Le transfert des cétacés captifs, notamment des dauphins et des orques, soulève des questions complexes à l’intersection du droit, de l’éthique et de la conservation. Ces animaux, souvent emblématiques des parcs marins, sont au cœur d’un débat mondial sur leur place dans nos sociétés : faut-il maintenir leur captivité, les réintroduire dans un milieu semi-naturel ou les déplacer vers des structures adaptées ? Ce dilemme prend une ampleur particulière à la lumière de la fermeture du Marineland d’Antibes, mettant en évidence la nécessité de trouver des solutions pérennes pour des animaux comme Wikie et Keijo, deux orques dont le sort reste incertain.

La captivité des cétacés est aujourd’hui confrontée à une évolution rapide des mentalités et des cadres juridiques. En Europe, les nouvelles normes visent à restreindre la captivité à des fins commerciales, tandis que des conventions internationales comme la CITES ou la CMS cherchent à protéger ces espèces migratrices contre des conditions d’élevage et de transport inadéquates. Dans ce contexte, le transfert de ces mammifères marins devient un enjeu crucial, impliquant des décisions qui touchent à la fois au respect des textes de loi, au bien-être animal et à la préservation de ces espèces.

Cet article vise à éclairer les multiples dimensions de cette problématique en examinant les cadres juridiques applicables, les défis logistiques et les solutions envisageables pour ces cétacés captifs. Pourquoi ces transferts sont-ils si délicats ? Quelles contraintes juridiques les encadrent ? Et surtout, quelles sont les alternatives pour offrir à ces animaux des conditions de vie respectant leurs besoins biologiques ?

À travers cette analyse, nous découvrirons que le sort des dauphins et des orques ne se limite pas à une question locale, mais reflète une problématique mondiale nécessitant une coordination entre acteurs étatiques, associations et structures spécialisées. C’est un enjeu de taille : non seulement pour les cétacés concernés, mais aussi pour repenser notre rapport à la faune sauvage et la manière dont les sociétés humaines répondent aux défis éthiques de la captivité animale.


1. Le cadre légal international et européen : des normes complexes mais contraignantes

a. La Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES)

La CITES (1973) encadre strictement le commerce et les transferts de cétacés figurant à ses annexes, dont les orques et dauphins. En cas de transfert international, comme envisagé vers le Japon pour Wikie et Keijo, un permis CITES est indispensable. Celui-ci garantit que le déplacement ne nuit pas à la conservation de l’espèce et impose des conditions de transport adaptées (article IV).

b. Le Règlement (CE) n° 338/97

Ce texte transpose la CITES en droit européen. Il oblige les États membres à délivrer des autorisations de transfert uniquement si les conditions de bien-être animal sont respectées. Dans le cas des orques de Marineland, le refus du transfert au Japon est justifié par l’écart entre les normes européennes et japonaises en matière de protection animale.

c. La Directive 92/65/CEE et le Règlement (CE) n° 1/2005

Ces deux textes européens encadrent les conditions sanitaires et logistiques des transports d’animaux vivants. Le règlement de 2005 impose que le transport des cétacés minimise la durée du trajet, leur stress et les risques pour leur santé. Un trajet de 13 000 km vers le Japon, impliquant des contraintes physiques importantes, enfreint potentiellement ces règles.

d. L’Accord ACCOBAMS

L’accord régional ACCOBAMS (1996) vise à protéger les cétacés dans la mer Méditerranée et les zones atlantiques adjacentes. Il encourage les États à limiter la captivité et la capture des mammifères marins. Dans ce cadre, le transfert de Wikie et Keijo hors de la région soulève des questions sur l’application de cet accord.


2. Les contraintes de bien-être animal : la captivité en question

a. La Convention de Bonn (CMS)

La Convention sur les espèces migratrices (1979) protège les cétacés migrateurs. Bien que Wikie et Keijo soient nés en captivité, les principes de la CMS appellent à limiter toute activité qui pourrait nuire à ces espèces. Cela inclut les conditions de captivité inadaptées, comme les bassins trois fois plus petits proposés au Japon.

b. La Directive 1999/22/CE

Cette directive impose aux parcs zoologiques de garantir un environnement respectant les besoins biologiques des animaux captifs. Marineland, en tant que parc zoologique, est tenu de maintenir un haut standard de bien-être animal, ce qui alourdit les responsabilités lors de la fermeture du site.

c. La loi française du 30 novembre 2021

La loi interdit la reproduction et les spectacles de cétacés captifs en France. Elle reflète une tendance européenne visant à limiter leur exploitation commerciale. Cependant, cette interdiction laisse les gestionnaires de parcs marins dans une impasse quant au devenir des animaux, comme le montrent les cas de Wikie et Keijo.


3. Les défis liés au transfert : une problématique internationale

a. Le transport selon le Règlement (CE) n° 1/2005

Le transport de cétacés est soumis à des conditions strictes : minimisation du stress, respect des besoins biologiques et suivi médical constant. Or, le trajet de 13 000 km vers le Japon enfreint ces critères, notamment en raison de la durée et des risques de santé pour des animaux déjà fragilisés.

b. Les tensions économiques et éthiques

Bien que le commerce des cétacés soit illégal selon la CITES et le règlement européen, certains cas récents montrent que des parcs peuvent dissimuler des transactions derrière des "dons". Ce risque accentue la vigilance des tribunaux, comme l’illustre la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence de bloquer le transfert des orques dans l’attente de l’expertise judiciaire.


4. Les solutions : sanctuaires marins et alternatives légales

a. Sanctuaires marins : une issue promue par les ONG

Le projet de sanctuaire en Nouvelle-Écosse, proposé par l’ONG Whale Sanctuary Project, offre une alternative alignée avec la protection animale. Ce projet répond aux critères de la CMS, de l’ACCOBAMS et de la Directive 1999/22/CE, mais sa construction inachevée pose des problèmes de faisabilité à court terme.

b. Les parcs marins européens

Des structures comme le Loro Parque aux Canaries respectent les normes européennes (Directive 1999/22/CE). Cependant, leur bilan, notamment en termes de mortalité, reste controversé et soulève des questions éthiques.

c. La limitation des transferts internationaux

La décision du Conseil d’État sur le recours contre le transfert des cétacés captifs pourrait établir une jurisprudence empêchant de tels déplacements hors de l’UE. Cela renforcerait l’application des règlements européens en matière de bien-être animal.


Conclusion : vers une harmonisation des normes ?

Le cas des cétacés captifs, comme celui de Wikie et Keijo, reflète des tensions entre les obligations internationales, européennes et nationales. Si les textes existants (CITES, CMS, ACCOBAMS, règlements européens) visent à protéger les cétacés, leur mise en œuvre reste incomplète face aux réalités économiques et logistiques.

Les sanctuaires marins offrent une perspective prometteuse, mais leur développement nécessite une coopération accrue entre les États, les ONG et les institutions juridiques. En attendant, la priorité doit être donnée à des solutions locales respectant le cadre légal et les besoins biologiques des cétacés. Une harmonisation des normes internationales, notamment entre l’Europe et d’autres régions comme le Japon, pourrait à terme garantir une gestion éthique et durable de ces espèces en captivité.