Quelle responsabilité pour la collectivité propriétaire en cas d'annulation d'une délibération de déclassement ?

Lorsqu'un immeuble appartenant au domaine public n'est plus affecté au service public, il peut faire l'objet d'une procédure de déclassement (Code général de la propriétaire des personnes publiques, article L2141-1), aboutissant à ce qu'il soit placé dans le domaine privé de la collectivité propriétaire. Il peut alors faire l'objet d'une vente ou de la conclusion d'un droit d'occupation de droit privé, tel un bail commercial.

La Cour administrative d'appel de Marseille a eu à statuer sur les conséquences de l'annulation par le juge administratif d'une délibération de déclassement sur les baux commerciaux conclus entre temps par la collectivité propriétaire avec plusieurs opérateurs privés.

En premier lieu, la Cour rappelle que la collectivité propriétaire a commis une faute engageant sa responsabilité et ouvrant droit à l'indmenisation du préjudice causé, notamment l'ensemble des dépenses exposées dans la perspective de l'exploitation ainsi que le préjudice commercial, sous-réserve des propres fautes de l'opérateur :

"3. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits." (CAA de Marseille, 20/09/2024, n°23MA01013 ; voir également CAA de Marseille, 20/09/2024, 23MA00888).

En outre, si la collectivité propriétaire met fin au bail conclu (lequel vaut titre d'occupation sous-réserve des clauses du bail commercial incompatibles avec la domanialité publique : Conseil d'Etat, 21 décembre 2022, n°464505), l'occupant résilié peut obtenir également, sous-réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir l'indemnisation de la perte des bénéfices qu'il aurait pu réaliser :

"4. Si, en outre, l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation." (CAA de Marseille, 20/09/2024, n°23MA01013 ; voir également CAA de Marseille, 20/09/2024, 23MA00888).

A noter également que la Cour ouvre la porte à l'indemnisation d'un fonds de commerce, sous-réserve que le droit d'occuper soit postérieur à la loi Pinel, ce qui n'était pas le cas dans ces espèces :

"5. En revanche, eu égard au caractère révocable et personnel, déjà rappelé, d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. Si la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques un article L. 2124-32-1, aux termes duquel " Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre ", ces dispositions ne sont, dès lors que la loi n'en a pas disposé autrement, applicables qu'aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur. Par suite, l'exploitant qui occupe le domaine public ou doit être regardé comme l'occupant en vertu d'un titre délivré avant cette date, qui n'a jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce, ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fond." (CAA de Marseille, 20/09/2024, n°23MA01013 ; voir également CAA de Marseille, 20/09/2024, 23MA00888).

 

Quels préjudices indemnisables en cas d'annulation de la délibération de déclassement ?

Ces deux espèces sont également intéressantes en ce qu'elles illustrent la nature des préjudices indemnisables.

Dans la première de ces deux affaires (CAA de Marseille, 20/09/2024, n°23MA01013), la collectivité propriétaire a été condamnée à verser :

  • 50 000 euros au titre du "pas de porte" payé par l'occupant à son entrée dans les lieux ;
  • 3 946,80 euros au titre des frais de rédaction et négociation du bail commercial signé ;
  • 8 508,60 euros au titre des travaux effectués lorsque l'occupant n'avait pas encore connaissance de la domanialité publique des lieux.

La Cour a en revanche écarté toute indemnisation du préjudice moral subit personnellement par le gérant, de la perte du fonds de commerce (la loi Pinel n'étant pas applicable à l'espèce) ou des travaux financés par un prêt professionnel dès lors qu'ils l'ont été en connaissance du caractère litigieux du bail commercial.

Dans la deuxième affaire, la société requérante était l'acquéreur d'un fonds de commerce qui n'en était pas un en raison de la domanialité publique des lieux et de l'antériorité du droit d'occuper par rapport à l'entrée en vigueur de la loi Pinel. L'occupant n'a donc pas été indemnisé des sommes déboursées ou du prêt bancaire souscrit pour l'acquisition de ce fonds de commerce. L'indemnisation des immobilisations est également écartée.

"En ce qui concerne les préjudices subis par la SCP BTSG2 :

8. En premier lieu, la société BTSG2 soutient que pour acquérir le fonds de commerce le 22 juin 2015, pour le prix de 460 000 euros, elle a dû contracter un emprunt de 310 000 euros, auprès de la caisse régionale du Crédit Agricole et que dans le cadre de la liquidation judiciaire, la banque a produit une créance au passif d'un montant de 285 749 euros dont elle demande le remboursement. Toutefois, comme dit précédemment au point 3, eu égard au caractère révocable et personnel d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. La SCP BTSG2 occupant le domaine public en vertu d'un titre délivré antérieurement à la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui a permis dans certaines conditions l'exploitation d'un fonds de commerce sur le domaine public, elle n'a dès lors jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce et ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds évaluée à la somme de 460 000 euros, ni à l'indemnisation de la somme restant due à la banque d'un montant de 285 749 euros dans le cadre de l'emprunt qu'elle a contracté pour l'acquisition de ce fonds de commerce.

9. En second lieu, la société BTSG2 demande subsidiairement l'indemnisation des immobilisations corporelles estimées à 126 820 euros dans le bilan actif dressé au 30 avril 2016. Cependant, il résulte de l'instruction que l'offre de vente du fonds de commerce rédigée le 28 janvier 2018, par la SCP BTSG2 mentionne, au titre des éléments corporels, du matériel en pleine propriété pour une valeur de 14 220 euros. Par suite, ces éléments font partie du fonds de commerce et sont destinés à être vendus. Il n'y a dès lors pas lieu de condamner la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat à lui verser cette somme à ce titre.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SCP BTSG2 n'est pas fondée à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat à lui verser la somme de 285 749 euros en réparation de son préjudice financier." (CAA de Marseille, 20/09/2024, 23MA00888).

 

Quelles précautions pour les parties à un bail commercial ou à une cession de fonds de commerce ?

Les parties ont donc tout intérêt à recourir à un conseil pour déterminer si le projet porte sur le domaine privé ou le domaine public et s'assurer de ce que leurs accords ne seront pas remis en cause ou fragilisés en cas de litige. A défaut, les conséquences éventuelles ne sont pas aisément rémédiables, les droits indemnitaires étant fortement encadrés et ne permettant pas toujours de couvrir les frais engagés par l'opérateur privé.

De même, il convient de redoubler de vigilance en cas d'acquisition d'un fonds de commerce. Dès lors que le bailleur est une personne publique ou un délégataire de service public, il convient de s'assurer de l'absence de risque d'application de la domanialité publique ou d'annulation éventuelle d'une délibération de déclassement, en réalisant une analyse fine, tenant compte de l'historique des délibérations et du bâtiment.

 

Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner :

  • Pour déterminer si la domanialité publique est applicable et le cas échéant déterminer les modalités de sortie du domaine public rendues nécessaires en préalable à l'opération ;
  • Dans la revue de titres d'occupation et de baux, et plus généralement dans la définition du montage juridique de votre opération afin de s'assurer de leur conformité et de leur efficacité au regard de l'évolution jurisprudentielle ;
  • Dans la sécurisation d'une vente de fonds de commerce, particulièrement en cas de suspicion de la domanialité publique des lieux ;
  • Cartographier et mesurer les risques induits, ainsi que les mesures correctives à apporter s'agissant de contrat déjà conclus ;
  • Vous assister dans la résolution des litiges qui en découlent, le cas échéant.

Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

goulven.leny@avocat.fr - 06 59 96 93 12 - glenyavocat.bzh