas soutenu que l’accord de mobilité interne n’était pas justifié par les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, a exactement décidé que le motif économique du licenciement était vainement discuté sur le fondement des dispositions de l’article L. 1233-3 du code du travail.

Si le refus par le salarié d’accepter l’application à son contrat de travail des stipulations de l’accord relatives à la mobilité interne constitue, en application de l’article L. 2242-23 du code du travail alors applicable, un motif économique, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement consécutif à ce refus au regard, d’une part, de la conformité de l’accord aux dispositions des articles L. 2242-21, L. 2242-22 et L. 2242-23 du code du travail et, d’autre part, conformément aux dispositions des article 4, 9.1 et 9.3 de la Convention internationale du travail n° 158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail, de la justification de l’accord par l’existence des nécessités du fonctionnement de l’entreprise.

L’on peut se référer avec intérêt à la note explicative de la Cour relative à cet arrêt :

« D’une part, dans la lignée de sa jurisprudence sur les accords de réduction du temps de travail (Soc., 15 mars 2006, pourvoi n° 04-41.935, Bull. 2006, V, n° 107 ; Soc., 23 septembre 2009, pourvoi n° 07-44.712, Bull. 2009, V, n° 201), à laquelle d’ailleurs les travaux parlementaires faisaient référence, la chambre sociale précise que le caractère réel et sérieux du licenciement consécutif au refus d’un salarié d’application à son contrat de travail des stipulations de l’accord de mobilité interne suppose que cet accord soit conforme aux dispositions légales le régissant.

D’autre part, au visa des stipulations de l’article 4 de la Convention internationale du travail n° 158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail qui prévoient qu’un licenciement non inhérent à la personne du salarié doit être fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service et de celles des articles 9.1 et 9.3 qui définissent le contrôle du juge sur les motifs invoqués pour justifier le licenciement, la chambre sociale juge que le caractère réel et sérieux du licenciement faisant suite à un refus du salarié d’application à son contrat de travail des stipulations de l’accord de mobilité interne suppose que l’accord de mobilité interne soit justifié par l’existence des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, ce qu’il appartient au juge d’apprécier. »

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1137_2_46054.html