Référé - mesure d'instruction et prescription

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 23-20.463
  • ECLI:FR:CCASS:2025:C300531
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Rejet

Audience publique du jeudi 13 novembre 2025

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, du 29 juin 2023

Président

Mme Teiller (présidente)

Avocat(s)

SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CC



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 13 novembre 2025




Rejet


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 531 F-D

Pourvoi n° T 23-20.463




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 NOVEMBRE 2025

La société Agilhor, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Euro marquises conception (EMC), a formé le pourvoi n° T 23-20.463 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2023 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [C] [W],

2°/ à Mme [U] [W],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à la société [T] [V], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseillère référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Agilhor, de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. et Mme [W], et de la société civile immobilière [T] [V], après débats en l'audience publique du 23 septembre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, Mme Vernimmen, conseillère référendaire rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 juin 2023), M. [W], agissant en sa qualité de représentant d'une société à constituer, désormais la société civile immobilière [T] [V], a confié à la société Euro marquises conception (la société EMC), aux droits de laquelle vient la société Agilhor, une mission d'études préliminaires d'un programme de construction avant de conclure avec celle-ci un contrat de construction hôtelière.

2. La réception des travaux est intervenue en 2010.

3. Par une ordonnance de référé du 29 août 2011, la demande de provision de la société EMC au titre de travaux supplémentaires a été rejetée et, le maître de l'ouvrage s'étant plaint de désordres et défauts de finition, une mesure d'expertise a été ordonnée.

4. Le 2 avril 2013, M. et Mme [W] et la société civile immobilière [T] [V] (les maîtres de l'ouvrage) ont sollicité au contradictoire de la société Agilhor l'extension de la mesure d'expertise à d'autres désordres, laquelle a assigné, les 22 et 29 avril 2013, les constructeurs et leurs assureurs aux fins de leur voir déclarer l'expertise commune et opposable.

5. Par ordonnance du 5 septembre 2013, le juge des référés a fait droit à ces demandes et a rejeté la demande de provision de la société Agilhor au titre des travaux supplémentaires.

6. Par actes des 23, 28, 30 avril et 7 mai 2020, les maîtres de l'ouvrage ont, après expertise, assigné la société Agilhor, certains assureurs et intervenants à l'opération de construction en indemnisation de leurs préjudices.

7. Par conclusions du 23 mars 2021, la société Agilhor a sollicité reconventionnellement le paiement des travaux supplémentaires. Une fin de non-recevoir tirée de la prescription lui a été opposée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. La société Agilhor fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite sa demande reconventionnelle en paiement du solde des factures, alors :

« 1°/ que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que la prescription quinquennale n'atteint les créances que si elles sont déterminées, ce qui n'est pas le cas lorsque leur fixation fait l'objet d'un litige entre les parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constate que le juge des référés, par une ordonnance du 29 août 2011, a nommé un expert avec pour mission notamment d'apurer les comptes entre les parties, la créance de la société Agilhor étant contestée par les époux [W] et la SCI [T] [V] ; qu'en considérant néanmoins, pour déclarer prescrite l'action de la société Agilhor, que la créance de cette dernière n'était pas indéterminée, après avoir pourtant relevé qu'une mission de faire les comptes entre les parties avait été confiée à un expert, en sorte que la fixation de la créance faisait l'objet d'un litige entre les parties, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la créance était indéterminée et ce faisant, ne pouvait être atteinte par la prescription, a violé l'article 2224 du code civil ;

2°/ que si, en principe, en application de l'article 2239 du code civil, la suspension de la prescription ne joue, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, qu'au profit de cette partie, il en est autrement lorsque la partie qui a sollicité cette mesure ne l'a fait qu'en défense et à titre reconventionnel pour s'opposer à une demande en paiement principale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constate que la société EMC a fait assigner la SCI [T] [V] et les époux [W] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes afin d'obtenir le paiement provisionnel de travaux supplémentaires et que, par ordonnance du 29 août 2011, le juge des référés a certes rejeté la demande en paiement mais a fait droit à la demande reconventionnelle de désignation d'un expert avec notamment pour mission de rechercher la cause des désordres, d'indiquer les travaux propres à y remédier et d'apurer les comptes entre les parties ; qu'en déclarant irrecevable car prescrite la demande reconventionnelle de la société Agilhor au motif qu'elle avait été déboutée de sa demande en paiement provisionnel par l'ordonnance du 29 août 2011, quand elle pouvait bénéficier de l'effet suspensif de prescription durant le délai d'exécution de la mesure d'instruction dès lors que cette mesure n'avait été accordée en défense sur la demande reconventionnelle de la SCI [T] [V] et des époux [W] que pour s'opposer à la demande principale en paiement de la société EMC, la cour d'appel a violé les articles 2224, 2239 et 2241 du code civil ;

3°/ que si, en principe, en application de l'article 2239 du code civil, la suspension de la prescription ne joue, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, qu'au profit de cette partie, il en est autrement lorsque la mesure donne mission à l'expert d'apurer les comptes entre les parties et donc de se prononcer sur la créance de la partie qui n'a pas sollicité cette mesure, les deux parties étant alors dans l'impossibilité d'agir jusqu'au dépôt du rapport ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constate que la société EMC a fait assigner la SCI [T] [V] et les époux [W] devant le juge des référés afin d'obtenir le paiement provisionnel de travaux supplémentaires et que, par ordonnance du 29 août 2011, le juge des référés a certes rejeté la demande en paiement mais a fait droit à la demande reconventionnelle de désignation d'un expert avec notamment pour mission de rechercher la cause des désordres, d'indiquer les travaux propres à y remédier et d'apurer les comptes entre les parties ; qu'en déclarant irrecevable car prescrite la demande reconventionnelle de la société Agilhor au motif qu'elle avait été déboutée de sa demande en paiement provisionnel par l'ordonnance du 29 août 2011, quand elle pouvait bénéficier de l'effet suspensif de prescription durant le délai d'exécution de la mesure d'instruction dès lors que cette mesure avait notamment donné mission à l'expert de rechercher la cause des désordres, d'indiquer les travaux propres à y remédier et d'apurer les comptes entre les parties, en sorte que les deux parties étaient placées dans l'impossibilité d'agir dans l'attente du dépôt du rapport, la cour d'appel a violé les articles 2224, 2239 et 2241 du code civil ;

4°/ que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action a` une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constate que l'ordonnance du 5 septembre 2013 a fait droit, dans un litige auquel la SCI [T] [V] et les époux [W] étaient parties, à la demande de la société Agilhor d'extension de la mission d'expertise mise en place par l'ordonnance du 29 août 2011, à d'autres désordres et à d'autres intéressés, mais considère que cette demande n'a pu avoir d'effet interruptif ou suspensif de l'action reconventionnelle en paiement provisionnel des travaux supplémentaires dirigée par l'appelante contre la SCI [T] [V] et les époux [W] au motif que les deux actions n'ont pas le même objet et ne tendent pas aux mêmes fins ; qu'en statuant ainsi, quand il a été fait droit à la demande d'extension de l'expertise en ce qu'elle apparaissait nécessaire à la solution du litige entre les parties et quand cette demande tendait également in fine au paiement de la créance de la société Agilhor, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, la cour d'appel a retenu qu'il n'existait aucun litige entre les parties sur le montant de la créance de la société Agilhor au titre de travaux supplémentaires, ceux-ci ayant fait l'objet d'avenants, et qu'aucune des parties à l'instance de référé n'avait demandé que la mission d'expertise porte sur l'étendue ou le coût de ces travaux commandés par le maître de l'ouvrage, l'apurement des comptes figurant usuellement dans les missions d'expertise aux seules fins d'une éventuelle compensation ultérieure entre dettes réciproques.

10. Il en résulte que le grief de la première branche, qui postule que la créance de la société Agilhor aurait été indéterminée, au motif qu'une expertise était en cours, manque en fait.

11. En deuxième lieu, la Cour de cassation juge que la suspension de la prescription, prévue à l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, publié ; 3e Civ.,19 mars 2020, pourvoi n° 19-13.459, publié).

12. Les griefs des deuxième et troisième branches, qui postulent que l'effet suspensif de prescription peut profiter au défendeur à la mesure d'expertise selon les chefs de mission confiés à l'expert, ne sont donc pas fondés.

13. En troisième lieu, ayant exactement rappelé que, l'effet interruptif de prescription étant attaché à la demande, il ne peut s'étendre d'une action à une autre, quand bien même ces deux actions auraient été engagées par la même partie, dès lors qu'elles ne tendent pas aux mêmes fins, la cour d'appel a retenu que l'action de la société Agilhor contre les constructeurs et leurs assureurs aux fins de leur rendre opposable la mesure d'expertise portant sur les désordres n'avait pas eu d'effet interruptif de prescription sur l'action en paiement de sommes provisionnelles au titre des travaux supplémentaires de la société Agilhor à l'encontre des maîtres de l'ouvrage.

14. Ayant ainsi retenu que la société Agilhor ne justifiait pas d'un acte interruptif ni d'un acte suspensif de prescription avant l'expiration du délai quinquennal, ayant couru à compter de 2010, date de fin des travaux, elle en a exactement déduit que la demande en paiement formée par cette dernière le 23 mars 2021 était prescrite.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Agilhor aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le treize novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C30053 

Publié par ALBERT CASTON à 15:03  

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