Le 13 mai 2025, le tribunal administratif de Nice a examiné un recours introduit par le Collectif citoyen 06 à l’encontre de l’arrêté préfectoral approuvant le Plan de protection de l’atmosphère (PPA) des Alpes-Maritimes. Ce document, pourtant stratégique dans la lutte contre la pollution de l’air dans une région particulièrement exposée, est ici dénoncé comme incomplet, trop général et dépourvu de mesures concrètes à même de remédier efficacement aux dépassements réguliers des seuils de polluants. Sont notamment visées l’absence de dispositifs de mesure sur des axes fortement fréquentés – tels que l’autoroute A8 ou la voie Mathis à Nice – ainsi que le défaut de régulation spécifique des deux-roues motorisés, pourtant responsables d’émissions significatives.

Ce contentieux illustre à la fois les limites des instruments de planification environnementale lorsqu’ils sont insuffisamment contraignants, et les nouvelles attentes citoyennes à l’égard de l’État en matière de santé publique et de respect des normes européennes. Il s’inscrit dans une dynamique plus large : celle d’un contentieux climatique et environnemental de plus en plus structuré, dans lequel le juge administratif est progressivement appelé à jouer un rôle actif, voire prescripteur, dans la mise en œuvre du droit de l’Union européenne et dans le respect effectif des engagements pris par les pouvoirs publics.

À travers l’examen de ce litige local aux résonances nationales et européennes, cet article propose d’analyser le régime juridique applicable aux PPA, les fondements sur lesquels leur légalité peut être contestée, les moyens les plus opérants pour en obtenir l’annulation, ainsi que l’évolution du rôle du juge administratif face à la montée en puissance des impératifs environnementaux.

I. Le plan de protection de l’atmosphère : un acte de planification encadré par la loi et le droit de l’Union

A. Définition et portée juridique du PPA

Le Plan de protection de l’atmosphère (PPA) est un outil de planification environnementale institué par les articles L. 222-4 à L. 222-6 du code de l’environnement. Il doit être élaboré dans les zones où les valeurs limites de qualité de l’air sont dépassées ou risquent de l’être à court terme, ainsi que dans les agglomérations de plus de 250 000 habitants. Le PPA vise à identifier les sources de pollution atmosphérique sur un territoire donné et à déterminer les actions à mettre en œuvre, dans un délai contraint, pour en limiter l’impact sur la santé publique et l’environnement.

Son adoption relève du préfet de département (ou de région selon le cas), après concertation avec les collectivités territoriales concernées, les acteurs économiques, les associations environnementales et l’ensemble des parties prenantes. Il s’agit, formellement, d’un acte administratif unilatéral, généralement pris sous forme d’arrêté préfectoral.

Bien qu’il ne constitue ni un règlement local ni un schéma directeur, le PPA fait grief : il produit des effets juridiques en ce qu’il oriente ou limite certaines activités (trafic routier, pratiques agricoles, chauffage domestique, etc.), ce qui a été reconnu dès l’arrêt du Conseil d’État du 26 mars 2008 (n° 300952, Association Les Amis de la Terre Paris). Par cette décision, la Haute juridiction a admis la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un PPA, soulignant ainsi son caractère contraignant.

Le PPA s’insère dans une logique de planification descendante où les préfets sont chargés de traduire, à l’échelle locale, les orientations fixées par les normes nationales et européennes. À ce titre, il devient le vecteur de mise en œuvre des obligations de l’État en matière de qualité de l’air.

B. Encadrement européen du contenu du PPA

La directive 2008/50/CE du 21 mai 2008, relative à la qualité de l’air ambiant et à un air pur pour l’Europe, constitue le fondement européen du PPA. Elle impose aux États membres de veiller à ce que les concentrations de certains polluants (particules fines PM10, dioxyde d’azote NO₂, ozone O₃, benzène, etc.) ne dépassent pas les valeurs limites fixées par le texte.

L’article 13 de cette directive prévoit l’interdiction de tout dépassement de ces valeurs à compter de dates butoirs précises, tandis que l’article 23 impose aux États qui y contreviennent d’élaborer des « plans relatifs à la qualité de l’air » visant à ramener les niveaux de pollution sous les seuils admissibles dans les délais les plus courts possibles.

Dans un arrêt désormais fondamental, ClientEarth (CJUE, 19 novembre 2014, aff. C-404/13), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les dispositions de l’article 23 ont effet direct et que les juridictions nationales doivent pouvoir ordonner aux autorités compétentes d’élaborer un plan conforme à ces exigences. Il en résulte que le contenu d’un PPA peut être directement contrôlé à l’aune des exigences européennes, indépendamment de la volonté ou des moyens allégués par l’administration nationale.

Cette position a été intégrée dans la jurisprudence du Conseil d’État, notamment dans sa décision du 12 juillet 2017 (n° 394254, Les Amis de la Terre France), dans laquelle il constate une carence fautive de l’État dans la lutte contre la pollution de l’air dans plusieurs agglomérations françaises, dont Paris, Lyon et Marseille, et lui enjoint de prendre dans un délai déterminé des mesures complémentaires pour respecter les seuils imposés.

Ces décisions consacrent une double évolution :
– d’une part, le passage d’une obligation de moyens à une obligation de résultat, imposée aux États par le droit de l’Union ;
– d’autre part, le renforcement du pouvoir d’injonction du juge administratif, en qualité de « juge de l’Union », chargé d’assurer la pleine effectivité des normes européennes.

II. Le contentieux des PPA : voies de recours et moyens juridiquement pertinents

A. Une action ouverte devant le juge administratif : conditions de recevabilité

En tant qu’actes administratifs unilatéraux, les Plans de protection de l’atmosphère peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif territorialement compétent. Ce recours est soumis au délai de droit commun de deux mois à compter de la publication ou de la notification du plan.

La jurisprudence constante du Conseil d’État, notamment dans l’affaire CE, 26 mars 2008, n° 300952, admet que les PPA font grief, c’est-à-dire qu’ils ont des effets juridiques susceptibles d’affecter la situation des administrés. En conséquence, toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt à agir – c’est-à-dire d’un lien suffisamment direct et certain avec l’objet du plan – peut en demander l’annulation.

Ce droit est classiquement reconnu :

  • aux associations de protection de l’environnement régulièrement déclarées et actives localement, conformément à l’article L. 142-1 du code de l’environnement ;

  • aux collectivités territoriales concernées, dans le cadre de leur pouvoir de police ou de planification ;

  • et, plus rarement, à des personnes physiques, lorsque celles-ci résident dans une zone où les seuils de pollution sont dépassés et peuvent démontrer un impact direct sur leur santé ou leur cadre de vie.

Dans l’affaire pendante devant le tribunal administratif de Nice, le Collectif citoyen 06 semble réunir l’ensemble des conditions d’intérêt à agir, en tant qu’acteur local engagé depuis plusieurs années dans la lutte contre les nuisances atmosphériques de l’agglomération niçoise.

B. Les moyens de légalité externe et interne classiquement recevables

Le contentieux des PPA repose sur les fondements classiques du recours pour excès de pouvoir, selon une distinction entre moyens de légalité externe (relatifs à la compétence, à la procédure, à la motivation) et moyens de légalité interne(fondés sur le contenu du plan).

Parmi les griefs habituellement soulevés, on trouve :

  • des vices de procédure, notamment l’insuffisance de la concertation préalable, l’absence de consultation des autorités sanitaires ou d’évaluation environnementale ;

  • des erreurs d’appréciation dans l’identification des sources de pollution ou l’évaluation des impacts sanitaires ;

  • l’insuffisance des mesures prévues, en ce qu’elles ne sont ni ciblées, ni contraignantes, ni assorties d’objectifs chiffrés et vérifiables ;

  • la méconnaissance des normes européennes, en particulier des articles 13 et 23 de la directive 2008/50/CE, qui fixent des obligations précises quant à la réduction des émissions dans des délais stricts.

Ainsi, un plan qui ne prévoit aucune mesure spécifique à l’égard de sources identifiées de pollution (trafic autoroutier, zones d’activité industrielle, chauffage au bois, etc.) peut être regardé comme manifestement inadapté, et donc entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Dans la décision précitée du 12 juillet 2017 (n° 394254), le Conseil d’État a jugé que l’État avait, dans certaines zones, gravement sous-estimé les effets de la pollution sur la santé publique, et que les plans alors en vigueur ne permettaient pas de respecter les exigences de la directive européenne. Il a enjoint à l’administration de prendre des mesures supplémentaires, marquant un tournant contentieux significatif.

C. Vers une obligation de cohérence et d’effectivité dans les politiques publiques

La doctrine, notamment sous la plume d’Alix Perrin et Meryem Deffairi (AJDA 2018, p. 167), souligne que l’adoption d’un PPA ne saurait suffire, à elle seule, à démontrer la conformité de l’État à ses obligations européennes. Ce plan doit être cohérent, articulé et effectif, au regard de l’ensemble des politiques publiques mobilisables : réglementation sur les transports, fiscalité incitative, urbanisme, autorisations environnementales, réglementation des ICPE, etc.

Il ne suffit donc pas de formuler des intentions générales ou de proroger des plans antérieurs : le juge administratif est désormais habilité à contrôler la cohérence d’ensemble du dispositif, à la lumière du droit européen et des impératifs de santé publique. La carence de l’État, même partielle, peut ainsi être reconnue et conduire à une injonction de révision substantielle du plan.

C’est précisément ce que reproche ici le Collectif citoyen 06 au PPA des Alpes-Maritimes : son caractère lacunaire, son défaut d’effectivité dans des zones identifiées comme critiques, et l’absence de prise en compte de certaines sources majeures de pollution, comme les deux-roues motorisés ou les axes de transit urbain à fort trafic.

III. L’office du juge administratif dans la mise en œuvre du droit européen de l’air

A. De la légalité au contrôle de l’effectivité : l’évolution du rôle du juge administratif

Longtemps cantonné à un contrôle restreint de légalité, notamment en matière d’actes de planification, le juge administratif français a vu son rôle profondément évoluer sous l’effet combiné du droit de l’Union européenne et des exigences croissantes de protection de l’environnement.

Dès l’arrêt CE, Ass., 29 juin 2001, Vassilikiotis, le Conseil d’État reconnaissait au juge administratif la possibilité de prononcer des injonctions à l’administration, en dehors même de la loi du 8 février 1995, dès lors qu’il s’agissait d’assurer le respect effectif du droit communautaire. Ce pouvoir a été pleinement assumé dans les contentieux relatifs à la pollution de l’air, où l’État est régulièrement mis en cause pour inaction.

Ainsi, dans sa décision du 12 juillet 2017 (n° 394254, Les Amis de la Terre France), le Conseil d’État constate que les mesures contenues dans les PPA alors en vigueur sont insuffisantes au regard des objectifs de la directive 2008/50/CE. Il enjoint à l’administration de les compléter dans un délai de six mois. Puis, dans une décision du 10 juillet 2020 (n° 428409, Commune de Grande-Synthe), la Haute juridiction, statuant en référé, va jusqu’à ordonner à l’État de justifier de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre, dans le respect de ses engagements climatiques.

Ce glissement vers un office substantiel, reposant sur la pleine effectivité des normes européennes, est corroboré par la doctrine administrative elle-même. Comme le soulignent Aude Bouveresse (RTD Eur. 2018, p. 392) et Alix Perrin et Meryem Deffairi (AJDA 2018, p. 167), le juge administratif devient aujourd’hui un véritable organe d’exécution du droit de l’Union, chargé de sanctionner l’inaction normative de l’État et de garantir l’atteinte des objectifs environnementaux, même en l’absence de texte national spécifique.

B. Le pouvoir d’injonction comme instrument de mise en conformité

L’un des développements les plus significatifs de cette jurisprudence tient à la reconnaissance du pouvoir du juge de formuler des injonctions à effet normatif. Il ne s’agit plus simplement d’annuler un acte pour excès de pouvoir, mais de contraindre l’administration à adopter de nouvelles mesures concrètes, ciblées et rapidement mises en œuvre.

Ainsi, dans l’arrêt du 17 octobre 2022 (CE, n° 428409, suite de l’affaire Grande-Synthe), le Conseil d’État, constatant le caractère incomplet des réponses gouvernementales, inflige à l’État une astreinte de 20 millions d’euros par semestre de retard. Le juge ne se contente plus d’un rappel au droit : il sanctionne, en montant sur le terrain de l’exécution.

Dans le contentieux des PPA, ce pouvoir prend une signification particulière. Un plan jugé trop vague, trop général ou déconnecté des enjeux territoriaux peut être annulé et suivi d’une injonction de révision, avec des délais impartis. Le juge peut en outre ordonner la mise en place de mesures spécifiques, comme des zones à faibles émissions, des restrictions de circulation, ou la surveillance accrue de certains polluants.

C. Perspectives pour l’affaire niçoise : un juge saisi, une administration sous contrainte

Dans le cas actuellement pendant devant le tribunal administratif de Nice, la décision à intervenir le 4 juin 2025 pourrait constituer une étape importante. Si le juge constate que les mesures du PPA azuréen sont manifestement insuffisantes au regard des niveaux de pollution connus, il pourra :

  • en prononcer l’annulation partielle ou totale ;

  • enjoindre au préfet de région d’adopter un plan révisé dans un délai strict ;

  • voire assortir cette injonction d’une astreinte, en cas d’inaction persistante.

Ce contentieux, initié à l’échelle locale, est emblématique d’un glissement du droit administratif vers un droit d’exécution environnementale, où le juge ne se contente plus de statuer sur la forme des actes, mais exige leur conformité à des résultats sanitaires et climatiques précis, sur le fondement du droit européen.

Conclusion

L’affaire jugée à Nice n’est pas une simple contestation d’un plan préfectoral : elle illustre un changement de paradigmedans le contentieux administratif environnemental. Le PPA, longtemps perçu comme un outil purement technique, devient désormais l’objet d’un contrôle de cohérence, d’efficacité et de conformité aux objectifs européens.

Le juge administratif s’impose, progressivement mais sûrement, comme le garant du respect des engagements climatiques et sanitaires de l’État. À condition de structurer solidement leur recours, d’invoquer les bons fondements – notamment les articles 13 et 23 de la directive 2008/50/CE – et de documenter l’insuffisance des mesures, les requérants disposent désormais d’un véritable levier contentieux pour contraindre les autorités à agir, au-delà des promesses.