Les œuvres mash up reflètent une tendance dans la culture contemporaine de la réutilisation et du remixage de contenu existant, pour créer une œuvre nouvelle et innovante. En effet, elles puisent dans l’existant, que ce soit des œuvres d’art classique, des images publiques, des fragments de culture populaire.
Parmi les œuvres mash up très disparates, nous pouvons citer les photomontages de l’artiste allemand, John Heartfield, œuvres satiriques et critiques à l’égard des événements politiques de son époque. Ou bien même, dans un tout autre genre, l’œuvre photographique « Star Wars recreations of Famous », de David Eger, recréant des photographies célèbres à l’aide de figurines de personnages de Star Wars.
Cette tendance nécessite, dans le cadre du processus créatif, d’associer différents contenus et parfois, d’emprunter certaines créations antérieures. Dans ce dernier cas et notamment, lorsqu’il s’agit d’œuvre transformatrice, les artistes sont naturellement confrontés à la question du droit d’exploitation de l’œuvre initiale, et notamment de l’existence d’un contrat de cession de droit et/ou d’un accord du titulaire des droits de l’œuvre première.
Une illustration a été donnée par une récente décision rendue par la Cour d’appel de Rennes le 4 juin 2024, qui a rejeté l’exception de parodie soutenu par un artiste d’une œuvre transformatrice. (CA Rennes 1e Ch. 4 juin 2024 n°21/04257).
Lorsque l’œuvre d’art est nouvelle et ludique, il est aisé pour l’artiste de faire valoir sa liberté d’expression artistique. En revanche, dès lors qu’il y a une réappropriation d’une création antérieure sans autorisation, il devient inopérant pour l’artiste, d’invoquer aussi bien l’exception de parodie, qu’une quelconque liberté d’expression créative.
– La problématique des œuvres transformatrices : La réappropriation de création antérieure sans autorisation
Un artiste peintre a reproduit sans autorisation, dans plusieurs de ses peintures les personnages de l’œuvre « Les Aventures de Tintin », les mettant en scène dans l’univers inspiré du peintre américain Edward Hopper.
La société titulaire de l’exclusivité dans le mondre entier, des droits d’exploitation de l’œuvre « Les Aventures de Tintin » invoquant une contrefaçon et un parasitisme, a fait assigner devant le Tribunal judiciaire de Rennes en interdiction, sous astreinte, de l’utilisation de l’œuvre « Les Aventures de Tintin », en organisation d’une expertise comptable, visant à établir le préjudice subi.
Pour sa défense, l’artiste oppose, en vain aux demandeurs l’exception de parodie, destinée à garantir la liberté d’expression des artistes, principe à valeur constitutionnelle prévue à l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle.
L’affaire a été portée devant la Cour d’appel de Rennes qui n’a pas retenu le moyen de défense invoqué par l’artiste. En effet, les Juges du fond, dans un raisonnement détaillé en plusieurs points, ont clairement affirmé qu’il ne relève pas de l’exception de parodie, « les œuvres qui empruntent les ressorts d’œuvre orignale pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement ». (CA Rennes 1e Ch. 4 juin 2024 n°21/04257).
1. La contrefaçon retenue par les Juges
Sur la contrefaçon soutenue par les appelants, les Juges rappellent les dispositions de l’article L.122-4 du code de la propriété intellecturelle, à savoir que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
Ils estiment qu’en cliquant sur l’onglet « artistes » à partir du site internet de la galerie, l’huissier a pu constater que l’artiste en question a reproduit à plusieurs reprises, dans ses compositions, divers personnages de l’œuvre « Les Aventures de Tintin ».
Plusieurs de ses œuvres, notamment trente-neuf au total, sont considérées comme contrefaisantes par les appelants, notamment « Hôtel Osborne, Chambre 379 » (2017), présentée comme une parodie de la toile « Hôtel Room » (1931). Tintin de Face, tournant la tête, sur un lit dans une chambre d’hôtel, torse nu, musclé, délesté d’un chapeau et de bottes de cow-boy, semble préoccupé par le message porté sur une lettre posée devant lui. Milou est de dos. Ou bien même, l’œuvre « La Triumph de Mademoiselle Ryden » (2016), présentée comme une parodie de la toile « Ryder’s House » (1933). Tintin est de dos au volant d’une Triumph décapotable rouge immatriculée QUK 596 (empruntée à l’album « L’île noire ») caressant le dos d’une jeune femme assise sur le siège passager. Milou est un peu loin dans un pré.
Pour s’opposer à l’action en contrefaçon, l’artiste plaide l’exception de parodie et la liberté d’expression artistique.
Toutefois, ces moyens de défense sont rejetés par les Juges du fond qui retiennent l’existence d’une contrefaçon, aux motifs suivants :
2. Le rejet de l’exception de parodie par les Juges
Les Juges rappellent les dispositions de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, à savoir que « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
S’agissant d’une exception, comme le rappelle justement la Cour d’appel, la parodie doit être apprécier de façon restrictive et in concreto.
Dans cet arrêt, la Cour d’appel reprend une jurisprudence constante, sur les conditions que doit remplir l’exception de parodie. Notamment, en ce qu’elle exige d’une part, l’existence de l’intention humoristique (2.1.) ; Et d’autre part, l’absence de risque de confusion avec l’œuvre première (2.2).
2.1. L’absence d’une intention humoristique soulevée par les Juges
L’exception de parodie ne peut être invoquée que si l’intention humoristique de l’auteur de l’œuvre seconde est établie.
En effet, la Cour rappelle que « la parodie vise à traverstir ou subvertir l’œuvre dans une forme humoristique, à tout le moins dont le ton doit être clairement revendiqué comme tel. Elle exige donc une intention humoristique évidente, de préférence comportant une certaine intensité: si sourire suffit, en revanche, la simple recherche d’une complicité amusée avec le lecteur ou le spectateur ne suffit pas, ni un simple clin d’oeil en direction du public ou un choc visuel ».
Il s’agit là d’une application d’une jurisprudence constance. En ce qu’il a déjà été jugé que « l’artiste qui réalise des bustes représentant Tintin et qui reproduit la fusée extraite des albums « Objectif Lune et On a marché sur la Lune », ne peut se prévaloir de l’exception de parodie dès lors que ses œuvres ne constituent « qu’une déclinaison esthétique de l’œuvre d’Hergé sans intention humoristique ». (CA Aix-en-Provence 1ère ch. 24 nov. 2022 n°22/04302).
La parodie est généralement définie par les Tribunaux, comme « structurellement « une imitation » et fonctionnellement « burlesque » ». Ce dernier terme renvoie au « comique extravagant et déroutant », selon Le Petit Robert.
En l’espèce, les Juges du fond soulèvent que le fait pour l’artiste litigieux d’introduire dans ses œuvres, « sans outrance, des éléments puissants de sensualité (femmes callipyges, présence d’un sex shop) ou disruptifs (tatouage de Tintin, Dupond qui fume, Tintin qui fume, dépressif, anxieux, fragilisé) ne peut être considéré comme procédant d’une intention humoristique ».
Autrement dit, l’œuvre transformatrice de l’artiste litigieux ne constitue pas, en l’espèce, une manifestation d’humour.
2.2. L’existence de risque de confusion avec l’œuvre première relevée par les Juges
Dans l’arrêt du 4 juin 2024, la Cour d’appel de Rennes affirme clairement que l’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale sans créer un risque de confusion entre les œuvres en cause ni conduire à s’approprier le travail d’autrui.
Ainsi, la Cour considère que les conditions de l’exception de parodie ne sont pas remplies : « ne peuvent relever de l’exception de parodies les œuvres qui empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement. Le contrefacteur s’arroge alors indûment une sorte de droit d’adaptation qui porte atteinte au droit d’auteur ou aux droits du titulaire de l’exploitation commerciale de l’œuvre et de ses produtis dérivés ».
En effet, la Cour d’appel applique la jurisprudence de la CJUE dans l’affaire Deckmyn (CJUE, 3 sep. 2014, aff. C-201/13). En ce qu’il a déjà été jugé que « l’admission de l’exception de parodie est subordonnée à la condition que l’œuvre seconde présente des différences perceptibles par rapport à l’œuvre première, de telle sorte qu’elle puisse raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale lui-même ».
3. Le rejet de la liberté d’expression artistique
L’artiste litigieux évoque la liberté d’expression artistique, et sollicite de la Cour un contrôle de proportionnalité entre le droit d’auteur et la liberté d’expression artistique. Il conteste faire des œuvres transformatrices ou mash up. Selon lui, il réalise un véritable travail de réinterprétation.
Ce qui n’est pas d’avis de la Cour d’appel. Qui rappelle la définition du courant « appropriationniste », « consistant à se réapproprier une création antérieure en lui ajoutant des éléments censés en changer l’intégrité et/ou l’esprit. Et qui fait application des dispositions relatives aux œuvres composites, encadrant la pratique du mash up, à savoir, la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante ».
Selon les Juges du fond, il s’agit d’appliquer pour les œuvres transformatrices, les règles relatives aux œuvres composites prévues à l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Autrement dit, les œuvres transformatrices ne sont pas en soi interdites, mais elles nécessitent l’accord de l’auteur de l’œuvre première.
Or, en l’espèce, l’artiste litigieux ne justifie pas avoir sollicité le droit de reproduction des œuvres préexistances que constituent les personnages des « Aventures de Tintin ». Comme le précisent les Juges, « il s’est délibérement servi d’icônes de la bande dessinée pour tracer sa propre voie ».
Aussi, il est rappelé à juste titre, que la liberté d’expression artistique peut procéder d’un réarrangement d’une œuvre antérieure afin de porter une opinion ou un message distinct permettant d’évoquer des sujets de société ou de rendre hommage à une personnalité.
Or, selon les Juges si l’artiste livre sa motivation intime, il ne s’agit pas « d’un sujet d’intérêt général qu’une impérieuse nécessité l’aurait conduit à porter publiquement à travers l’exercice de son art ».
En effet, si l’on compare avec l’artiste allemand John Heartfield, ce dernier a usé de son art de photomontages satiriques, pour exprimer une opposition, une colère, une résistance face à un contexte pesant et intolérable de son époque. En utilisant des images, des morceaux découpés, en combinant différentes photographies, il retravaillait les tons et rephotographiait l’ensemble. Par ces photographies, John Heartfield dénonçait « les perversités du monde moderne, la montée du fascisme, la guerre, les atrocités et le nazisme ».
Ici, la Cour fait application d’une jurisprudence constante, notamment celle de la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’arrêt Deckmyn, (CJUE, 3 sep. 2014, aff. C-201/13), constatant que « « la parodie constitue un moyen approprié pour exprimer une opinion », préscrit au juge national de « respecter un juste équilibre » entre le droit d’auteur et la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre protégée se prévalant de l’exception pour parodie, en tenant compte, pour chaque situation concrète de toutes les circonstances de l’espèce ».
Par conséquent, pour retenir l’existence d’une contrefaçon, la Cour d’appel a estimé que l’artiste litigieux ne remplissait pas les conditions licites d’un emprunt non autorisé et récurrent aux personnages des Aventures de Tintin.
Les Juges ont également retenu le parasitisme, aux motifs qu’en surfant sur la notoriété de Hergé de façon massive, répétée voire systématique, pour accéder à la sienne, l’artiste a commis des actes de parasitisme qui doivent donner lieu à dédommagement.
L’artiste peintre a été condamné au paiement de la somme de 15 000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices commis et à la somme de 5 000 euros en compensation de ses actes de parasitisme.
Conclusions: En somme,la tendance du mash up peut être considérée comme un art, dès lors que l’artiste crée une œuvre véritablement nouvelle, ludique, ou même satirique, lui permettant d’exprimer réellement sa liberté artistique.
Si les oeuvres transformatrices ne sont pas forcément une manifestation de l’humour, l’exception de parodie ne peut être invoquée aussi facilement pour contourner les droits du titulaire de l’oeuvre première.
Comme le souligne, certains auteurs, « il faut éviter que la parodie soit le moyen d’empiéter sur le marché de l’œuvre première ». (A. Lucas, « Traité de la PLA » Lexis Nexis)
Dalila Madjid, Avocate
Pas de contribution, soyez le premier