Il est des croyances bien ancrées dans l'esprit des juristes qui perdurent, malgré des décisions particulièrement claires rendues récemment par la Cour de Cassation.

Telle est notamment la question de la recevabilité de l'action en liquidation de la créance déjà constatée dans un titre exécutoire.

Encore très récemment, il était rappelé par la jurisprudence que le créancier déjà titulaire d'un titre exécutoire notarié peut,  pour interrompre le délai de prescription, engager une mesure d'exécution forcée.

Ainsi, sa volonté d'interrompre le délai de prescription ne saurait justifier, en elle-même, l'introduction d'une action en liquidation de la créance constatée par le titre exécutoire.

Plus clairement, il n’était pas admis qu’il puisse solliciter devant les juridictions civiles la condamnation de son débiteur.

Son action était considérée comme étant irrecevable pour défaut d'intérêt à agir (Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, 16 octobre 2013) dès lors qu’il disposait déjà d’un titre exécutoire en l’occurrence, un titre notarié.

Cependant, en 2014, la Cour de Cassation a quelque peu infléchi sa position en considérant qu'en vue de l'engagement annoncé d'une procédure de saisie immobilière, il était possible au créancier d'engager une instance au fond même s’il était déjà en possession d'une ordonnance de référé laquelle constitue pourtant un titre exécutoire… (2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation, 13 novembre 2014).

En 2015, la Cour de Cassation opère le revirement complet.

Elle relève en effet qu'aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu'un créancier dispose de deux titres exécutoires pour la même créance (3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation, 24 mars 2015, n°14-10.077).

Par deux arrêts des 18 février et 14 décembre 2016, la Haute Cour a confirmé son revirement de jurisprudence.

Les termes employés sont on ne peut plus clairs : « l'acte notarié, bien que constituant un titre exécutoire, ne revêt pas les attributs d'un jugement ».

En outre, il est relevé « qu'aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu'un créancier dispose de deux titres exécutoires pour la même créance de sorte que la titularité d’un acte notarié n'était pas en soi de nature à priver la banque de son intérêt à agir aux fins de condamnation de son débiteur en paiement de la créance constatée dans cet acte ».

En conséquence, il est parfaitement possible pour un créancier et notamment un établissement bancaire qui souhaite interrompre la prescription, sans pour autant diligenter une mesure d'exécution forcée, de saisir la juridiction compétente d'une demande en condamnation de son débiteur.

Cette action peut présenter un triple intérêt :

  • premièrement, l'action judiciaire en condamnation va permettre de liquider très précisément le montant de la créance,
  • deuxièmement, le créancier va interrompre la prescription sans avoir à engager une voie d'exécution qui pourrait « incommoder » son débiteur, même s’il est vrai qu’il existe des voies d’exécution « indolores » telle la saisie de la carte grise, qui n’empêche que la cession mais pas l’usage,
  • troisièmement, le titre obtenu pourra être exécuté, conformément aux règles de prescription, pendant 10 ans.

Il s'agit là d’intérêts non loin d'être négligeables lorsque l'on connait :

  •  d'un côté, la rigueur des textes applicables en matière de prescription et les sanctions qui sont liées à leur non-respect,
  • et de l’autre, la volonté des créanciers et notamment des établissements bancaires de ne pas « harceler » leur débiteur par des mesures d’exécution intempestives mais seulement de préserver leur créance pour pouvoir un jour espérer la recouvrer.