« Le Hasard est une loi qui voyage incognito ».
Comme le disent justement certains : « Les œuvres de l’esprit ignorent les frontières ».
En effet, les œuvres de l’esprit ont vocation à être diffusées dans le monde entier.
Dès lors, il existe fréquemment au moins un élément d’extranéité dans les litiges en matière de propriété littéraire et artistique, notamment lorsqu’un créateur étranger saisit la juridiction française, ce qui amène le Juge français à s’interroger sur la loi applicable.
1- Le principe : les auteurs étrangers bénéficient d’une protection identique à celle des auteurs français.
1.1. La protection des auteurs par la Convention de Berne
En matière de droit d’auteur, la protection des auteurs est réglée principalement par la convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, ratifiée ce jour, par 181 Etats .
Cette convention a vocation à s’appliquer dès lors qu’un litige présente un élément d’extranéité.
Conformément à l’article 2.1 de la convention, sont protégées : « toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression ».
Elle consacre trois principes fondamentaux, qui établissent un minimum de protection :
1- Premier principe : le traitement national
Eu égard aux dispositions de l’article 5.1 de la convention de Berne, en présence d’une œuvre étrangère – à savoir d’une œuvre divulguée pour la première fois à l’étranger ou lorsque l’auteur est un ressortissant d’un autre Etat membre— les Etats membres s’engagent à lui accorder une protection identique à celle appliquée à une œuvre nationale.
2- Deuxième principe : la protection automatique.
Une œuvre est automatiquement protégée par le droit d’auteur, dès sa fixation sur un support.
3- Troisième principe : l’indépendance de la protection
Une œuvre étrangère utilisée sur un territoire d’un autre Etat-membre est protégée par la loi de ce territoire, et ce, indépendamment de la protection de son pays d’origine, où elle a été divulguée pour la première fois.
Ce principe vient consacrer le principe d’égalité de traitement des auteurs et ce, quelle que soit leur nationalité.
- Les Juges français appliquent la loi française : loi du pays de protection réclamée
La règle de conflit de lois est édictée par les dispositions de l’article 5.2. de la convention de Berne, qui énonce que :
« (…) l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d’après la législation du pays où la protection est réclamée ».
Autrement dit, le principe est celui du renvoi à la loi du pays où « la protection est réclamée », qui est le plus souvent la loi du lieu de survenance du fait dommageable.
Le premier arrêt qui a consacré le principe d’égalité de traitement entre les auteurs, quelle que soit leur nationalité, et ceux pour toutes les œuvres, qu’elles soient publiées pour la première fois ou non en France, est l’arrêt dit du« Rideau de fer » du 22 décembre 1959 (1e civ, 22 déc. 1959, RCDIP 1960).
Dans cet arrêt, selon la Cour de cassation, les juges du fond ont, à juste titre, estimé, que : « la protection civile contre les atteintes portées en France au droit dont les cessionnaires des droits d’auteur avaient la jouissance devait être exercée par application de la loi française, qui ne distingue pas, suivant le lieu de première publication ou représentation de l’œuvre, et spécialement de l’article 3 de la loi des 19-24 juillet 1793 ».
La Haute juridiction a distingué entre, d’une part la jouissance ou l’existence du droit, qui relève de la loi du pays d’origine et d’autre part, l’exercice de ce droit, relevant de la loi du pays pour lequel la protection est demandée.
Ainsi, et comme le confirme la jurisprudence, la protection du pays demandée est le plus souvent, la loi du lieu de survenance du fait dommageable.
En effet, lorsqu’il y a une atteinte avérée des droits d’auteur, le Juge français applique la loi « du ou des Etats sur le territoire desquels se sont produits les agissements délictueux ». (1e Civ. 5 mars 2002 n°99-20755).
Dès lors qu’il existe un lien de rattachement substantiel avec la France, le Juge français est souvent amené à appliquer la loi française, pour apprécier la matérialité de l’atteinte au droit d’auteur et le préjudice qui en découle.
Depuis l’arrêt fondateur dit du « Rideau de fer », la jurisprudence est constante.
En effet, dans un arrêt du 12 juillet 2012, lors d’un festival, un photographe a pris plusieurs photographies d’une célébrité, et a donné à la société un mandat pour assurer la commercialisation. Le photographe et ladite société ont fait constater qu’une des photographies était accessible sur Internet sur le site http://www.aufeminin.com et se trouvait reprise par le moteur de recherches Google Images et ce, sans aucune autorisation.
Les sociétés Google reprochent à l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir déclaré la loi française applicable au litige.
Selon la Cour de cassation, les Juges du fond ont retenu à juste titre l’application de la loi française, aux motifs d’une part, de l’existence d’un rattachement substantiel avec la France et d’autre part, les faits contrefaisant ayant lieu en France, il est fait application des dispositions de l’article 5.2 de la convention de Berne, à savoir l’application de la loi de l’Etat où la protection est réclamée :
« (…) Le litige porte sur le fonctionnement des services Google Images, en des textes rédigés en français, destinés au public français et accessibles sur le territoire national par les adresses URL en « . fr » et que le lieu de destination et de réception des services Google Images et de connexion à ceux-ci caractérisent un lien de rattachement substantiel avec la France ; qu’il en déduit exactement, conformément à l’article 5. 2 de la Convention de Berne qui postule l’application de la loi de l’Etat où la protection est réclamée, que l’action introduite par M. X…, qui réclamait, en tant qu’auteur de la photographie, la protection de ses droits en France à la suite de la constatation en France de la diffusion en France, par un hébergeur français, la société Aufeminin.com, d’une photographie contrefaisante, mise en ligne pour le public français sur le site de Google Images par le service des sociétés Google Inc. et Google France, relevait de la loi française ». ( 1e civ. 12 juill. 2012 n°11-16165)
Dans ce prolongement, la Cour de cassation a précisé, dans un autre arrêt, que « la détermination du titulaire initial des droit d’auteur sur une œuvre de l’esprit est soumise à la règle de conflit de lois édictée par l’article 5.2. de la Convention de Berne, qui désigne la loi du pays où la protection est réclamée ».
Dans cet arrêt, un reporter-cameraman, recruté en 1978 par une société américaine exploitant une chaîne de télévision américaine, a été affecté au bureau à Paris, puis licencié pour motif économique. Il a saisi le conseil de prud’hommes d’une contestation de son licenciement, de diverses prétentions indemnitaires et salariales, ainsi que de demandes au titre de la violation de ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur de fait de l’exploitation non autorisée des reportages et documentaires dont il indiquait être l’auteur.
Pour débouter le reporter-cameraman de ses demandes au titre du droit d’auteur, la cour d’appel a retenu que : « l’article 5.2 de la convention de Berne régit le contenu de la protection de l’auteur et de l’œuvre mais qu’il ne fournit pas d’indication relative à la titularité des droits, à leur acquisition, non plus qu’à leur cession, de sorte que, dans le silence de ce texte il y a lieu de faire application de la règle française de conflit de lois ».
La Cour de cassation a censuré l’arrêt des juges du fond, en ce que dès lors qu’un litige entre dans le champ de la convention de Berne, le Juge français doit faire application de la loi du pays de la protection réclamée, et ce, conformément aux dispositions de l’article 5.2 de ladite convention.
Finalement, il s’agira le plus souvent de la loi française , au vu de laquelle, il statuera à la fois sur la question de l’existence des droits d’auteur que sur celle de leur exercice (Cass. 1e civ. 10 avril 2013 n°11-12508).
1.2. La protection des auteurs par la loi de police
A titre exceptionnel, les Juges français sont, parfois, amenés à rechercher l’existence d’une loi de police applicable au litige, et ce, sans qu’il y ait lieu de mettre en œuvre la règle de conflit de lois.
Les lois de police sont définies comme des lois « dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays (Répertoire Dalloz droit international).
Ainsi, dans l’arrêt dit « Huston », la Cour de cassation a jugé au visa de la loi du 8 juillet 1964 sur le principe de réciprocité en matière de protection du droit d’auteur et de loi du 11 mars 1957 de son article 6, sur la propriété littéraire et artistique que : « selon le premier de ces textes, (…) en France, aucune atteinte ne peut être portée à l’intégrité d’une œuvre littéraire ou artistique, quel que soit l’État sur le territoire duquel cette œuvre a été divulguée pour la première fois ; que la personne qui en est l’auteur du seul fait de sa création est investie du droit moral institué à son bénéfice par le second des textes susvisés ; que ces règles sont des lois d’application impérative ».
En d’autres termes, les dispositions protégeant le droit moral des auteurs sont érigées en règles de police, qui sont d’application impérative, faisant ainsi, obstacle à l’application de la loi étrangère. (Cass. 1e Civ. 28 mai 1991 n°89-19725)
2. L’exception : la protection spéciale des oeuvres des arts appliqués et des dessins et modèles industriels (article 2.7 de la convention de Berne)
Dans un récent arrêt de la Cour de cassation, la société américaine Knoll et sa filiale française soutiennent que le designer architecte américain d’origine finlandaise, leur avait cédé, à titre exclusif, les droits patrimoniaux sur deux modèles de chaise et de fauteuil, dénommés Tulip, créés en 1957, et qu’une société française avait fourni à un établissement public français, 80 chaises qui reprenaient les caractéristiques de la chaise Tulip, les sociétés Knoll l’ont assignée en contrefaçon de droits d’auteur, concurrence déloyale et parasitisme.
La Cour d’appel a estimé que les chaise et fauteuil Tulip ne sont pas protégeables en France au titre du droit d’auteur et a rejeté en conséquence leurs demandes en réparation d’actes de contrefaçon.
La Cour de cassation a rejoint les Juges au fond. En effet, elle a rappelé qu’aux termes de l’article 2.7. de la Convention de Berne : « pour les oeuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d’origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l’Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n’est pas accordée dans ce pays, ces oeuvres seront protégées comme oeuvres artistiques ».
Or, dans le cas d’espèce, la loi américaine, qui est le pays d’origine des chaises Tulip, ne protège pas celles-ci au titre du copyright mais ne leur accorde qu’une protection au titre du droit spécial des dessins et modèles.
Par conséquent, les créations n’étant pas protégeables par le droit d’auteur américain, ainsi, aux termes de l’article 2.7 de la Convention de Berne, les sociétés américaines et sa filiale française ne peuvent invoquer en France que la protection au titre des dessins et modèles. La Cour a ainsi rejeté les demandes au titre de la contrefaçon en matière de droit d’auteur. (Cass – 1e Civ., 7 oct. 2020, n° 18-19.441)
En somme, en matière de dessins et modèles, les Juges français appliqueront plutôt le principe de réciprocité, et peuvent ainsi appliquer une loi étrangère, contrairement en droit d’auteur où, aussi bien la convention de Berne que la loi de police, permettent de faire application de la loi française, soit de la loi du pays où la protection est demandée.
En conclusion :
Au vu de la jurisprudence française, dès lors que le Juge français constate une atteinte au droit d’auteur d’un créateur étranger, il a tendance à privilégier une application de la loi française, consacrant ainsi le principe d’égalité de traitement des auteurs, et ce, quelle que soit leur nationalité, telle que le préconise la convention de Berne.
Dalila MADJID, Avocate et Diane Boucard, Stagiaire IP
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