Comme souvent en matière juridique, la réponse est … oui, mais … et c’est bien sûr ce « mais » qui est important. Cinq affaires récemment jugées par la Cour de Marseille illustrent ce « mais ».

L’histoire est assez banale s’agissant de MaPrimeRénov' : l’ANAH avait accordé à plusieurs personnes des subventions de montants assez importants. Un premier acompte avait même été versé. Toutefois, avant de procéder au versement du solde de cette subvention, l’ANAH avait souhaité inspecter les travaux de ces diverses personnes. Découvrant des irrégularités, l'ANAH a estimé que les travaux réalisés n’étaient pas conformes à leurs dossiers de demande de subvention respectifs. En 2017, l’ANAH a donc décidé de retirer l’intégralité de la subvention à ces personnes. En pratique cela impliquait pour les bénéficiaires, non seulement la perte du solde, mais également l’obligation de restituer les acomptes déjà versés. Les bénéficiaires ont saisi la justice administrative de l’affaire.

Après de multiples péripéties juridictionnelles, l’affaire a finalement été tranchée par la Cour administrative d’appel de Marseille.

La Cour commence d’abord par estimer que « Il résulte des dispositions de l'article R. 321-21 du code de la construction et de l'habitation que le retrait par l'ANAH d'une aide dont elle a accordé le bénéfice peut être prononcé par l'agence aussi bien en cours de travaux, après versement d'avances ou d'acomptes, qu'après que l'achèvement des travaux a conduit l'agence à en verser le solde, en cas de non-respect des prescriptions relatives aux conditions d'attribution des aides et selon les modalités fixées par le règlement général de l'ANAH ». Rien de très nouveau jusque-là. Il s’agit de la bête et méchante application des textes règlementaires.

Puis, comme l'avait déjà jugé le Conseil d'Etat le 23 novembre 2022, la Cour énonce que : « Des irrégularités portant sur une partie seulement des factures produites pour justifier de la réalisation des travaux et de leur conformité avec les caractéristiques du projet au vu duquel la subvention avait été octroyée peuvent, eu égard à leur nombre, leur nature et leur importance, priver l'ANAH de la possibilité de vérifier le coût des travaux et leur conformité aux caractéristiques du projet faisant l'objet de la subvention et justifier le retrait de celle-ci dans sa totalité ».

La règle posée par la Cour de Marseille est donc la suivante : pour que l’ANAH puisse retirer la totalité de la subvention accordée, il est nécessaire que le nombre, la nature et l’importance des irrégularités constatées dans la facturation justifient ce retrait. Ces trois critères sont analysés très concrètement par le juge.

En d’autres termes, peu d’irrégularités, concernant de faibles montants ou de menus travaux ne pourront justifier que le retrait partiel de la subvention, mais pas le retrait de la totalité.

En l’espèce,

  • Dans le premier arrêt, la Cour estime qu’il existait des irrégularités sur la somme totale de 11 352 euros, correspondant seulement à 14,56 % du montant total des travaux prévus et subventionnés. La Cour annule la décision de l’ANAH (CAA Marseille, 11 décembre 2023, n° 22MA02900) ;
  • Dans le deuxième arrêt, la Cour estime qu’il existait des irrégularités sur la somme de 13 551 euros, correspondant seulement à 16,33 %, soit environ un sixième, du montant total des travaux prévus et subventionnés. La Cour annule la décision de l’ANAH (CAA Marseille, 11 décembre 2023, n° 22MA02898) ;
  • Dans un troisième arrêt, la Cour estime qu’il existait des irrégularités affectant près de 21 000 euros de travaux, ce qui correspond à 31,13 % du montant total des travaux prévus et subventionnés. La Cour confirme la décision de l’ANAH (CAA Marseille, 11 décembre 2023, n° 22MA03136) ;
  • Dans un quatrième arrêt la Cour retient l’existence d’irrégularités sur des travaux s’élevant à la somme de 15 384 euros, ce qui correspondait à 35,08 % du montant total des travaux prévus et subventionnés. La Cour confirme donc la décision de l’ANAH (CAA Marseille, 11 décembre 2023, n° 22MA02899) ;
  • Dans un cinquième arrêt, la Cour note que les irrégularités pointées par l’ANAH s’élèvent à la somme de 16 287 euros, ce qui correspond à 36,54 % du montant total des travaux prévus et subventionnés. La Cour confirme donc la décision de l’ANAH (CAA Marseille, 11 décembre 2023, n° 22MA02897).

Conclusion : il est difficile de porter un jugement sur la nature des irrégularités que l’ANAH pourrait reprocher au point de demander le remboursement total d'une subvention. En revanche, il est très clair que selon la Cour, pour que l’ANAH puisse retirer entièrement une subvention, le montant des irrégularités doit au moins dépasser les 20 % du montant total des travaux.

Nicolas Taquet

Avocat au Barreau de Pau

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