Lorsque l’administration verse à un agent publique une somme indue, cette somme a vocation à être récupérée par l’employeur public soit par prélèvement sur les prochaines échéances de la rémunération de l’agent, soit par l’émission d’un titre de créance recouvré par les services des finances publiques.
C’est d’ailleurs précisément de cette manière que le problème des trop-perçus de rémunération est présenté sur le site service-public.fr :
« Si l'administration vous verse à tort (ou indûment) une rémunération à laquelle vous n'avez en fait pas droit, elle peut vous en demander le remboursement dans un certain délai.
Le versement indu d'une rémunération peut résulter d'une erreur matérielle de calcul (ou erreur de liquidation) de votre rémunération. (…).
Le versement indu peut aussi résulter d'une décision irrégulière vous accordant une rémunération à laquelle vous n'avez en fait pas droit. (…). »
Mais cette information ne reflète pas exactement l’état du droit tel qu’il est appliqué par la justice administrative, qui s’avère, on va le voir, beaucoup plus favorable aux fonctionnaires.
La position de l’administration est tempérée par une décision très célèbre de la juridiction suprême de l’ordre administratif, le Conseil d’Etat, appelée la « jurisprudence Ternon ».
Rendue en 2001, cette décision a fixé un grand principe de fonctionnement du droit administratif qui dépasse largement la simple interprétation d’un texte, et qui, de ce fait, a façonné la jurisprudence de l’ensemble des tribunaux administratifs.
CE, ass., 26 octobre 2001, n° 197018, Ternon :
« sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision »
Ainsi, si en principe l’administration peut corriger son erreur ce n’est que dans un délai de quatre mois. Passé ce délai, la décision, même illégale est définitive. Toutefois, dans ce cas précis, il n’était pas question de rémunération trop perçue mais de droit à la titularisation d'un agent.
Un an après, cette décision, le Conseil d’Etat a appliqué son principe « Ternon » en matière de rémunération, et plus spécifiquement, de Nouvelle Bonification Indiciaire (qui est une prime, versée à certains fonctionnaires territoriaux en fonction de l’exercice de certaines missions particulière).
Il s’agissait dans cette espèce, d’un fonctionnaire bénéficiant de cette prime de façon indue, et qui avant continué à la toucher alors qu’il était en congé maladie. La commune avait retiré l’avantage et appliqué rétroactivement un trop perçu en excipant d’une part, que l’agent n’aurait jamais dû percevoir cette prime (illégalité de l’acte initial), et de toute manière que la prime était conditionnée à l’exercice effectif des fonctions (non-application de la NBI pendant un congé).
Le Conseil d'Etat, Section du Contentieux, du 6 novembre 2002, n°223041, rappelle tout d’abord le principe TERNON :
« sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision »
Ensuite, il précise dans le cas d’un avantage financier :
« une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l'administration avait l'obligation de refuser cet avantage ; en revanche, n'ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d'une décision prise antérieurement »
Suivant sa logique, la juridiction suprême tranche le litige en considérant qu’il n’est pas possible de remettre en cause l’acte initial octroyant la NBI, fusse-t-il illégal, dans la mesure où il n’a pas été retiré dans les quatre mois (Principe Ternon). En revanche elle considère que le fait d’avoir maintenu la NBI pendant le congé, alors que celle-ci est conditionnée à l’exercice effectif des fonctions, constitue une « erreur de liquidation d’une créance née antérieurement ». La bonification pouvait donc être retirée de ce fait.
C’est ainsi qu’est née la distinction entre les trop-perçus recouvrables par l’administration (erreur de liquidation d’une créance ») et ceux qui ne sont pas recouvrable car ils résultent d’un acte créateur de droit.
La décision TERNON légèrement réécrite, a été codifiée en un article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) qui dispose que « l’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ».
Et la distinction « erreur de liquidation/acte créateur de droit » est encore aujourd’hui régulièrement appliqué dans les tribunaux administratifs, spécialement dans les litiges qui opposent les fonctionnaires et agents à leur employeur public.
Le législateur a cherché à diminuer les effets de cette jurisprudence favorable par une loi de finance rectificative n°2011-1978 du 28 décembre 2011 - art. 94 (V) qui a fixé la règle selon laquelle: "Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive."
Nous verrons dans le prochain article que, malgré l'intervention du législateur, la discussion oppérée par la jurisprudence TERNON n'a pas perdu toute effet et que la question des trops perçus est discutée au cas par cas devant les Tribunaux.
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