Contexte et objet de la réforme
La loi n° 2025-595 du 30 juin 2025 étend et renforce la protection des personnes engagées dans un projet parental, qu’il s’agisse d’une assistance médicale à la procréation (PMA/AMP) ou d’une adoption. Entrée en vigueur le 2 juillet 2025, elle modifie notamment l’article L. 1225-3-1 du Code du travail et élargit le champ des autorisations d’absence prévues à l’article L. 1225-16.
Elle applique, en substance, aux salariés engagés dans un projet parental une partie du régime de protection historiquement attaché à la maternité, tout en intégrant le dispositif général de lutte contre les discriminations entre les femmes et les hommes [[Loi n° 2025-595 du 30 juin 2025]], [[C. trav., art. L. 1225-3-1]], [[C. trav., art. L. 1225-16]], [[C. trav., art. L. 1142-1]].
L’ambition est double. D’une part, faire obstacle aux décisions défavorables liées à la PMA ou à l’adoption (refus d’embauche, rupture d’essai, modification des conditions de travail). D’autre part, sécuriser la conciliation entre projet parental et emploi par des absences autorisées rémunérées et assimilées à du temps de travail effectif. Le législateur consacre ainsi une approche inclusive, auparavant fragmentée et principalement centrée sur la seule salariée engagée dans un parcours d’AMP [[C. trav., art. L. 1225-1 à L. 1225-3]].
Le droit applicable avant la réforme
Un noyau protecteur centré sur la maternité et l’AMP des salariées
Avant 2025, l’article L. 1225-3-1 visait la salariée bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation. La jurisprudence liait déjà ce statut à une protection inspirée de la maternité, prohibant les décisions fondées sur l’état de grossesse ou son corollaire, et admettant la nullité des ruptures motivées par un tel motif [[C. trav., art. L. 1225-1 à L. 1225-3]]. En revanche, le texte ne couvrait pas expressément l’ensemble des salariés, quel que soit leur sexe, engagés dans un parcours de PMA, ni les personnes engagées dans une procédure d’adoption.
Les autorisations d’absence : un régime parcellaire
L’article L. 1225-16 offrait des autorisations d’absence rémunérées, principalement au bénéfice de la salariée enceinte ou, par renvoi, à la salariée en AMP. L’adoption bénéficiait d’un cadre juridique partiel, sans précision générale sur les entretiens obligatoires d’agrément ni sur le nombre d’absences couvertes dans ce cadre, ce qui nourrissait une pratique hétérogène.
Le nouveau cadre issu de la loi n° 2025-595
L’extension personnelle du champ protégé
Harmonisant l’article L. 1225-3-1, le législateur prévoit désormais que les articles L. 1142-1 et L. 1225-1 à L. 1225-3 sont applicables à « tous les salariés engagés dans un projet parental » dans le cadre d’une AMP au sens de l’article L. 2141-1 du Code de la santé publique ou d’une adoption au sens du titre VIII du livre Ier du Code civil [[C. trav., art. L. 1225-3-1]], [[CSP, art. L. 2141-1]], [[C. civ., titre VIII, livre Ier]]. Concrètement, la protection contre les mesures discriminatoires s’étend à l’ensemble des salariés, femmes et hommes.
Cette extension s’articule avec l’interdiction des discriminations posée par l’article L. 1142-1 (égalité entre les femmes et les hommes), et plus généralement avec l’arsenal anti-discrimination du Code du travail, assorti d’une répartition probatoire favorable à la victime [[C. trav., art. L. 1142-1]], [[C. trav., art. L. 1134-1]].
La confidentialité et l’interdiction de recherche d’informations
La logique demeure : nul salarié n’est tenu de révéler son projet parental, sauf lorsqu’il sollicite l’application des dispositifs protecteurs ou des absences prévues par la loi. L’employeur ne peut ni rechercher ni faire rechercher des informations relatives au projet de PMA ou d’adoption. Toute décision prise en considération de cette situation encourt la nullité, à l’instar des interdictions liées à l’état de grossesse [[C. trav., art. L. 1225-1 à L. 1225-3]].
Le régime des absences autorisées et rémunérées
La loi modifie l’article L. 1225-16 pour viser « les salariés » (et non plus la seule salariée) et ajoute une précision substantielle pour l’adoption : les salariés engagés dans une procédure d’adoption bénéficient d’autorisations d’absence pour se présenter aux entretiens obligatoires nécessaires à l’obtention de l’agrément prévu par l’article L. 225-2 du Code de l’action sociale et des familles. Le nombre maximal d’autorisations sera fixé par décret [[C. trav., art. L. 1225-16]], [[CASF, art. L. 225-2]].
Ces absences n’entraînent aucune diminution de rémunération et sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés et de l’ancienneté. Les règles usuelles de justification s’appliquent (convocation, document d’organisme médical ou administratif), sous réserve d’une mise en œuvre loyale de part et d’autre.
Ouverture au secteur public
Par coordination, la première phrase de l’article L. 622-1 du Code général de la fonction publique est complétée pour viser explicitement les autorisations d’absence de l’article L. 1225-16 du Code du travail. Les employeurs publics doivent donc intégrer ces absences dans leur gestion du temps de travail et de la paie [[CGFP, art. L. 622-1]], [[C. trav., art. L. 1225-16]].
Incidences pratiques pour les employeurs
Cartographie des risques et mise en conformité
Les entreprises doivent actualiser leurs procédures RH et sensibiliser l’encadrement aux nouveaux interdits. Cela implique :
- la révision des trames d’entretien d’embauche et d’évaluation, pour neutraliser toute question relative à un projet parental ;
- l’adaptation des règles de gestion des absences, avec un circuit court de validation et de paie afin de garantir l’absence de perte de rémunération ;
- l’actualisation du document unique d’évaluation des risques professionnels lorsque des affectations temporaires sont envisagées pour raisons médicales, par analogie avec le régime de protection en cas de grossesse ou d’exposition particulière [[C. trav., art. L. 1225-3]].
Charge de la preuve et contentieux
En matière de discrimination, la preuve est aménagée : le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination ; l’employeur doit alors démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination [[C. trav., art. L. 1134-1]]. Cette dynamique probatoire incite à une traçabilité rigoureuse des motifs des décisions sensibles (non-confirmation de période d’essai, refus de promotion, mutation, etc.). La prudence commande de formaliser l’analyse des compétences, résultats et contraintes organisationnelles indépendamment de tout projet parental.
Sanctions civiles et pénales
La nullité « textuelle » s’applique aux décisions prises en méconnaissance de ces protections, avec les suites connues en cas de licenciement nul : réintégration possible, rappel de salaires, dommages-intérêts. À l’échelle pénale, les discriminations sont sanctionnées par l’article L. 1146-1 (jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour les personnes physiques), sans préjudice des sanctions spécifiques qui pourraient découler d’autres textes [[C. trav., art. L. 1146-1]].
Droits et obligations des salariés
Confidentialité, loyauté et justification des absences
Le salarié n’a pas à révéler son projet parental en dehors de la demande d’application des protections. En revanche, les absences doivent être justifiées conformément aux exigences légales et conventionnelles, et notifiées dans les délais habituels. Comme pour tout droit, son exercice doit être loyal. Toute utilisation dévoyée (absences injustifiées, dissimulation de motif) est de nature à fragiliser la relation de travail et à exposer à une sanction disciplinaire proportionnée.
Protection contre les mesures défavorables
La protection couvre les décisions d’embauche, les ruptures d’essai, les mutations, les refus d’évolution et, plus largement, toute mesure affectant les conditions de travail et de rémunération. Elle s’étend au harcèlement discriminatoire, dans la lignée des textes relatifs à la dignité et à l’égalité de traitement. En cas de litige, le doute profite au salarié lorsque les éléments versés au débat laissent présumer l’existence d’une discrimination, avec renversement de la charge de la preuve [[C. trav., art. L. 1134-1]].
Points particuliers et zones d’ombre
Le décret attendu pour l’adoption
Le dispositif est complet sur le principe, mais la détermination du nombre maximal d’autorisations d’absence pour les entretiens d’agrément nécessite un décret d’application. Dans l’attente, les employeurs ont intérêt à adopter une approche pragmatique, fondée sur la proportionnalité et la bonne foi, pour éviter d’entraver la procédure d’agrément tout en conservant la maîtrise de l’organisation.
Articulation avec d’autres régimes protecteurs
La nouvelle protection se superpose à d’autres cadres : égalité de traitement, santé et sécurité au travail, protection de la maternité, reconnaissance de l’accident du travail en cas de dommage lié à l’activité. L’employeur doit arbitrer, le cas échéant, entre maintien au poste et affectation temporaire pour raison médicale dûment constatée, en privilégiant la solution la moins attentatoire aux droits du salarié [[C. trav., art. L. 1225-3]].
Recommandations opérationnelles
Pour les employeurs
Audit et procédures internes
- établir un état des lieux des pratiques RH : recrutement, mobilité, gestion des absences ;
- intégrer un module de sensibilisation à la non-discrimination et à la confidentialité des informations relatives au projet parental ;
- formaliser une procédure de demande et de justification des absences, avec une référence explicite à l’article L. 1225-16 [[C. trav., art. L. 1225-16]].
Traçabilité et motivation des décisions
- documenter toute décision défavorable par des critères objectifs, vérifiables et contemporains des faits ;
- conserver les éléments probants dans un dossier RH sécurisé, compte tenu de l’aménagement légal de la charge de la preuve [[C. trav., art. L. 1134-1]].
Pour les salariés
Anticiper et sécuriser les démarches
- rassembler les pièces nécessaires à la justification des absences (convocations médicales ou administratives) ;
- informer l’employeur dans des délais raisonnables, en évitant la communication d’informations superflues sur la vie privée ;
- en cas de difficulté, privilégier une alerte écrite factuelle au service RH ou au CSE, avant tout contentieux.
En cas de litige
- consigner les éléments chronologiques (dates, échanges, décisions), utiles à la présentation d’indices de discrimination ;
- saisir, le cas échéant, le conseil de prud’hommes pour contester la mesure litigieuse, en sollicitant la nullité ou la réparation intégrale du préjudice ; le cas échéant, envisager la voie pénale en présence d’un comportement constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1146-1 [[C. trav., art. L. 1146-1]].
Secteur public : précisions utiles
Portée de la coordination avec le code général de la fonction publique
La mention insérée à l’article L. 622-1 du CGFP assure la transposition, dans la sphère publique, des autorisations d’absence liées au projet parental. Les autorités employeurs doivent adapter les calendriers, prévenir la désorganisation des services et intégrer ces absences dans les systèmes de gestion des temps, sous le contrôle du juge administratif le cas échéant [[CGFP, art. L. 622-1]].
Convergence des régimes et pratiques recommandées
Le rapprochement des régimes public et privé favorise l’unité de traitement des situations. Les bonnes pratiques sont similaires : information en amont, justification, respect du secret médical, proportionnalité des mesures d’organisation du service, motivation des refus dans des termes étrangers à tout motif prohibé.
Synthèse
La loi n° 2025-595 élève au rang de principe l’idée que le projet parental, qu’il soit porté par une femme ou un homme, dans le cadre d’une AMP ou d’une adoption, ne doit pas exposer l’intéressé à des désavantages professionnels. Le texte sécurise l’articulation vie personnelle–vie professionnelle par l’extension des protections antidiscriminatoires et l’octroi d’autorisations d’absence rémunérées et assimilées à du temps de travail effectif. Les entreprises doivent consolider leur conformité, former leurs managers, ajuster leurs processus de recrutement et de mobilité, et s’outiller pour motiver objectivement leurs décisions sensibles.
Le cadre répressif demeure dissuasif, tant au civil qu’au pénal, tandis que l’aménagement probatoire place l’employeur face à une exigence de justification particulièrement élevée. En contrepartie, la loyauté gouverne l’exercice des droits par les salariés, gage d’un équilibre soutenable. Le décret attendu pour l’adoption viendra achever l’architecture du dispositif. D’ici là, une mise en œuvre mesurée et documentée permettra de prévenir l’essentiel des contentieux et de garantir la pleine effectivité des droits consacrés par le législateur [[C. trav., art. L. 1225-3-1]], [[C. trav., art. L. 1225-16]], [[C. trav., art. L. 1142-1]], [[C. trav., art. L. 1134-1]], [[C. trav., art. L. 1146-1]], [[CGFP, art. L. 622-1]], [[CASF, art. L. 225-2]].
LE BOUARD AVOCATS
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78000, Versailles
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