Par un avis du 19 février 2021, le Conseil d’État parachève son interprétation de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative en répondant à une question ouverte : un demandeur est-il lié par les postes de préjudices évoqués lors de son recours administratif préalable lorsqu’il saisit le juge ?

Dans le cadre de la mise en jeu de la responsabilité quasi-délictuelle d’un hôpital, le Conseil d’État répond par la négative :

La décision par laquelle l’administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d’un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l’égard du demandeur pour l’ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.

Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l’administration à l’indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n’étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

Bref, rien ne sert de faire un recours gracieux irréprochable, pourvu que la demande soit chiffrée [disclamer : un recours gracieux complet et détaillé, c’est toujours mieux :)]

De façon plus attendue, le Conseil d’État rappelle ensuite le délai de deux mois imparti par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, à peine de forclusion :

En revanche, si une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d’une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d’autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d’une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d’une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur.

Il n’est fait exception à ce qui est dit au point précédent que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

Mais rien n’empêche de retenter sa chance passé ce délai, au moyen d’une nouvelle demande :

Dans ce cas, qu’il s’agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l’administration d’une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus.

Bien que le Conseil d’État ne le précise pas, une telle pratique serait naturellement mise en échec par la prescription quadriennale.

Enfin, l’avis précise le sort de l’évolution / aggravation des dommages révélés postérieurement au recours indemnitaire :

Dans ce même cas, la victime peut également, si le juge administratif est déjà saisi par elle du litige indemnitaire né du refus opposé à sa réclamation, ne pas saisir l’administration d’une nouvelle réclamation et invoquer directement l’existence de ces dommages devant le juge administratif saisi du litige en premier ressort afin que, sous réserve le cas échéant des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle, il y statue par la même décision. La victime peut faire de même devant le juge d’appel, dans la limite toutefois du montant total de l’indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant de l’indemnité demandée au titre des dommages qui sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement de première instance.

En clair, si les dommages évoluent en cours de procès, il est inutile d’adresser une nouvelle demande préalable indemnitaire à l’administration. Le fait de compléter sa demande par un mémoire complémentaire suffit, ce, même en appel (et sous certaines conditions).

En somme, par cet avis, le Conseil d’État offre quelques solutions pragmatiques de rattrapage à la victime. Il se montre également souple avec la victime dont les dommages sont parfois évolutifs.


CE avis, 19 février 2021, Mme B… D… c. Centre Hospitalier Universitaire de Reims : n° 439366.

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