Dans cet arrêt du 13 septembre 2023 (pourvois n°22-17.340 ; 22-17.341 et 22-17.342), la Cour de cassation affirme que les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle.  

1) Faits et procédure (pourvois n°22-17.340 ; 22-17.341 et 22-17.342)

Trois salariés de la société Transdev ont saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre des congés payés qu'ils soutenaient avoir acquis pendant la suspension de leur contrat de travail à la suite d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle.

La Cour d’appel de Reims a, en date du 6 avril 2022, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.

L’employeur se pourvoit alors en cassation.

2) Moyens

L’employeur fait grief aux arrêts de dire que les salariés sont en droit de récupérer des jours de congés et qu'il doit comptabiliser un certain nombre de jours annuels de congés payés en plus des droits à congés annuels acquis et en cours, alors :

  • Que l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne permettant pas, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, le salarié ne peut prétendre, au regard des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3143-5 du code du travail, à l'acquisition de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail pour maladie d'origine non professionnelle ;
  • Que l'article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne fixe pas de durée minimale pour la période annuelle de congés payés ;

3) Solution

La chambre sociale de la Cour de cassation rejette les pourvois formés par l’employeur.

Elle se fonde sur l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui prévoit que tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.

Elle rappelle que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période.

Les juges de la haute cour en déduisent en conséquence que :

« Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ».

4) Analyse

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, prévoit que :

« 1.    Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.    La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.»

Le délai de transposition de la directive 2003/88/CE, qui codifie la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 dont le délai de transposition expirait le 23 novembre 1996, a expiré lui-même le 23 mars 2005.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (notamment de l’arrêt du 26 juin 2001 C 173/99 Broadcasting, Entertainment, Cinematographic and Theatre Union) que la directive doit être interprétée en ce sens que :

  • Elle fait obstacle à ce que les États membres limitent unilatéralement le droit au congé annuel payé conféré à tous les travailleurs, en appliquant une condition d'ouverture dudit droit qui a pour effet d'exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier ;

 

  • Elle s’oppose à des dispositions ou à despratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale pendant la période de référence.

Cette directive n’est toutefois pas invocable dans un litige entre particuliers (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285).

Elle produit effet uniquement à l’égard des employeurs de droit public ou assimilés. Les salariés de ces employeurs peuvent donc s’en prévaloir (Cass. soc., 13 avril 2023, n°21-23.054).

En revanche, depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a la même valeur juridique que les traités de l’Union européenne.

La charte peut donc être invoquée dans un litige entre particuliers.

Or, le droit au congé payé est consacré par l’article 31 paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui prévoit que :

« Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ».

La France a déjà été sanctionnée à plusieurs reprises par la Cour de Justice de l’Union Européenne en raison de la non-conformité de sa législation relative aux congés payés vis-à-vis du droit européen.

La Cour de cassation, quant à elle, a suggéré à de nombreuses reprises au législateur de mettre le droit français en conformité avec le droit européen, au sein de ses rapports annuels.

Le 13 avril 2023 (n°21-23.054), la Cour de cassation avait déjà écarté les dispositions françaises contraires à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, dans un litige opposant un salarié à un employeur assimilé à un organe étatique. La chambre sociale avait alors considéré que le salarié avait droit à des congés payés d'au moins quatre semaines du seul fait de sa qualité de travailleur, peu important qu'il ait été absent à raison d'un arrêt de travail pour maladie.

Ainsi, la Cour de cassation assume pleinement son rôle de juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne, chargé de veiller à l’application des conventions internationales (arrêt Jacques Vabre, chambre mixte, 24 mai 1975, n°73-13.556).

Cette série d’arrêt du 13 septembre 2023 laisse toutefois de nombreuses questions sans réponses.

Ce véritable bouleversement au cœur du droit du travail français n’est donc pas terminé.

 

Sources

. Communiqué de la Cour de cassation : Congé payé et droit de l’Union européenne

https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2023/09/13/communique-conge-paye-et-droit-de-lunion-europeenne

 

. c. cass. 13 septembre 2023, n° 22-17.340

https://www.courdecassation.fr/decision/65015d5fee1a2205e6581656?search_api_fulltext=22-17.340&op=Rechercher%20sur%20judilibre&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=cc&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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