Si Czabaj était un animal, ce serait une araignée. Avec des grandes pattes qui tricotent. Par une décision du 25 septembre 2020, le Conseil d’État a ainsi étendu le principe de sécurité juridique aux recours contre les actes non réglementaires dont la notification fait courir le délai de recours.

L’on sait que depuis une décision d’Assemblée du 13 juillet 2016, le Conseil d’État reconnaît aux personnes publiques un principe de sécurité juridique dévolu aux actes qu’elles prennent. Même sans mention des voies et délais de recours, un acte ne peut donc plus faire l’objet d’un recours passé un délai d’un an.

L’on sait également que depuis une décision du 17 juin 2019, le Conseil d’État limite la propagation de la jurisprudence Czabaj qui semblait infinie (voir pour les titres exécutoires et les autorisations d’urbanisme), la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique demeurant soumise au délai de prescription quadriennale.

L’on connait enfin la possibilité encore plus récente pour le juge de rejeter par voie d’ordonnance la requête ayant néanmoins fait l’objet d’un débat contradictoire, au motif qu’elle est tardive au sens de ladite jurisprudence.

Ici, il aura fallu soumettre au Conseil d’État le cas de la commune de Megève qui avait voulu faire application de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme et intégrer dans son domaine public des voies privées ouvertes à la circulation publique pour constater l’extension de son emprise.

Ainsi, en raison de l’opposition de certains propriétaires, la commune avait demandé au préfet de prononcer le transfert de ces voies. L’arrêté a été adopté le 3 août 2006.

Mais ce n’est que le  23 décembre 2016 -10 ans plus tard, donc- qu’un particulier et une SCI ont demandé au tribunal administratif d’annuler cet arrêté en tant qu’il prononce le transfert d’office et sans indemnité dans le domaine public communal des parcelles leur appartenant.

Jugement du Tribunal : rejeté de la requête pour tardiveté. Arrêt de la Cour administrative d’appel : confirmation du jugement.

Le Conseil d’État donne raison aux juridictions du fond, rappelle le principe et le précise au regard de la nature des décisions non réglementaires :

le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. Ces règles sont également applicables à la contestation des décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, lorsque la contestation émane des destinataires de ces décisions à l’égard desquels une notification est requise pour déclencher le délai de recours

Appliquant ce nouveau principe aux faits et relevant que l’arrêté préfectoral rédigé en 2016 avait bien été notifié, le Conseil d’État poursuit :

Pour juger que la saisine, le 23 décembre 2016, du tribunal administratif de Grenoble était tardive, la cour administrative d’appel de Lyon a relevé, au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation et sans se fonder sur des faits matériellement inexacts, que l’arrêté du 3 août 2006 avait été notifié le 17 août 2006 à la société La Chaumière et à Mme A…par lettres recommandées avec accusé de réception et que, faute de préciser les voies et délais de recours, cette notification était incomplète au regard des dispositions de l’article R.421-5 du code de justice administrative, de sorte que le délai de deux mois fixé par les dispositions de l’article R. 421-1 ne leur était pas opposable. Par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, la cour a également jugé qu’en se bornant à invoquer l’atteinte que porterait l’arrêté litigieux au droit de propriété, la société La Chaumière et Mme A…ne faisaient état d’aucune circonstance particulière justifiant de proroger au-delà d’un an le délai raisonnable dans lequel elles pouvaient exercer un recours juridictionnel. En statuant ainsi, après avoir relevé que le préfet de la Haute-Savoie n’avait pas commis de voie de fait en mettant en œuvre cette procédure, la cour a répondu à l’ensemble des moyens opérants soulevés devant elle

Le Conseil d’État raisonne donc en deux temps : il relève que le délai de recours de deux mois n’était pas opposable (et qu’il était possible de former un recours dans un délai d’un an à compter de la notification de l’acte), mais qu’en revanche, le principe de sécurité juridique (AKA l’araignée Czabaj) faisait obstacle au recours passé ce délai d’un an.

Solution logique et attendue, même si les enjeux relatifs au droit de propriété pouvaient amener quelques doutes sur la solution donnée au litige. Mais le juge administratif n’est précisément pas le garant de la propriété privée !


CE, 25 septembre 2020, Mme B…A… et SCI La Chaumière : n°430945

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