Une faute contractuelle ouvre-t-elle droit à l'indemnisation d'un tiers au contrat ?
La Cour de cassation a répondu par l'affirmative.
Par un arrêt du 13 janvier 2020 (pourvoi 17-19.963), l'assemblée plénière de la Cour de cassation a en effet jugé que "le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage".
En l'espèce, deux sociétés de sucrerie ont conclu deux conventions, l'une d’assistance mutuelle en période de campagne sucrière entre leurs deux usines, l'autre aux fins de concentrer le traitement industriel de la production cannière sur deux usines, en exécution duquel chaque usine était amenée à brasser des cannes dépendant de son bassin cannier et de celui de l’autre.
Or, l'usine exploitée par l’une des sociétés sucrières a été fermée pendant plusieurs semaines à la suite d'un incendie dans l'usine électrique l'alimentant en électricité, exploitée par une troisième société.
La compagnie d'assurance de l’autre société sucrière a procédé à l'indemnisation de la perte d'exploitation de sa cliente.
Ainsi, subrogée dans les droits de sa cliente, la compagnie d'assurance a assigné la société exploitant la centrale électrique défaillante, afin de la voir condamner à lui rembourser l'indemnité payée.
La société exploitant l’usine électrique s'est opposée à cette demande de paiement en soutenant n'être redevable d'aucune obligation à son égard dans la mesure où elle n'a pas conclu un contrat de contrat avec la société assurée par cette compagnie d’assurance, en invoquant les dispositions de l'article 1165 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme de l'ordonnance du 10 février 2016, qui disposait que "les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121".
Par jugement du 13 avril 20215, le tribunal saisi a débouté la compagnie d'assurance de sa demande de paiement.
Par arrêt du 5 avril 2017, la Cour d'appel de Saint-Denis a confirmé le jugement rendu.
Par arrêt du 9 avril 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a saisi l'assemblée plénière de la Cour de cassation.
C'est dans ces conditions que par arrêt du 13 janvier 2020, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que "le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage".
Pour arriver à cette conclusion, la cour de cassation a d'abord considéré qu'en application de l'article 1165 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la réforme, que si "les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes", il n'en demeure pas moins que "les contrats, opposables aux tiers, ne peuvent, cependant, leur nuire".
La Cour de cassation en déduit que "le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage".
Dès lors, ont vocation à s'appliquer les dispositions de l'article 1382 du Code civil, devenu 1240 du Code civil, qui dispose que "tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer".
C'est ainsi que la Cour de cassation casse l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Saint-Denis.
Cette décision présente le mérite de confirmer la jurisprudence de la Cour de cassation, dont l’assemblée plénière avait déjà jugé par un arrêt de principe du 6 octobre 2006 que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (pourvoi 05-13.255), alors que certaines chambres de la Cour de cassation avaient pu rendre des arrêts qui ont pu être interprétés comme remettant en cause cette jurisprudence.
Une faute contractuelle peut donc constituer également une faute délictuelle à l'égard de tiers au contrat et leur permettre d'obtenir réparation intégrale du préjudice qu'ils ont subi, qui pourra ainsi être plus intéressante que celle du co-contractant, dont l'indemnisation peut être limitée par les dispositions des articles 1231 et suivants du Code civil et des stipulations contractuelles.
Bien que rendu sur le fondement de l'article 1165 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, cette solution de la Cour de cassation ne devrait pas être remise immédiatement en cause puisque depuis cette ordonnance, si l'article 1199 du Code civil dispose que " le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraints de l'exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV.", il n'en demeure pas moins que l'article 1200 du Code civil précise que " Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. Ils peuvent s'en prévaloir notamment pour apporter la preuve d'un fait." et donc a fortiori d'un fait constituant une faute délictuelle à leur égard.