Le principe de neutralité est un sujet très sensible dans les entreprises notamment lorsqu’il s’agit d’interdire le port visible de signes religieux.

C’est sur ce sujet que la Cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt sur renvoi après cassation concernant le licenciement d’une salariée en contact avec la clientèle qui avait refusé d’ôter son voile.[1]

Cet arrêt est le dernier épisode d’une longue série judiciaire puisque la Cour de cassation avait interrogé la Cour de justice de l’Union européenne avant de censurer le premier arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris et de renvoyer l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles.

Sans surprise, la Cour d’appel de Versailles a, dans le sens de ce qui avait été dégagé par la CJUE puis la Cour de cassation, annulé le licenciement en le considérant discriminatoire.

Dans son arrêt du 14 mars 2017, la CJUE avait estimé que l’interdiction faite à une travailleuse de religion musulmane de porter un foulard islamique au travail pouvait constituer une discrimination indirecte sauf mesure justifiée par l’existence d’un objectif légitime tel que le contact clientèle.[2]

En effet, bien qu’il soit tout à fait possible pour un employeur d’imposer une obligation générale de neutralité interdisant le port visible de signe politique, philosophique ou religieux, cette interdiction doit remplir des conditions bien précises :

- être prévue dans le Règlement Intérieur ou dans une note de service ;

- être générale et indifférenciée ;

- ne s’appliquer qu’aux salariés en contact avec la clientèle ou soumis à des règles d’hygiène et de sécurité spécifique.

Cette jurisprudence confirme donc l’importance d’être très précis dans la rédaction de la clause de neutralité intégrée au Règlement Intérieur.

En effet, le principe de la liberté reste la règle et la restriction l’exception.

Pour rappel, c’est la loi travail du 8 août 2016 qui a donné la faculté pour l’employeur d’introduire dans le Règlement Intérieur des dispositions instaurant une neutralité, notamment religieuse et à limiter ainsi l’expression des convictions personnelles.

Cependant, même si la question religieuse peut être traitée dans le règlement intérieur, il s’agit bien d’une simple faculté dans les cas où ce traitement est nécessaire.

La neutralité dans une entreprise privée ne s’impose pas comme dans les entreprises exerçant une mission de service public, la liberté reste la règle. L’inscription dans le règlement de la neutralité doit donc se faire à certaines conditions qui reprennent les critères dégagés par la jurisprudence.

En tout état de cause, pour être licite, la disposition du règlement intérieur apportant des restrictions à l’expression des convictions des salariés devra être :

- justifiée par les nécessités tirées du bon fonctionnement de l’entreprise ou l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ;

- proportionnée au but recherché.

Ainsi, la disposition du Règlement Intérieur ne peut consister en une interdiction générale et absolue de toute manifestation des convictions des salariés.

Aux questions posées par le fait religieux, le droit français apporte des réponses fondées sur des principes non confessionnels : protection de la santé et de la sécurité, respect du contrat de travail, non-discrimination.

Concrètement, la mise en place de la neutralité pourra être justifiée :

- par les nécessités de l’activité de l’entreprise tant au regard du personnel (respect des règles sanitaires, d’hygiène ou de sécurité) que des tiers intéressés (le contact permanent avec de jeunes enfants par exemple avec la jurisprudence Baby Loup[3] ou le contact avec la clientèle) ;

- lorsqu’une pratique religieuse individuelle ou collective porte atteinte au respect des libertés et droits de chacun. Cela peut concerner par exemple les atteintes au droit de croire ou de ne pas croire (dans le cas de pratiques prosélytes ou de comportements qui exercent une pression sur d’autres salariés) ou encore l’égalité entre les femmes et les hommes.

Par conséquent, compte-tenu de la complexité du sujet, il est préférable d’être assisté par un professionnel du droit lors de la mise en place d’un principe de neutralité dans l’entreprise.

Nicolas GOLHEN

 

[1] CA Versailles 18/04/2019, n°18/02189

[2] CJUE 14/03/2017, aff. 188/15

[3] Cour de cassation, AP, 25/06/2014, n°13-28.369