Le droit de l’urbanisme est devenu, en quelques années, l’un des lieux privilégiés d’une tension qui traverse l’État de droit tout entier : sécuriser les personnes et les biens face à des risques naturels mieux connus, plus documentés, parfois plus intenses — tout en préservant la sécurité juridique des normes qui encadrent l’usage des sols.

D’un côté, la prévention des risques n’est plus une simple “option” de bonne gestion : elle figure au cœur des objectifs du Code de l’urbanisme, qui impose de concilier l’action publique avec la prévention des risques naturels prévisibles (C. urb., art. L. 101-2, 5°). De l’autre, la multiplication des couches normatives — zonages, règlements “risques”, annexes, servitudes, documents graphiques, renvois croisés, outils cartographiques numériques — heurte une exigence tout aussi structurante : celle d’une norme accessible, intelligible et prévisible, condition minimale de la confiance des administrés dans la règle de droit (objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité ; principe de sécurité juridique).

Or, c’est ici que naît un paradoxe : la recherche du “moindre risque” — c’est-à-dire l’anticipation la plus prudente possible, l’extension des périmètres de précaution, l’application de la règle la plus protectrice, l’empilement des garde-fous — peut elle-même susciter un risque nouveau : celui d’une norme trop dense pour être “pratiquée”, et donc trop aisément contestable. Le contentieux se déplace alors : il ne porte plus seulement sur la légitimité des choix d’aménagement, mais sur la lisibilité même du document, sur son architecture, sur la capacité d’un propriétaire, d’un opérateur, voire d’un service instructeur, à identifier sans équivoque la règle applicable.

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 23 décembre 2025, relatif au PLUi de Grenoble-Alpes Métropole, illustre parfaitement ce basculement. Saisie par une société contestant l’inconstructibilité de ses parcelles, la Cour est conduite à répondre à une critique devenue classique : celle d’un PLUi qui “sur-réglemente” les risques, cumule les normes, et finirait par devenir illisible. La Cour rejette l’ensemble des moyens, et assume une ligne jurisprudentielle riche d’enseignements : la complexité n’est pas, en soi, une illégalité, dès lors que la norme demeure compréhensible et opératoire pour le public.

La question mérite alors d’être posée en termes simples, presque brutaux : qu'est-ce qui doit primer ? La sécurité des personnes, qui appelle la prudence maximale, ou la sécurité juridique, qui exige une norme praticable ? Et surtout : jusqu’où le risque peut-il justifier la complexité et le chevauchement des normes, sans basculer dans une opacité génératrice de contentieux ?

C’est à cette interrogation que l’on se propose de répondre, en trois temps : d’abord en présentant les deux rationalités en tension (prévention du risque et lisibilité de la norme), ensuite en montrant comment le chevauchement des normes de risque devient la mécanique ordinaire des PLUi — jusqu’à constituer parfois l’objet même du procès —, enfin en esquissant une grille de lecture utile aux praticiens : une forme de proportionnalité de la complexité, permettant de comprendre ce que le juge accepte, ce qu’il sanctionne, et ce que les auteurs de documents d’urbanisme peuvent faire pour éviter que “moins de risque” ne se traduise, mécaniquement, par “plus de procès”.

Pour répondre utilement à cette tension — et éviter qu’elle ne reste un simple slogan (“risque contre lisibilité”) — l’analyse sera conduite en trois temps.

  • I. D’abord, il faut mettre à plat les deux exigences en présence : la sécurité des personnes et des biens (par la prévention des risques) et la sécurité juridique (par l’accessibilité, l’intelligibilité et la prévisibilité de la norme). Ce sont deux “sécurités” qui ne se confondent pas, mais qui prétendent chacune à une forme de primauté.

  • II. Ensuite, on verra comment, dans l’urbanisme des risques, le chevauchement des normes (PPRi annexé, règlement du PLUi, cartographies, règles d’arbitrage) n’est pas une anomalie, mais une mécanique presque structurelle — au point de devenir, comme dans l’affaire du PLUi Grenoble-Alpes Métropole, l’objet même du contentieux : non plus seulement “suis-je constructible ?”, mais “la règle est-elle praticable ?”.

  • III. Enfin, on proposera une grille de lecture opérationnelle : jusqu’où le risque justifie-t-il la complexité, et à partir de quel seuil la complexité bascule-t-elle dans l’opacité — génératrice de nouveaux recours ? Autrement dit, une forme de proportionnalité de la complexité, telle que le juge la laisse entrevoir, et telle que les collectivités et praticiens peuvent s’en saisir.

I. Deux rationalités de la norme en tension : sécurité des personnes vs sécurité juridique

A. La prévention des risques : une finalité structurante, portée par les textes

L’idée la plus simple — et la plus souvent oubliée dans les débats publics — est que la prévention des risques n’est pas seulement une prudence politique : c’est un objectif légal.

Le Code de l’urbanisme impose en effet que l’action des collectivités en matière d’aménagement et d’urbanisme vise notamment la prévention des risques naturels prévisibles (C. urb., art. L. 101-2, 5°). Cette finalité irrigue ensuite la mécanique même du PLU/PLUi : le document de planification n’est pas seulement un instrument de “projet”, il est aussi un instrument d’encadrement et parfois de renoncement — renoncement à construire, renoncement à densifier, renoncement à ouvrir à l’urbanisation.

Le règlement, pour sa part, est précisément la pièce qui “fait tomber” ce principe dans le réel : en cohérence avec le PADD, il fixe les règles applicables au sol et peut, à ce titre, accueillir des prescriptions de prévention (C. urb., art. L. 151-8). La prévention du risque est donc parfaitement “chez elle” dans un PLUi : elle n’est ni un ajout exotique, ni un luxe de technicien.

En parallèle, le droit de l’environnement confie à l’État les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN/PPRi) (C. env., art. L. 562-1), lesquels ont vocation, une fois approuvés, à valoir servitudes d’utilité publique et à être annexés au PLU/PLUi (C. env., art. L. 562-4).

Ce double ancrage (urbanisme + environnement) explique la dynamique actuelle : la prévention des risques se traduit par des outils qui s’additionnent et se répondent. Et c’est précisément cette addition qui fait naître la question de la lisibilité.

Si la norme “anti-risque” s’épaissit, ce n’est pas toujours par goût de la complication ; c’est souvent par obligation d’anticiper, sous le regard simultané du juge, des assureurs, des services de l’État, et — plus largement — de l’opinion publique dès lors qu’un événement survient.


B. La lisibilité : une exigence d’État de droit, qui n’est pas un droit à la “norme simple”

Face à cette logique, la lisibilité n’est pas une simple revendication d’usager impatient : elle est une condition de validité démocratique de la norme.

L’accessibilité et l’intelligibilité sont classiquement reconnues comme un objectif à valeur constitutionnelle : la règle ne peut être respectée — et surtout contestée loyalement — que si elle est intelligible. La sécurité juridique, en contentieux administratif, a également acquis une consistance propre : elle vise l’exigence minimale de stabilité et de prévisibilité des situations juridiques (on pense, notamment, à la décision CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et autres, souvent mobilisée comme “socle” de ce principe).

Mais il faut immédiatement éviter un contresens : l’intelligibilité n’implique pas la simplicité. Le droit ne garantit pas un “PLUi en dix pages”. Ce qu’il garantit, c’est une norme praticable, c’est-à-dire :

  • accessible (le public doit pouvoir consulter les pièces pertinentes),

  • compréhensible (les définitions, renvois et catégories doivent être maîtrisables),

  • opérationnelle (on doit pouvoir déterminer, pour une parcelle donnée, la règle applicable sans résoudre une énigme).

Dit autrement : la lisibilité est moins un idéal littéraire qu’une exigence fonctionnelle. Une norme est lisible quand elle permet à l’administré de se repérer.

Plus le droit des risques devient “multi-couches”, plus la lisibilité bascule d’un enjeu de forme vers un enjeu de fond — car une norme illisible n’est pas seulement désagréable ; elle devient suspecte au regard de la sécurité juridique.


C. Le nœud : la norme “anti-risque” appelle une norme “anti-contentieux”… mais produit souvent l’inverse

C’est ici que se loge le paradoxe central.

Dans l’esprit des auteurs de PLUi, l’empilement des précautions vise souvent une chose : réduire l’aléa, fermer les zones d’incertitude, éviter que le document ne “laisse passer” une construction dans un secteur à danger. C’est une logique de protection, parfois de sur-protection assumée : si le risque existe, même sous forme d’incertitude (rupture d’ouvrage, aléas résiduels, scénarios extrêmes), alors le document tend à étendre la zone de vigilance.

Or, cette logique produit mécaniquement :

  1. des effets juridiques plus lourds (inconstructibilité, restrictions, règles d’arbitrage “la plus contraignante”),

  2. une architecture normative plus dense (renvois, annexes, cartographies, secteurs de précaution),

  3. et donc davantage de risques contentieux, notamment de deux types :

  • des moyens “classiques” au fond : erreur d’appréciation, incohérence du zonage, insuffisance de justification du périmètre, atteintes disproportionnées à l’usage du sol ;

  • des moyens “structurels” : contradiction interne, hiérarchie obscure des documents, et surtout illisibilité.

La conséquence est presque ironique : plus on cherche le moindre risque, plus on fabrique le terrain d’un autre risque — celui d’une contestation nourrie non seulement par l’atteinte au droit de construire, mais par l’idée que la norme devient “impraticable”.

C’est exactement ce que met en scène le contentieux du PLUi Grenoble-Alpes Métropole : une partie du débat ne porte plus seulement sur le point de savoir si la prévention est légitime (elle l’est), mais sur le point de savoir si le document, par son système de renvois et de couches, demeure juridiquement praticable.

Il ne s’agit donc pas d’un arbitrage binaire (“risque” contre “lisibilité”), mais d’une obligation de conciliation : la prévention du risque peut justifier une complexité réelle, mais cette complexité ne devient acceptable qu’à une condition — qu’elle demeure gouvernée, hiérarchisée, et lisible en pratique.

II. Le chevauchement des normes de risque : mécanique ordinaire ou dérive illisible ? (l’illustration par le PLUi Grenoble-Alpes Métropole)

A. Une architecture “en strates” : PPRi (État) + PLUi (EPCI) + annexes + outils de lecture

L’urbanisme des risques est, par construction, un droit à deux mains.

  • La main de l’État, d’abord, via les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN / PPRi), élaborés dans le cadre du code de l’environnement (C. env., art. L. 562-1). Le PPRi approuvé emporte des effets juridiques forts : il s’impose, et il devient une servitude d’utilité publique devant être annexée au PLU/PLUi (C. env., art. L. 562-4).

  • La main de la collectivité compétente en urbanisme, ensuite, au travers du PLU/PLUi : non seulement parce qu’il doit intégrer (au moins par annexion) ces servitudes, mais aussi parce que l’objectif de prévention des risques irrigue le document lui-même (C. urb., art. L. 101-2, 5°) et peut trouver une traduction directe dans le règlement (C. urb., art. L. 151-8).

De cette cohabitation naît une réalité pratique bien connue des praticiens : la norme applicable à une parcelle n’est pas toujours la simple lecture d’un article du règlement. Elle peut résulter :

  1. d’un zonage (U / AU / N / A, etc.) ;

  2. d’une servitude annexée (PPRi) ;

  3. d’un dispositif interne du PLUi (règlement des risques, secteurs spécifiques, “bandes” de précaution, règles d’arbitrage) ;

  4. et, de plus en plus, d’une lecture cartographique (portail, plan interactif), devenue l’interface concrète entre la règle et le public.

Le chevauchement n’est donc pas une anomalie : il est la grammaire même de l’urbanisme des risques. La vraie question n’est pas “y a-t-il chevauchement ?” mais : comment ce chevauchement est gouverné, et si la règle qui en résulte demeure déterminable.


B. Ce que valide la CAA de Lyon : une complexité admise, mais à condition d’un “chemin de lecture”

C’est ici que l’arrêt du 23 décembre 2025 est particulièrement éclairant. Le requérant ne contestait pas seulement une règle ; il contestait un système : la combinaison de documents et de prescriptions conduisant à rendre inconstructibles des parcelles pourtant situées dans un secteur à vocation économique.

Trois validations de la Cour retiennent l’attention.

1) Le PLUi peut “compléter” la prévention des risques au-delà du PPRi
La Cour admet que la collectivité, au titre de sa compétence urbanisme et de l’objectif de prévention (C. urb., L. 101-2) peut retenir des prescriptions ou périmètres qui ne se confondent pas nécessairement avec ceux du PPRi, lorsque la prise en compte du risque par l’État est jugée insuffisante sur un point donné (dans l’affaire, l’arrière-digue / rupture d’ouvrage est l’arrière-plan technique).
Autrement dit : le PPRi n’est pas un “plafond” intouchable ; il est un socle qui n’interdit pas, par principe, l’anticipation urbanistique — à condition que celle-ci reste dans son office : urbanisme et prévention, non substitution à la compétence de l’État.

2) La technique de la “règle la plus contraignante” n’est pas disqualifiée
Les auteurs de PLUi cherchent souvent à neutraliser les conflits de normes par une clause simple : en cas de cumul, on applique la règle la plus protectrice (celle du PPRi annexé ou celle du PLUi).
La Cour, dans cette affaire, ne condamne pas ce mécanisme comme une surenchère “par nature”. Elle le lit comme une règle d’arbitrage interne : elle dit au public comment trancher lorsque plusieurs prescriptions se superposent.
Ce point est essentiel, car il montre qu’aux yeux du juge, la “sur-réglementation” ne se présume pas du seul fait qu’il existe une règle plus stricte ; elle s’apprécie au regard de sa finalité et de sa cohérence.

3) La lisibilité ne se confond pas avec la simplicité matérielle
Enfin — et c’est l’aspect qui vous intéresse au premier chef — la Cour répond au grief d’illisibilité par une approche volontiers réaliste : un PLUi intercommunal est nécessairement volumineux ; il comporte une pluralité de pièces, des renvois, des documents graphiques, parfois des règlements “thématiques”.
Ce qui compte est ailleurs : l’existence d’un chemin de compréhension, notamment via des outils cartographiques permettant, pour une parcelle, d’identifier les couches applicables.
On voit ainsi émerger une idée importante : la lisibilité devient fonctionnelle. Le document n’a pas à être “simple”, il a à être opérationnel.


C. Le contentieux change de nature : de la contestation d’un zonage à la contestation de l’“architecture normative”

L’enseignement le plus fécond, pour un article de blog, est sans doute celui-ci : la prévention des risques n’engendre plus seulement un contentieux “classique” (erreur manifeste, incohérence, disproportion). Elle engendre un contentieux d’architecture.

Le requérant ne dit plus seulement :

“Je conteste l’inconstructibilité de ma parcelle”.

Il dit aussi :

“Je conteste la manière dont vous avez fabriqué cette inconstructibilité — par strates, par renvois, par mécanismes d’arbitrage — au point que la norme devient contestable comme système”.

C’est ce basculement qui rend la “quête du moindre risque” paradoxalement dangereuse sur le terrain contentieux. Plus on multiplie les couches, plus on ouvre des angles d’attaque :

  • Contradictions internes (zonage économique vs interdictions issues du risque) ;

  • Incertitudes de hiérarchie (quelle règle prime, comment, dans quel ordre ?) ;

  • Impraticabilité (le public peut-il déterminer la règle sans expertise privée ?) ;

  • Traçabilité insuffisante (pourquoi tel périmètre, sur quelles bases, avec quelle cohérence d’ensemble ?).

L’arrêt de la CAA de Lyon est, de ce point de vue, un jalon : il montre que le juge n’oppose pas à la prévention des risques une exigence abstraite de simplicité ; il lui oppose une exigence plus exigeante, mais plus praticable : la complexité est admise, à condition d’être maîtrisée.

C’est précisément cette idée qui appelle la troisième partie : si la complexité peut être “légitime”, où est la limite ? À partir de quand la prévention du risque cesse-t-elle de justifier l’empilement, parce que l’empilement lui-même crée une insécurité juridique ? Autrement dit : existe-t-il une forme de proportionnalité de la complexité ?

III. Ce qui prime, jusqu’où, et à quel prix ? Vers une “proportionnalité de la complexité”

L’arrêt de la CAA de Lyon du 23 décembre 2025 ne dit pas “le risque prime toujours”, pas plus qu’il ne dit “la lisibilité doit l’emporter”. Il dessine autre chose : une conciliation implicite, que l’on peut formuler ainsi :

La prévention du risque peut justifier la complexité, mais elle ne justifie pas l’opacité.
La lisibilité n’exige pas la simplicité ; elle exige que la complexité soit gouvernée.

Cette approche est, à mon sens, la seule tenable : le droit de l’urbanisme n’est pas un exercice de style, c’est une norme de gouvernement du territoire. Dès lors, la question pertinente n’est pas “ce qui prime” mais “à quelles conditions la complexité reste-t-elle admissible ?”.


A. Le risque peut justifier la complexité… si la complexité est orientée et non labyrinthique

Poser la distinction : chevauchement “lisible” vs chevauchement “labyrinthe”

Le chevauchement des normes (PPRi annexé + règlement du PLUi + plan des risques + dispositifs complémentaires) est, on l’a vu, largement inévitable. Mais il existe deux formes de chevauchement :

  • Le chevauchement lisible : les couches se superposent, mais la hiérarchie est claire, le mode d’emploi est donné, et la règle applicable est déterminable.

  • Le chevauchement labyrinthe : les couches se superposent, mais l’administré (ou même un instructeur) ne peut pas savoir, sans expertise, ce qui prime, où se trouve la règle, ni comment l’appliquer.

La première forme est ce que valide, en creux, la Cour : elle n’interdit pas la pluralité des documents ; elle exige que cette pluralité ne se traduise pas par une défaillance de compréhension.

1) Premier critère de “proportionnalité” : la finalité et la nécessité

La prévention des risques est un objectif expressément inscrit au Code de l’urbanisme (L. 101-2, 5°) et le PLUi peut le traduire dans son règlement (L. 151-8). Mais cette légitimité de principe ne dispense pas d’une question de méthode : chaque couche supplémentaire doit pouvoir être justifiée par un besoin.

Autrement dit : on peut complexifier, mais la complexification doit être orientée. Elle ne doit pas être un réflexe défensif (“mieux vaut trop que pas assez”), car ce réflexe, paradoxalement, devient la matière première du contentieux.

2) Deuxième critère : l’existence d’un “chemin de lecture” immédiatement mobilisable

La CAA de Lyon donne un indice très concret : elle accepte la complexité en valorisant les outils permettant au public de s’y repérer (portail cartographique, présentation didactique, structuration). Cela signifie qu’au fond, le juge exige une norme “praticable”.

On peut en tirer une règle simple, presque brutale :

Le risque justifie la complexité si, et seulement si, la complexité ne fait pas perdre la règle.


B. La “règle la plus protectrice” et l’anticipation maximale : des générateurs de contentieux

La quête du moindre risque produit une rhétorique normative connue : bandes de précaution “au cas où”, extension de secteurs de vigilance, clauses d’arbitrage imposant la règle la plus contraignante, renvois systématiques aux annexes… Le problème n’est pas la prudence en soi ; c’est la manière dont elle se transforme en contentieux.

1) Le contentieux n’attaque pas seulement la rigueur de la méthode : il s'attaque aussi à la traçabilité

Plus le PLUi se veut protecteur, plus il doit être capable de répondre à une question simple : pourquoi ici et pas ailleurs ?
Or, la prudence “maximale” tend à produire des périmètres discutables : trop larges (atteinte injustifiée) ou trop étroits (incohérence). Dans les deux cas, la contestation trouve prise.

La prudence devient alors une obligation de preuve : si le document ajoute une couche par rapport au PPRi, il doit pouvoir en expliquer la cohérence, la logique, et la compatibilité d’ensemble.

2) La “règle la plus contraignante” : bonne technique d’arbitrage, mauvaise technique de gouvernance si elle n’est pas encadrée

La Cour admet l’idée : en cas de cumul, on applique la règle la plus protectrice. Sur le papier, cela ressemble à une technique de sécurité juridique : au moins, on sait comment trancher.

Mais cette clause peut produire l’effet inverse si elle n’est pas “encadrée” :

  • si l’administré ne sait pas quelles règles entrent en concurrence,

  • si les documents se renvoient sans jamais “tomber” sur une norme directement applicable,

  • si la clause aboutit, dans les faits, à une inconstructibilité par surprise.

Dès lors, le contentieux ne visera pas seulement la sévérité ; il visera le procédé : on reprochera à la norme de ne pas être loyalement intelligible.

3) Un nouveau contentieux émerge : le procès de l’“impraticabilité normative”

C’est, à mon avis, la vraie dynamique des prochaines années : la contestation des PLUi ne s’arrête plus à l’erreur manifeste ou à l’incohérence du zonage ; elle investit la structure du document.

Le grief devient :

  • “Vous avez fabriqué une règle qui n’est pas connaissable sans expertise.”

  • “Vous avez transformé la prévention en système d’opacité.”

Et c’est ici que la sécurité juridique reprend sa place : non pas comme une arme contre la prévention, mais comme un garde-fou contre la dérive bureaucratique de la prudence.


C. Une grille opérationnelle pour “tenir” les deux exigences (et réduire le risque contentieux)

Plutôt que de rester dans l’affrontement abstrait, on peut proposer une grille de contrôle — utile tant aux collectivités qu’aux avocats.

1) Pour les collectivités et bureaux d’études : 7 exigences simples, à effet anti-contentieux

  1. Énoncer la hiérarchie des normes de risque : ce qui relève du PPRi annexé, ce qui relève du PLUi, et comment elles interagissent.

  2. Définir le mode d’emploi : “où trouver la règle applicable à une parcelle”, avec un renvoi clair vers un outil cartographique et vers les pièces pertinentes.

  3. Éviter les renvois circulaires : un renvoi doit toujours aboutir à une règle directement mobilisable.

  4. Harmoniser légendes et terminologies : même mot, même sens ; même couleur, même portée.

  5. Tracer la justification des couches supplémentaires (périmètres, bandes, secteurs) : pas nécessairement en multipliant les annexes, mais en rendant la logique explicite.

  6. Encadrer la “règle la plus contraignante” : préciser les cas de cumul, les règles typiquement en concurrence, et donner des exemples.

  7. Assumer la pédagogie : un PLUi n’est pas seulement un acte réglementaire ; c’est un outil de gouvernement local. Si la prévention sert la protection, la pédagogie sert la sécurité juridique.

2) Pour les praticiens et requérants : les questions qui “font tomber” le système

  • La règle applicable est-elle déterminable sans expertise ?

  • Le mécanisme de hiérarchie est-il explicite (ou implicite et reconstitué par le requérant) ?

  • Y a-t-il une contradiction interne (vocation économique / inconstructibilité par bandes) ?

  • Les couches supplémentaires sont-elles nécessaires, ou relèvent-elles d’une prudence indistincte ?

  • Les documents offrent-ils un chemin de lecture cohérent, notamment par la cartographie et une structure compréhensible ?

Cette grille permet une chose : déplacer le débat de la simple indignation (“c’est trop complexe”) vers un terrain juridiquement plus solide : la complexité est-elle gouvernée, justifiée, opératoire ?


Conclusion : le vrai primat n’est ni le risque ni la lisibilité — c’est la loyauté de la norme

En définitive, poser la question “qui prime ?” revient à mal poser le problème. Le risque ne peut pas être ignoré ; la lisibilité ne peut pas être sacrifiée.

Ce qui doit primer, c’est une exigence plus profonde : la loyauté de la norme.

  • Loyauté envers les personnes et les biens : ne pas faire semblant de prévenir, ne pas laisser des zones d’aléas résiduels sans cadre.

  • Loyauté envers les administrés : ne pas fabriquer une inconstructibilité “par strates”, que l’on ne découvre qu’après coup au détour d’un plan, d’un renvoi, d’une annexe.

La CAA de Lyon, en validant un PLUi complexe mais “lisible en pratique”, adresse un message clair : le juge accepte la prudence, y compris lorsqu’elle conduit à des règles sévères ; mais il attend, en retour, que cette prudence ne se transforme pas en un labyrinthe normatif.

Et c’est probablement là la leçon à méditer : à force de vouloir supprimer tout risque, on finit parfois par créer le risque le plus corrosif pour l’action publique locale — le risque d’une norme contestable parce qu’elle n’est plus réellement intelligible et accessible.