Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 novembre 2022, 21-18577


Encore une fois dans cet arrêt la Cour de cassation nous démontre que pas un seul des juges la composant ne fut un jour l’objet d’un licenciement soudain d’un emploi dans le secteur privé.

 

Sinon ils sauraient à quel point le salarié est éjecté soudainement sans accès à aucune preuve de la réalisation de son travail passé.

 

Sinon ils sauraient que lorsque vous êtes convoqués à un entretien préalable au licenciement, mis à pied conservatoire et que l’on vous coupe tous les accès à vos outils professionnels du jour au lendemain vous n’avez plus rien pour vous défendre.

 

Sinon ils sauraient que l’employeur ne communiquant pas les griefs opposés au salarié avant son entretien préalable au licenciement, vous ne pouvez pas, avant cette date savoir quels sont les motifs du licenciement et qu'il est donc impossible de vous transférer les mails « strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le litige qui l’oppose à son employeur à l’occasion de son licenciement ».

 

Sinon ils sauraient que votre seule issue pour cela c’est de vous transférer dans le désordre l’ensemble de vos derniers mails pour conserver un minimum de preuve contre votre employeur, la partie étant déjà tellement déséquilibrée.

 

Au lieu de cela, la Cour de cassation dans sa décision du 9 novembre 2022 valide le grief formé par l’employeur à l’encontre de son salarié et venant justifier son licenciement pour faute grave au motif que ce dernier, après la réception de la convocation à l’entretien préalable, mais avant que ce dernier ne se tienne, s’est transféré sur son adresse personnelle 285 mails professionnels.

 

La Cour d’Appel avait considéré que ce grief n’était pas fautif.

 

En effet, elle avait constaté qu’il existait une charte informatique signée par le salarié imposant une confidentialité sur les informations dont à connaissance le salarié dans le cadre de son emploi et que le contrat de ce dernier contenait une clause de confidentialité.

 

Cependant, la Cour d’Appel avait jugé que l’employeur ne démontrait pas que les mails que s’était transféré le salarié portaient sur des données sensibles ou confidentielles ni qu’ils aient transmis lesdits documents à des concurrents. La Cour d’appel se positionne donc sur l’absence de caractère fautif et de conséquence préjudiciable pour l’employeur de ce transfert massif de mails.

 

La Cour de Cassation casse le raisonnement de la Cour d’appel et renvoie vers elle pour statuer de nouveau en lui imposant un autre type de raisonnement. La Cour de Cassation exige que la Cour d’appel vérifie au préalable que les mails que le salarié s’était transféré soient « strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le litige qui l’oppose à son employeur à l’occasion de son licenciement ».

 

On notera que la Cour de Cassation est à la limite – voir les deux pieds dedans - de l’inversement de la charge de la preuve s’agissant d’une faute grave puisqu’elle fait porter la charge de la preuve de l’absence de caractère fautif sur le salarié à qui il appartiendrait de démontrer que lesdits mails étaient strictement nécessaires à l’exercice de sa défense.

 

Pour conclure un constat et des conseils.

 

En premier lieu, constatons que cette technique est courante : l’employeur pour provoquer un effet de « sidération » vous convoque soudainement en entretien préalable, dans le même temps il vous coupe l’ensemble de vos accès mails et logiciels.

 

Le salarié acculé mais sentant le vent tourner et sachant que l’employeur n’a absolument rien contre lui, pour se conserver des preuves se transfère sur son adresse personnelle un grand nombre de mails professionels, sans faire le tri et dans la précipitation.

 

Ainsi, votre employeur qui n’en demandait pas tant se retrouve avec un grief contre vous grief qu’il n’avait pas jusque-là !

 

En second lieu, voici quelques conseils donc pour éviter de donner à votre employeur ce qu’il cherche (un motif de licenciement) :

 

1. Trouver un moyen discret de conserver vos mails professionnels que de vous les transférer ; ou effacer systématiquement l’envoi après vous être transféré ledit mail ;

 

2. Essayer d’anticiper les reproches qui vous seront fait et sélectionner les mails strictement nécessaires à votre défense ; pour cela demandez explicitement et par écrit (en gardant une copie) à votre employeur de vous transmettre par écrit les griefs qui seront formulés lors de l’entretien préalable au licenciement ;

 

3. Contacter rapidement un avocat de votre choix.