La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne affirme le droit à la protection de l'intégrité psychique (art. 3) et la protection de la santé mentale est désormais un impératif juridique au-delà du droit de la santé : en droit du travail (not. L. n° 2002-73, 18 janv. 2002), en droit de l'éducation (not. A. 26 avr. 2017 relatif au référentiel de connaissances et de compétences des psychologues de l'éducation nationale) ou en droit de la responsabilité par exemple (not. Cass. crim., 4 janv. 2017, n° 16-81.995 : JurisData n° 2017-000012 . - Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-13.350 : JurisData n° 2017-005066 . - Cass. crim., 2 avr. 2019, n° 18-81.917 : JurisData n° 2019-005007). Depuis les années 2000, cette préoccupation pour la préservation de la stabilité psychique des personnes se voit accorder de plus en plus d'attention.

          Or, cette évolution semble en passe de connaître une nouvelle étape. Sous l'effet conjugué du progrès des connaissances neuroscientifiques, d'un côté, et du déploiement de techniques de captation et de modulation des signaux cérébraux, de l'autre, l'organe de la pensée, des émotions et du jugement devient plus accessible, mais aussi plus vulnérable. Il ne faudrait plus alors seulement protéger les personnes contre des actes pouvant altérer leur santé mentale, mais leur donner les moyens de conserver leur autonomie décisionnelle et comportementale en les protégeant contre les dispositifs et les procédés captant leurs données cérébrales et altérant leur jugement. De fait, le fonctionnement du cerveau fait l'objet de recherches intensives, notamment grâce à l'imagerie cérébrale, ce qui est utile pour la médecine mais peut aussi informer d'autres secteurs d'activités, qui entendent tirer profit de ces connaissances pour influencer nos choix et nos préférences. En parallèle, des systèmes de stimulation cérébrale électrique et magnétique sont proposés à des fins récréatives et d'amélioration cognitive, et non plus seulement pour soigner des troubles neurologiques et psychiatriques. Entre les dispositifs de neuromarketing qui veulent capter notre attention, les casques de jeux interactifs qui proposent une expérience utilisateur personnalisée en collectant nos données et les électrodes vendues pour augmenter notre capacité de concentration ou de gestion du stress, les neurotechnologies défient l'autonomie individuelle.

          Des auteurs appellent alors à reconnaître de nouveaux droits de l'homme, parmi lesquels la « liberté cognitive » et le « droit au respect de la vie privée mentale » (M. Ienca & R. Andorno, Towards New Human Rights in the Age of Neuroscience and Neurotechnology : Life Sciences, Society and Policy 2017, vol. 13, art. 5). La suggestion ne fait pas l'unanimité (J. C. Bublitz, Novel Neurorights: From Nonsense to Substance : Neuroethics 2022, vol. 15, art. 7), mais elle a le mérite d'alerter sur les limites des droits existants. Des instances internationales se sont saisies de la question. L'OCDE a adopté en 2019 une recommandation sur les neurotechnologies appelant à protéger « les données cérébrales personnelles et autres informations » et à anticiper et surveiller « les éventuels usages non intentionnels et/ou abusifs ». Le Comité international de bioéthique de l'UNESCO (CIB) a proposé en 2021 de faire advenir un « droit à l'intégrité cérébrale », défini comme « la maîtrise par l'individu de ses états mentaux et de ses données cérébrales afin que personne ne puisse, sans son consentement préalable, lire, diffuser ou modifier ces états et ces données afin de conditionner l'individu de quelque manière que ce soit ».

          Le CIB place ce nouveau droit en devenir sous l'égide de la « dignité humaine », « toute forme d'altération, modification ou manipulation à l'aide des neurotechnologies constituant une atteinte potentielle à la dignité humaine ». Une telle proposition semble marquer un changement majeur, confirmant la bascule décrite par Alain Ehrenberg vers une société où l'analyse par le cérébral prend le pas sur l'approche par le psychisme sans pour autant abandonner l'idéal d'autonomie (A. Ehrenberg, Se définir par son cerveau. La biologie de l'esprit comme forme de vie : Esprit, janv. 2015, p. 68 ; La Mécanique des passions : Odile Jacob, 2018). Elle inspire en tout cas les autorités, en France (OPECST, Les neurotechnologies : défis scientifiques et éthiques : Note scientifique n° 32, janv. 2022) comme ailleurs (en 2021, les travaux de modification de la constitution chilienne ont fait émerger une telle proposition), et pourrait donc advenir prochainement.(Veille LEXIS NEXIS- La Semaine Juridique Edition Générale n° 25, 26 juin 2023, doctr. 788. Sonia Desmoulin chargée de recherche CNRS, UMR DCS 6297, Nantes-Université.)