Dans un arrêt du 26 mars 2024 (21/04741), la Cour d’appel de Toulouse s’est prononcée en matière de responsabilité d’un notaire dans le cadre d’une constitution de société et de la mise en place d’un pacte Dutreil.

Au-delà de la question de la responsabilité, l’arrêt mérite quelques rappels et réflexions d’un point de vue fiscal.

1. Rappel des faits et de la procédure

En 2004, deux frères ont constitué la société « Sarl Garonne promotion ». Les statuts ont été rédigés par leur notaire.

Selon l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, la société « Sarl Garonne promotion » avait pour activité :

  • l'activité de marchands de biens, de promotion immobilière et de recherche foncière, la propriété, la mise en valeur, la construction, la transformation, l'aménagement, la location de tous biens et droits immobiliers, de tous biens et droits pouvant constituer l'accessoire, l'annexe ou le complément des biens et droits immobiliers en question ;
  • la vente en totalité ou par lots de ces biens, à terme, en état futur d'achèvement ou après achèvement.

En 2017, un des frères décède étant précisé qu’il a légué à son associé les parts sociales de la société Sarl Garonne promotion par un testament de 2009 déposé chez un notaire autre que celui qui avait rédigé les statuts.

En 2018, le frère légataire des parts sociales de la société Sarl Garonne promotion a assigné le notaire en charge de la rédaction des statuts « pour manquement au devoir de conseil et d'information, en ne l'informant pas de la possibilité de bénéficier du Pacte Dutreil, et ainsi, de ne régler aucun droit de succession ».

Il convient de rappeler que le dispositif Dutreil permet une exonération en base de 75 % des titres transmis lorsque la société exerce une activité opérationnelle. Sous réserve de certaines exceptions (engagement post mortem et engagement réputé acquis), le bénéfice de l’exonération Dutreil suppose la conclusion d’un engagement collectif de conservation (NB : depuis la loi de finances pour 2019 un engagement unilatéral de conservation est possible) d’une durée minimale de 2 ans.

Lorsque la transmission n’est pas envisagée à bref délai, il est possible de prévoir un engagement collectif de conservation dont la durée est prorogeable. C’est ce que l’on appelle un pacte Dutreil défensif. C’est ce qui était manifestement reproché au notaire rédacteur des statuts qui aurait dû, selon le requérant, conseiller la rédaction d’un tel pacte Dutreil défensif.

Par un jugement de 2021, le tribunal judiciaire de Toulouse a rejeté l’ensemble des demandes en jugeant que « l'étendue du devoir de conseil de tout notaire instrumentaire se trouvait limitée à la mission qui lui était confiée et devait s'entendre ainsi par rapport à l'acte qu'il lui était demandé d'instrumenter et de ses conséquences directes ».

Le légataire a interjeté appel devant la Cour d’appel de Toulouse.

 

2. Analyse de l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse

Dans son arrêt du 26 mars 2024, la Cour d’appel de Toulouse juge qu’ « il n'appartenait pas au notaire d'envisager tous les événements ultérieurs à la rédaction des statuts, et donc hypothétiques. Son obligation de conseil et d'information se limitait aux conséquences directes de l'acte qu'il recevait ».

L’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse n’appelle pas de commentaires particuliers s’agissant de la mise en cause de la responsabilité du notaire rédacteur des statuts.

En revanche, plusieurs remarques méritent d’être formulées d’un point de vue fiscal.

En premier lieu, la lecture de l’arrêt d’appel, qui rappelle l’objet social de la société « Sarl Garonne promotion », ne manque pas de surprendre à double titre.

D’abord, l’objet social des statuts était manifestement extrêmement large en visant l’activité de marchand de biens, de promotion immobilière, mais également l’activité de gestion de son propre patrimoine immobilier.

Ainsi, la seule lecture de l’objet social ne permettait pas de déterminer si la société « Sarl Garonne promotion » exerçait une activité éligible au pacte Dutreil, c’est-à-dire une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

Ensuite, l’analyse de l’objet social des statuts d’une société, si elle donne un premier indice quant à l’éligibilité de l’activité aux dispositions du pacte Dutreil, n’est jamais suffisante.

En réalité, l’analyse doit porter sur l’activité réellement exercée par la société comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris en ces termes : « le notaire ne pouvait se contenter de prendre connaissance de ses statuts mais devait interroger son client pour connaître l'activité exacte de la société A. et déterminer si elle répondait aux conditions de l'article 787 B du code général des impôts » (Cour d'appel de Paris 27 Octobre 2015 n° 14/08302).

En deuxième lieu, sous réserve que l’activité exercée par la société « Sarl Garonne promotion » soit bien une activité de marchand de biens ou de promotion immobilière, cette activité est effectivement éligible au dispositif du pacte Dutreil (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 15).

Cependant, à la date de rédaction des statuts de la société « Sarl Garonne promotion » (2004), la question pouvait légitimement se poser compte tenu du peu de recul sur le dispositif du pacte Dutreil qui a fêté ses 20 ans l’année dernière.

En troisième lieu, et à notre sens, si le notaire en charge de la rédaction des statuts de la société « Sarl Garonne promotion » avait conseillé de rédiger un pacte Dutreil dès la constitution, il aurait pu commettre une faute.

D’une part, comme on l’a relevé précédemment la rédaction de l’objet social des statuts était beaucoup trop large pour conseiller un pacte Dutreil. Faute pour la société d’avoir débuté une activité, qui aurait pu être une activité de location de son patrimoine immobilier, le notaire rédacteur des statuts ne pouvait mettre en place un engagement collectif de conservation sans prendre un risque important.

D’autre part, on sait que les activités de marchands de biens et de promotion immobilière sont très conjoncturelles. Aussi, il n’est pas rare de voir certains clients qui décident de louer sur une période assez brève le bien immobilier destiné à être revendu en attendant que le marché immobilier soit plus fluide. Dans cette hypothèse, il est à craindre que l’administration fiscale qualifie l’activité de patrimoniale. De même, si l’administration fiscale ne peut pas exiger d’une société qu’elle réalise un certain nombre d’opérations pour considérer que l’activité est bien réelle, il n’est pas rare de voir des sociétés de marchands de biens qui prennent plusieurs mois ou années pour réaliser leur première opération.

A cet égard, il est possible de faire un parallèle avec la qualification de holding animatrice. Dans la mesure où l’animation suppose des actes concrets, la jurisprudence constante refuse de qualifier d’animatrice une holding créée quelques semaines avant la transmission (Cass. Com. 21 juin 2011, n°10-19770 ; CA Dijon, 24 octobre 2017, n° 16/00993  et CA Riom, 26 janvier 2021, n°19-01179 confirmé par Cass. com., 11 mai 2023, n° 21-16924). Pour le dire autrement, une société holding ne naît pas animatrice, elle le devient au gré de ses actions.

Sauf rares exceptions, le raisonnement appliqué en matière de holding animatrice nous paraît transposable pour n’importe quelle société et plus particulièrement pour les sociétés exerçant dans le secteur immobilier.

 

Yan Flauder

Avocat spécialisé en droit fiscal

www.flauder-avocat-toulouse.fr