Lorsqu’une entreprise se heurte à des difficultés économiques, il lui arrive de recourir à un plan social, aussi désigné sous le terme de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Dans un tel contexte, la question cruciale demeure : qui part en premier lorsque les licenciements sont inévitables ? Derrière ce questionnement se cache une problématique à la fois juridique et humaine. L’objectif consiste à protéger les droits des salariés, tout en préservant la viabilité de la structure. Dans cet article, nous vous proposons d’explorer en détail les règles qui régissent l’ordre des licenciements, les critères à respecter et les garanties dont disposent les travailleurs concernés.
1. Définition et rôle du plan social
1.1 Qu’est-ce qu’un plan social (PSE) ?
Le plan de sauvegarde de l’emploi constitue un dispositif destiné à éviter, autant que possible, les licenciements économiques massifs ou, à défaut, à en limiter l’ampleur. Il s’agit d’un ensemble de mesures regroupées dans un document formalisé, validé ou homologué par l’administration compétente (généralement la DREETS). Concrètement, le PSE détaille les mesures d’accompagnement (formation, reclassement, congé de mobilité…) que l’employeur doit mettre en place pour réduire le nombre de suppressions de postes et faciliter la reconversion des salariés affectés.
1.2 Entreprises concernées
En France, une entreprise est tenue d’élaborer un plan social si elle compte au moins 50 salariés et prévoit au minimum 10 licenciements sur une période de 30 jours. En dessous de ces seuils, la loi ne l’impose pas formellement, mais il reste possible pour la société de mettre en œuvre, à titre volontaire, diverses mesures de soutien. Cette disposition vise à éviter la fermeture brutale d’un établissement, tout en garantissant un cadre protecteur aux collaborateurs.
1.3 Objectifs du PSE
- Préserver l’emploi grâce à des solutions de reclassement ou de formation interne
- Réduire les licenciements en privilégiant, par exemple, le départ volontaire ou la mutation dans un autre service
- Accompagner les salariés touchés en leur offrant un soutien (financier, moral, professionnel) et en facilitant leur réinsertion sur le marché de l’emploi
2. Le cadre légal : enjeux et principes
2.1 Une obligation légale et morale
Le Code du travail impose à l’employeur de mettre en place toutes les mesures utiles pour limiter les licenciements. Cette démarche revêt également une dimension morale, puisqu’il s’agit de traiter chaque salarié avec équité, en veillant à ne pas user d’un arbitraire susceptible de créer un déséquilibre profond au sein de l’entreprise. Le plan social s’inscrit dans cette logique : il encadre la réduction de personnel de manière transparente et contrôlée, sous la supervision des représentants du personnel et de l’administration.
2.2 L’importance de la cause réelle et sérieuse
Un licenciement économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse (difficultés économiques, mutations technologiques, réorganisation nécessaire pour la sauvegarde de la compétitivité, etc.). L’employeur doit prouver que la suppression de poste n’est pas simplement guidée par la volonté d’éliminer un collaborateur précis. Dans le cadre d’un plan social, cette preuve s’étend à l’ensemble des suppressions de postes. Si le motif économique est contesté ou mal établi, le licenciement pourra être jugé sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit à des indemnités supplémentaires pour le salarié.
2.3 Validation ou homologation par l’administration
Une fois le PSE élaboré, l’entreprise le soumet à la DREETS pour validation (s’il résulte d’un accord collectif) ou homologation (s’il s’agit d’un document unilatéral de l’employeur). Sans l’aval de l’administration, la procédure est nulle et les licenciements sont susceptibles d’être annulés. Le contrôle administratif s’intéresse notamment au respect des critères d’ordre, à la pertinence des mesures de reclassement et à l’absence de discrimination.
3. L’ordre des licenciements : qui part en premier ?
3.1 Définition et champ d’application
Le Code du travail prévoit que, lorsqu’un choix doit être opéré entre plusieurs salariés d’une même catégorie professionnelle, l’employeur est tenu de définir et d’appliquer des critères légaux. Cette obligation vise à assurer une objectivité et à garantir que personne n’est arbitrairement ciblé. Il ne s’agit pas de désigner un poste spécifique, mais bien de comparer des collaborateurs relevant d’un même périmètre (catégorie professionnelle, zone géographique).
Cas particuliers :
- Fermeture totale d’un établissement : il n’existe pas de distinction à opérer, tous les postes étant supprimés.
- Suppression de tous les emplois d’une même catégorie : aucun choix n’est à faire, le groupe professionnel disparaissant intégralement.
3.2 Les critères légaux
Le Code du travail énonce plusieurs critères à prendre en compte :
- Ancienneté : privilégier la personne qui a le plus d’années de présence en cas de sélection à faire
- Charges de famille : une attention particulière est portée aux collaborateurs ayant des enfants à charge, notamment les parents isolés
- Difficultés de réinsertion : l’âge ou le handicap peuvent constituer des facteurs pouvant compliquer la recherche d’un nouvel emploi
- Qualités professionnelles : l’employeur peut évaluer la performance ou les compétences, mais de façon objective (résultats d’entretiens annuels, bilans d’évaluation, etc.)
Il est possible de pondérer ou de privilégier un critère, à condition de ne pas supprimer l’importance des autres. Une pondération abusive (comme attribuer la même valeur à tous les salariés pour un critère) serait assimilable à une suppression déguisée de ce critère.
3.3 Critères discriminatoires interdits
Les critères d’ordre ne doivent jamais dissimuler une discrimination fondée sur l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle, les convictions religieuses ou politiques, l’appartenance syndicale, l’état de santé, etc. Tout soupçon de discrimination peut conduire à la nullité du licenciement et à des dommages et intérêts élevés.
4. Les étapes pour sécuriser la procédure
4.1 Consultation du CSE
Avant toute décision, l’employeur doit informer et consulter le comité social et économique (CSE) sur les motifs économiques, les postes concernés, les catégories professionnelles touchées et les mesures envisagées pour limiter l’ampleur de la réduction d’effectifs. Cette phase de concertation s’inscrit dans une démarche de dialogue social, où les représentants du personnel peuvent proposer des alternatives ou suggérer des aménagements (comme un plan de mobilité interne).
4.2 Choix d’un accord collectif ou d’un document unilatéral
Le plan social peut se présenter sous l’une ou l’autre de ces formes :
- Accord collectif : négocié avec les partenaires sociaux, il gagne en légitimité grâce à la concertation. S’il satisfait les exigences légales, l’administration le valide.
- Document unilatéral : en l’absence d’accord, l’employeur rédige seul le PSE. L’administration procède alors à une homologation en vérifiant la conformité.
Dans tous les cas, l’accord ou le document doit préciser les critères d’ordre, les mesures de reclassement et les dispositifs pour diminuer les licenciements (départs volontaires, formations, etc.).
4.3 Recherche de reclassement
Avant de notifier un licenciement, l’employeur doit réaliser une recherche approfondie de reclassement. Cela signifie :
- Identifier tous les postes vacants au sein de la société ou du groupe.
- Proposer formellement ces postes aux salariés menacés de licenciement.
- Accompagner la transition (formation d’adaptation, congé de mobilité…).
Si l’entreprise n’apporte pas la preuve d’une recherche sérieuse de reclassement, le licenciement sera jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse.
4.4 Communication des critères d’ordre au salarié
Après la notification de la rupture, un collaborateur peut demander, dans un délai de 10 jours, de connaître les raisons de son choix. L’employeur doit répondre dans le même délai, en détaillant les critères utilisés. Une absence de réponse, une réponse tardive ou incomplète peut entraîner des dommages et intérêts en faveur du salarié.
5. Conséquences en cas de non-respect de l’ordre
5.1 Sanctions civiles
Si le salarié parvient à démontrer que l’employeur a violé les critères légaux, le conseil de prud’hommes peut :
- Allouer des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
- Requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui accroît le montant des indemnités.
5.2 Sanctions administratives
Le non-respect de l’ordre des licenciements constitue également une infraction passible d’amende (contravention de la 4e classe, dont le montant peut être aggravé pour les personnes morales). Par ailleurs, si l’administration constate des irrégularités lors de l’instruction du plan social, elle peut refuser de valider ou d’homologuer le PSE, remettant ainsi en cause l’ensemble de la procédure.
5.3 Impact sur l’image de l’entreprise
Outre les conséquences juridiques et financières, un manquement à la loi peut écorner durablement la réputation de l’entreprise auprès des partenaires sociaux, des actionnaires, mais aussi du grand public. Dans un monde où la responsabilité sociale de l’entreprise joue un rôle de plus en plus important, il s’avère essentiel d’assurer une procédure la plus transparente possible.
6. Droits et indemnités pour les salariés
6.1 Indemnité de licenciement économique
Le Code du travail garantit le versement d’une indemnité au collaborateur qui remplit les conditions d’ancienneté. Son montant dépend de la convention collective, de la durée de présence et de la rémunération. Il se peut qu’une prime supplémentaire soit prévue si l’entreprise ou le secteur d’activité appliquent des accords plus favorables que le minimum légal.
6.2 Mesures d’accompagnement
- Congé de reclassement : permet au salarié de disposer de plusieurs mois pour chercher un nouvel emploi ou se former.
- Congé de mobilité : conçu pour faciliter la transition vers un autre poste, à l’interne ou à l’externe.
- Bilans de compétences et formations : les entreprises peuvent offrir des parcours de reconversion pour soutenir la réinsertion des salariés sur le marché du travail.
6.3 Allocation chômage
En cas de licenciement économique, le salarié peut bénéficier des allocations chômage, sous réserve de respecter certaines conditions d’affiliation et de s’inscrire auprès de l’organisme public compétent (France Travail, ex-Pôle emploi). Le calcul de l’allocation repose sur le salaire antérieur et la durée d’activité.
7. Les clés d’un plan social responsable et équitable
7.1 Favoriser la concertation et la transparence
Engager un dialogue précoce avec le CSE, mettre à la disposition des représentants du personnel les informations économiques nécessaires et s’ouvrir aux négociations renforcent la légitimité du plan. Cette approche atténue les tensions et consolide l’idée que l’entreprise agit dans un esprit d’équité.
7.2 Documenter et motiver chaque choix
Les décisions liées à l’ordre des licenciements doivent être motivées, tracées et accessibles en cas de contestation. Il est judicieux de constituer des tableaux ou des grilles précisant la pondération appliquée à chaque critère (ancienneté, charges de famille, etc.). Cette traçabilité facilite la défense de l’employeur si un salarié engage une action prud’homale.
7.3 Développer une démarche de reclassement solide
Un plan social n’est pas qu’une simple liste de postes supprimés : c’est aussi un ensemble de solutions visant à préserver l’emploi. Proposer des formations courtes, des reconversions internes ou un soutien personnalisé accroît les chances de reclassement et donne une meilleure image de l’entreprise, soucieuse de ses responsabilités sociales.
7.4 Anticiper les évolutions légales et jurisprudentielles
Les règles encadrant les licenciements économiques et les plans sociaux connaissent régulièrement des évolutions. La jurisprudence, par exemple, affine l’interprétation de critères (comme les qualités professionnelles) et sanctionne les abus. Une veille juridique doit donc être maintenue pour adapter les pratiques dès que nécessaire.
8. Conclusion : qui part en premier lors d’un plan social ?
La réponse à cette question n’est pas un simple « tirage au sort » : elle s’inscrit dans un dispositif législatif précis, dont l’objectif est de préserver la justice et la transparence. L’employeur se doit de respecter les critères légaux, d’ajuster la pondération éventuelle et de veiller à l’absence de discrimination. Parallèlement, les représentants du personnel (CSE) jouent un rôle-clé pour contrôler la pertinence et la régularité des choix opérés.
Au final, le plan social doit s’entendre comme une mesure d’accompagnement globale : au-delà des suppressions de postes, il entend limiter les départs contraints, faciliter les reclassements et soutenir les salariés dans leur démarche de reconversion. L’enjeu est donc de combiner, avec justesse, l’exigence économique et la garantie d’un traitement équitable de chaque collaborateur.
En respectant scrupuleusement les règles de l’ordre des licenciements et en assurant une communication fluide avec toutes les parties prenantes, l’entreprise limite les risques de litige et s’engage sur la voie d’une responsabilité sociale assumée. Dans ce cadre, le qui part en premier devient moins une source d’affrontement et davantage un processus maîtrisé, garantissant l’intégrité du plan social et la solidité de l’organisation dans son ensemble.
Liste de ressources légales et jurisprudentielles
- Articles L. 1233-5 et suivants du Code du travail : Précisent les critères d’ordre (ancienneté, charges de famille, situation rendant la réinsertion professionnelle difficile, qualités professionnelles) et leur mise en œuvre.
- Article L. 1233-43 du Code du travail : Organise la possibilité pour le salarié licencié de demander à l’employeur le détail des critères qui ont conduit à sa désignation, dans les dix jours suivant la notification du licenciement.
- Cass. soc. 8 avril 1992 n° 90-41.27 : Rappelle l’interdiction de toute discrimination dans l’application des critères (charge de famille, origines, etc.).
- Cass. soc. 13 février 1997 n° 95-16.648 : Définit la notion de « catégorie professionnelle » et la nécessité de comparer des postes de même nature pour l’ordre des licenciements.
- Cass. soc. 8 juin 1999 n° 97-40.739 : Souligne le rôle déterminant de la consultation des représentants du personnel pour fixer l’ordre des licenciements.
- Cass. soc. 5 février 2014 n° 12-29.703 : Confirme que la fermeture totale et définitive de l’entreprise peut dispenser l’employeur de définir un ordre de licenciement.
- Cass. soc. 26 février 2020 n° 17-18.136 : Précise les conditions de pondération des critères d’ordre et sanctionne la pratique consistant à attribuer la même valeur à tous les salariés.
- Cass. soc. 20 janvier 1993 n° 91-42.032 : Évoque l’exigence d’objectivité quant à l’évaluation des qualités professionnelles (simple possession d’un diplôme insuffisante).
- Cass. soc. 27 mars 2012 n° 11-14.223 : Examine les conséquences de la proposition ou du refus d’une modification substantielle du contrat de travail.
- Cass. soc. 19 mai 2010 n° 09-40.103 : Autorise la prise en compte de sanctions disciplinaires non prescrites, sous conditions, dans l’évaluation des qualités professionnelles.
- Cass. soc. 29 juin 2017 n° 15-21.636 : Confirme qu’un critère lié à la possibilité de préretraite n’est pas discriminatoire dès lors qu’il n’exclut pas d’autres critères légaux.
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