La loi Marché du travail : l’abandon de poste n’ouvre plus nécessairement droit à l’allocation chômage

Après son passage au crible par le Conseil Constitutionnel, et la décision rendue par ce dernier le 15 décembre 2022[1], les dispositions de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022, dite « Marché du travail » ont été jugées conformes par le gardien des droits constitutionnels.

Focus sur cette loi, entrée en vigueur le 23 décembre 2022, et qui remet en cause la pratique – presque institutionnelle – de la rupture du contrat de travail suite à un abandon de poste, cette dernière pouvant désormais être privative des allocations versées par Pôle Emploi.

 

Rappel : quand est-ce que la rupture du contrat de travail ouvre droit au versement d’une allocation chômage ?

Selon la logique qui gouverne le droit à perception des allocations chômage, le versement de l’ARE (allocation de retour à l’emploi) par Pôle Emploi dépend de la partie à l’origine de la rupture du contrat de travail.

L’idée principale du dispositif légal est la suivante : si la situation de demandeur à l’emploi d’un salarié résulte de son propre fait, alors ce dernier se voit priver des revenus de substitution octroyés par l’organisme d’assurance chômage.

De cette logique de « cause-conséquence » découle les schémas traditionnels suivants :

–Lorsque le salarié est licencié, et que la perte de son travail est donc indépendante de sa volonté, le droit à l’ARE lui est ouvert ;

–Lorsque le salarié choisit lui-même de quitter son emploi et démissionne, la perte d’emploi résulte de sa volonté, et il ne peut toucher l’ARE ;

–Lorsque les deux parties sont d’accord pour mettre un terme au contrat et signent une rupture conventionnelle, le salarié n’est pas l’unique instigateur de la rupture des relations de travail et peut également percevoir l’ARE.

Il est à noter que la loi prévoit déjà, à ce jour, quelques exceptions à l’absence de versement de l’ARE en cas de démission, notamment lorsque le salarié démissionne pour un motif considéré comme légitime[2].

L’abandon de poste avant l’entrée en vigueur de la loi Marché du Travail

Afin de mettre un terme à des relations de travail et de pouvoir bénéficier de l’ARE, il n’était pas rare de voir un salarié passer par une pratique couramment appelée « l’abandon de poste ».

Il convient de rappeler que derrière ces termes communément employés se cache, en réalité, une mesure de licenciement.

En effet, le salarié qui cessait de se présenter à son travail commettait une faute disciplinaire (absence injustifiée), ce qui conduisait en pratique l’employeur à initier, à son égard, une procédure de licenciement aboutissant à son licenciement pour faute grave.  

Dès lors, le salarié ne percevait ni indemnité de licenciement, ni préavis, mais pouvait toutefois s’inscrire en tant que demandeur à l’emploi auprès de Pôle Emploi, et bénéficier de l’ARE.

Ce procédé mettait à mal la logique précitée du droit à l’allocation chômage.

En effet, alors que l’abandon du poste traduisait la volonté du salarié de quitter son emploi, à la manière d’une démission, c’était bien l’employeur qui se rendait juridiquement responsable de la rupture du contrat de travail en prononçant la mesure de licenciement, ouvrant droit ainsi au versement de l’ARE.

 

Le nouveau visage de l’abandon de poste

Avec la loi Marché du travail, le législateur a souhaité rapprocher l’abandon de poste de la démission, instaurant dans certains cas, une présomption de démission du salarié désormais inscrite au sein du Code du travail, à article L. 1237-1-1.

Désormais, un employeur peut mettre en demeure un salarié ayant abandonné son poste de réintégrer ce dernier dans un délai donné, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge.

Si à l’expiration du délai annoncé, le salarié n’a pas réintégré son poste, il sera présumé avoir démissionné. En conséquence, le contrat de travail sera rompu, sans indemnités à verser par l’employeur, ni versement de l’ARE.

Il est à noter que l’employeur ne sera pas totalement libre de fixer le délai à l’issue duquel le salarié sera présumé démissionnaire.

Un décret pris en conseil d’état, non paru à date, doit prochainement fixer un délai minimal que l’employeur devra en tout état de cause donner au salarié pour réintégrer son poste.

L’article L. 1237-1-1 du Code du travail prévoit en outre une procédure judiciaire spécifique pour contester la rupture du contrat de travail par démission présumée.

Dans de telles circonstances, le salarié pourra saisir le Conseil de prud’hommes dans le cadre d’une procédure accélérée, l’instance devant statuer dans le mois suivant sa saisine sur la nature de la rupture et ses conséquences indemnitaires.  

Conséquences actuelles de l’abandon de poste 

Rien n’oblige l’employeur à faire application de la présomption de démission. De même, l’abandon de poste n’en reste pas moins une faute disciplinaire, de sorte que l’employeur aura toujours la possibilité de recourir à une procédure disciplinaire.

En pratique, si un salarié abandonne son poste de travail, les conséquences suivantes sont à présent envisageables :

–L’employeur peut mettre en demeure le salarié de reprendre son poste, et, en cas d’absence de retour du salarié,  de ce dernier ;

–L’employeur peut mettre en demeure le salarié de reprendre son poste dans un délai donné et, à l’issue, .

Quoiqu’il en soit, il convient de rappeler que le recours à l’abandon de poste a toujours inclus un facteur de risque pour le salarié car il n’emporte pas nécessairement la rupture du contrat de travail.

En effet, un employeur confronté à l’absence injustifiée de son salarié peut très bien tirer les conséquences de cette absence en cessant de verser le salaire, sans toutefois rompre le contrat de travail.

Dans un tel cas de figure, le salarié s’expose à une grande déconvenue : ne percevoir ni salaire, ni revenu de remplacement au regard de l’impossibilité de s’inscrire en tant que demandeur à l’emploi, un contrat de travail étant toujours en cours !

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[1] Conseil Constit., décision n°2022-844 DC du 15 décembre 2022

[2] Pour la liste exhaustive des motifs de démission considérés comme légitimes, se référer à l’article 2 du Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage ainsi que la convention UNEDIC et son accord d’application n° 14 du 14 avril 2017