La transition vers des systèmes alimentaires durables et territorialisés est aujourd’hui au cœur des préoccupations des collectivités locales, notamment en raison des crises écologiques, économiques et sanitaires qui fragilisent les filières agroalimentaires. Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), institués par la loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, visent à relocaliser la production agricole et structurer l’alimentation à l’échelle d’un territoire donné. Mais si l’objectif de ces projets est louable, leur mise en œuvre se heurte à de nombreuses difficultés juridiques, économiques et foncières.

Dès lors, une question se pose : Les PAT constituent-ils un levier efficace pour renforcer la souveraineté alimentaire locale et promouvoir une agriculture durable, ou sont-ils limités dans leur portée face aux défis structurels du secteur agricole et des politiques locales ?

À travers l’étude du cadre juridique et des applications concrètes des PAT, notamment au sein du Pays de Grasse, cet article analysera les ambitions, les limites et les perspectives d’évolution de cet outil stratégique.


I. Un cadre juridique structurant mais encore perfectible

A. Définition et objectifs des PAT

1. Définition juridique et cadre législatif des PAT

Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) sont définis par l’article L.111-2-2 du Code rural et de la pêche maritime, qui les qualifie comme des démarches collectives et concertées permettant de structurer l’alimentation locale à l’échelle d’un territoire. Ils impliquent les collectivités locales, les agriculteurs, les transformateurs, les distributeurs et les consommateurs afin de favoriser les circuits courts et promouvoir une alimentation durable et accessible.

Ils ont été institués par la loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a introduit plusieurs réformes en faveur de la transition agroécologique et de la relocalisation alimentaire. Depuis cette loi, les PAT sont devenus des outils stratégiques pour renforcer la résilience des territoires face aux crises alimentaires et écologiques.

Le cadre de mise en œuvre des PAT repose sur plusieurs dispositifs législatifs et réglementaires, notamment :

  • Le Programme national pour l’alimentation (PNA), qui finance et accompagne la mise en place de PAT à travers des appels à projets réguliers.
  • La Stratégie Nationale pour l'Alimentation, la Nutrition et le Climat (SNANC), qui intègre les PAT comme levier pour favoriser une alimentation saine et durable.
  • Les politiques locales d’aménagement du territoire, comme les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) ou les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT), qui peuvent intégrer des mesures favorisant l’installation d’exploitations agricoles et la structuration de filières locales.

Depuis le décret du 17 juillet 2017, le label "Projet Alimentaire Territorial" a été créé afin de reconnaître et valoriser les initiatives locales les plus avancées en matière de relocalisation alimentaire. Ce label est délivré par le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation et offre un accès privilégié à des subventions et aides publiques.

2. Objectifs des PAT : une triple ambition économique, sociale et environnementale

Les PAT poursuivent trois objectifs fondamentaux qui s’inscrivent dans une démarche de transition alimentaire durable :

a) Un objectif économique : renforcer les filières locales et soutenir l’agriculture de proximité

L’un des enjeux majeurs des PAT est de dynamiser l’économie locale en soutenant les producteurs, les artisans et les circuits courts. Pour cela, plusieurs leviers sont mobilisés :

  • Favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs, en leur garantissant un accès facilité au foncier agricole et à des débouchés économiques locaux (marchés, commerces, restauration collective).
  • Développer des filières locales et structurées, notamment en matière de production bio, de transformation agroalimentaire et de distribution en circuit court.
  • Créer des emplois non délocalisables, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’artisanat agroalimentaire et de la logistique alimentaire.

Les PAT permettent également de sécuriser les revenus des agriculteurs, en leur garantissant des débouchés directs et des prix plus justes, en évitant les intermédiaires qui réduisent leur marge bénéficiaire.

b) Un objectif social : lutter contre la précarité alimentaire et sensibiliser la population

Les PAT ont également une vocation sociale et sanitaire. Ils visent à garantir un accès équitable à une alimentation saine et de qualité pour l’ensemble de la population, en particulier pour les ménages modestes et les publics vulnérables. Pour cela, ils mettent en place plusieurs dispositifs :

  • Intégration des produits locaux et bio dans les cantines scolaires, les EHPAD et les hôpitaux, afin d’offrir une alimentation de meilleure qualité à ces publics.
  • Création d’épiceries solidaires, permettant aux populations les plus précaires de bénéficier de produits frais à moindre coût.
  • Sensibilisation des citoyens aux enjeux de l’alimentation durable, à travers des ateliers de cuisine, des événements éducatifs et des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Les PAT s’inscrivent ainsi dans une démarche de justice sociale, en reconnaissant l’alimentation comme un droit fondamental et en cherchant à réduire les inégalités d’accès aux produits de qualité.

c) Un objectif environnemental : promouvoir une agriculture durable et préserver les ressources naturelles

Les PAT ont enfin une dimension environnementale essentielle, car ils visent à réduire l’empreinte écologique de l’alimentation en favorisant des pratiques agricoles respectueuses de la biodiversité et des ressources naturelles. À ce titre, ils encouragent :

  • L’essor de l’agriculture biologique et agroécologique, en soutenant les exploitations qui adoptent des pratiques plus durables (permaculture, agroforesterie, rotation des cultures, réduction des intrants chimiques).
  • La préservation des terres agricoles et la lutte contre l’artificialisation des sols, en intégrant des objectifs de protection du foncier dans les politiques d’urbanisme.
  • La réduction des émissions de gaz à effet de serre, en limitant les distances parcourues par les denrées alimentaires et en promouvant des circuits courts (vente directe, marchés locaux, restauration collective locale).

En valorisant une production locale et de saison, les PAT participent à la transition écologique et énergétique des territoires, tout en réduisant leur dépendance aux filières agro-industrielles mondialisées.

3. Un outil adaptable aux spécificités de chaque territoire

Les PAT ne sont pas des dispositifs rigides : ils sont conçus pour s’adapter aux besoins et contraintes de chaque territoire. Il existe ainsi plusieurs types de PAT, selon leurs priorités et leurs objectifs :

  • PAT agricoles : axés sur le développement et la structuration des exploitations locales.
  • PAT urbains : favorisant l’agriculture urbaine et la relocalisation de la consommation dans les zones densément peuplées.
  • PAT mixtes : combinant développement agricole et politique sociale de lutte contre la précarité alimentaire.

Chaque PAT est élaboré en concertation avec les acteurs locaux et fait l’objet d’un diagnostic préalable afin d’identifier les problématiques spécifiques du territoire concerné.

B. Une reconnaissance légale mais un cadre perfectible

Le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation labellise les PAT et leur accorde des subventions pour leur mise en œuvre. Toutefois, plusieurs limites sont relevées :

  • Une absence d’obligation légale pour les collectivités d’adopter un PAT, ce qui ralentit leur généralisation. En pratique, cela signifie que de nombreuses collectivités ne prennent pas l’initiative de développer un PAT, souvent faute de moyens, de volonté politique ou de connaissance du dispositif. Cela entraîne une inégalité territoriale, où certaines régions structurent leur alimentation autour de circuits courts et d’une agriculture locale, tandis que d’autres restent dépendantes de modèles agro-industriels et de l’importation de denrées alimentaires.
  • Des financements publics inégaux, souvent jugés insuffisants pour structurer durablement les filières locales.  Ainsi, une collectivité peut renoncer à développer un PAT par manque de moyens ou parce que les subventions sont insuffisantes pour assurer un déploiement sur le long terme. Par ailleurs, certains élus locaux ne perçoivent pas encore les PAT comme une priorité politique, ce qui limite leur développement. 
  • Un manque de coordination avec les autres outils de planification territoriale, comme les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et les Schémas Régionaux d’Aménagement.

Face à ces défis, l’exemple du Pays de Grasse illustre comment un territoire peut s’emparer de cet outil et le mettre en œuvre de manière innovante.


II. Le PAT du Pays de Grasse : un laboratoire d’initiatives locales

A. Un contexte spécifique : pression foncière et nécessité de préserver les terres agricoles

Le Pays de Grasse, situé dans les Alpes-Maritimes, est fortement impacté par l’urbanisation, ce qui réduit la disponibilité des terres agricoles et entraîne une pression foncière intense. Face à ce constat, la Communauté d’Agglomération du Pays de Grasse (CAPG) a mis en place un PAT labellisé en 2021, dont l’objectif est de recréer des filières alimentaires locales et de protéger les surfaces agricoles restantes.

Quelques chiffres clés du PAT de Grasse :

  • 120 participants aux dernières Assises de l’agriculture et de l’alimentation.
  • 18 000 € de subventions allouées pour accompagner les agriculteurs dans la transition vers le bio.
  • 400 000 € de financements mobilisés pour des projets concrets.

B. Des actions concrètes en faveur d’une alimentation durable

Le PAT du Pays de Grasse ne se limite pas à des intentions, il se traduit par des actions concrètes :

  1. Soutien aux agriculteurs locaux

    • Rachat et préservation de 5 730 m² de terres agricoles pour éviter leur artificialisation.
    • Développement d’une filière bio locale intégrant producteurs et distributeurs.
    • Création de fermes pédagogiques pour sensibiliser les citoyens à l’agriculture durable.
  2. Lutte contre la précarité alimentaire

    • Création d’une épicerie solidaire avec le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de Peymeinade.
    • Développement de cantines scolaires locales, avec un objectif de 50 % de produits bio et locaux d’ici 2025.
  3. Transition vers une agriculture plus durable

    • Sensibilisation des exploitants agricoles à l’agriculture raisonnée et aux pratiques agroécologiques.
    • Promotion de solutions innovantes comme l’agriculture urbaine ou l’hydroponie dans des espaces restreints.
  4. Éducation et sensibilisation du grand public

    • Organisation d’événements éducatifs sur l’alimentation durable.
    • Développement d’ateliers de cuisine anti-gaspillage et de circuits de découverte des producteurs locaux.

Ces initiatives témoignent d’une approche pragmatique et territorialisée du développement agricole et alimentaire, mais leur mise en œuvre se heurte encore à certaines limites.


III. Enjeux et perspectives d’évolution des PAT : entre défis et opportunités

A. Les défis à surmonter

Malgré leur intérêt, les PAT doivent relever plusieurs défis pour s’ancrer durablement dans les territoires :

  • Le foncier agricole reste menacé par l’urbanisation, rendant difficile la stabilisation des filières locales.
  • Un besoin d’articulation plus fort avec les politiques publiques, notamment en matière de logement, d’environnement et d’urbanisme.
  • Des financements encore trop limités, qui empêchent certaines collectivités de mener des projets ambitieux.

B. Des perspectives d’évolution prometteuses

Pour renforcer l’efficacité des PAT, plusieurs évolutions sont envisageables :

  • Instaurer une obligation légale pour les collectivités de mettre en place un PAT dans les territoires à forte tension foncière.
  • Créer un fonds national dédié à la transition alimentaire pour garantir des financements pérennes.
  • Intégrer davantage les PAT dans les documents d’urbanisme, afin de protéger le foncier agricole et d’assurer leur cohérence avec les autres politiques publiques.

Conclusion : Les PAT, un outil à consolider pour une véritable souveraineté alimentaire locale

Les Projets Alimentaires Territoriaux constituent un levier stratégique pour développer une agriculture locale, réduire la dépendance aux importations et garantir un accès équitable à une alimentation de qualité. Toutefois, leur déploiement est encore freiné par des contraintes réglementaires, financières et foncières.

L’exemple du Pays de Grasse montre que des actions concrètes peuvent être mises en place pour transformer le système alimentaire local. Néanmoins, pour que les PAT deviennent de véritables outils de souveraineté alimentaire, des réformes structurelles restent nécessaires, notamment en matière de protection du foncier agricole et de financements publics.

La question demeure donc ouverte : les PAT resteront-ils des initiatives locales limitées ou deviendront-ils un instrument structurant de la politique alimentaire nationale ?