L'inobservation des dispositions légales ou conventionnelles dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours constitue un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité. (Cass.soc. 2 mars 2022 n° 20-16.683.)

Le Code du travail (article L3121-65) prévoit qu’à défaut de stipulations conventionnelles, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L'employeur doit établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Ce document peut être renseigné par le salarié sous la responsabilité de l'employeur;

2° L'employeur doit s'assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur doit organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. 

A défaut de stipulations conventionnelles, les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés.

Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l'article L. 2242-17

En outre, le Code du travail (article L. 4121-1) dispose que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels,

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Il appartient à l'employeur de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Faits et procédure

Le salarié a été engagé, le 3 juillet 2006, par la société Accenture en qualité de médecin du travail.

Il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande au titre de l'exécution du contrat de travail le 12 novembre 2013. Il a été licencié le 26 août 2014.

La cour d’appel de Paris par un arrêt du 20 mai 2020 l’a débouté de sa demande en dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité.

Le salarié a formé un pourvoi, faisant valoir que :

- l'inobservation des dispositions légales ou conventionnelles dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours constitue un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.

- en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'employeur n'avait pas respecté les conditions légales de mise en oeuvre de la convention de forfait-jours et, en conséquence, l'a déclarée nulle, ce dont elle aurait dû déduire que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé l'article L. 4121-1 du code du travail.

La position de la Cour de cassation

Il résulte des dispositions de l'article L. 4121-1 du Code du travail que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

La Haute Cour relève que pour débouter le salarié de sa demande en dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité , l'arrêt relève que les alertes sur la dégradation de l'état de santé du salarié ne sont apparues qu'à partir de juin 2013, les précédents messages adressés à la hiérarchie étant restés centrés sur des demandes de promotion non satisfaites, le salarié exprimant explicitement son attachement à la société et à la mission qui était la sienne.

L'arrêt constate qu'à partir d'août 2013, le salarié fait expressément référence dans ses courriels à une souffrance psychologique dont l'employeur s'est emparé en alertant le médecin du travail sur la gravité de la situation, ce qui contredit l'allégation du salarié selon laquelle la société n'a pas apporté de réponse à une situation de souffrance avérée.

L'arrêt critiqué retient enfin que l'ensemble des éléments soumis met en évidence un comportement de l'employeur conforme à son obligation de sécurité.

Cette analyse n’est pas partagée par la Cour de cassation qui considère que l’employeur qui n’a pas respecté les règles relatives au contrôle de la charge de travail du salarié en forfait-jours, manque à son obligation de sécurité.

«  En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont il résultait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté, a violé le texte susvisé."

La Cour casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris principalement en ce qu'il déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité.

Elle remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Conclusion

Le juge doit retenir le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, dès lors que ce dernier ne justifie pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que :

- l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et,

- assuraient une bonne répartition dans le temps du travail

et donc à assurer la protection et la santé du salarié.

Lorsque l'employeur a manqué à son obligation de sécurité, il appartient au juge de vérifier si un préjudice en a résulté.

Si tel est le cas, le salarié pourra solliciter une indemnisation au titre du préjudice subi dont il devra établir tant la réalité que l’étendue.

 

(2 mars 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 20-22.261)