Au XIXe et début du XXe siècles, les avocats étaient omniprésents dans la vie politique française. N’a-t-on pas parlé de République des avocats ? Gambetta, Blum, Auriol, Poincaré se sont illustrés au Barreau avant de l’être en politique. Le port de la Robe semblait la condition à une carrière au sein de l’hémicycle ou au gouvernement.

Après-guerre, les robes ont peu à peu disparu du Parlement.

Aujourd’hui, le mouvement est inverse. Les ors de la République viennent dorer nos robes noires. Faut-il s’en inquiéter ?

On a pu reprocher à notre profession de préférer l’entre-soi. Pourtant, à un mouvement de départ des avocats vers d’autres métiers, répond une arrivée de professionnels demandant à bénéficier de dispense de diplôme et/ou de formation et du CAPA pour devenir avocats via le décret de 1991.

 

Elles sont nombreuses, ces passerelles permettant d’accueillir des magistrats de l’ordre administratif, de l’ordre judiciaire, de la Cour des comptes, des universitaires, notaires, huissiers, greffiers des tribunaux de commerce, mandataires judiciaires, juristes d’entreprise, fonctionnaires de catégorie A, juristes de syndicats, d’avocats, collaborateurs de députés, assistants de sénateurs.

Il faut s’en réjouir. La mobilité interprofessionnelle ne doit pas être vécue comme une crainte mais comme un enrichissement. Le Barreau se scléroserait en restant fermé sur lui-même.

Pour autant, cette mobilité voulue et encouragée ne peut pas se faire sans prudence. L’inscription au Barreau ne doit pas devenir un moyen, pour des candidats aux passerelles, de seulement faire fructifier leur entregent sans exercer notre métier. C’est la raison pour laquelle la profession avait combattu le décret du 3 avril 2021 permettant aux députés, sénateurs et ministres de devenir avocats sans formation ou examen. La crainte légitime était de voir des politiques s’intéresser sur le tard, voire très (trop) tard, à la robe pour du seul lobbying.

Le Conseil d’État, lorsqu’il a modifié sa charte de déontologie en 2017, rappelait que « devenir avocat pour un magistrat est tout sauf anodin ». (…) « Il faut prévenir le soupçon que l’ancien magistrat ne tire profit au bénéfice de son cabinet et des clients, de la connaissance qu’il a pu avoir de la juridiction ». Cet argument de sagesse doit s’appliquer aux élus et membres des gouvernements.

Les conseils de l’ordre, lors des demandes de passerelles, doivent veiller strictement au contrôle des conditions d’accès attestant des parcours et des compétences juridiques.

Le Barreau doit également s’assurer du contrôle effectif des conflits d’intérêts, de l’application des avis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, du respect de notre déontologie dont l’examen est heureusement maintenu et d’un exercice réel de la profession par ceux nous rejoignant.

C’est sous ces conditions que nous souhaitons la bienvenue à ceux qui viennent nous apporter la richesse de leurs compétences loin des ors de la République.

 

Sophie Challan-Belval, avocate au barreau de Rouen