Le contentieux électoral est une matière ingrate en ce qu'elle n'offre à ses amateurs l'occasion de s'exprimer qu'au cours de périodes rares et intenses.

Fort heureusement, les causes susceptibles de générer une élection partielle sont suffisamment nombreuses pour susciter quelques occasions leur permettant de réviser leurs gammes, en attendant le renouvellement général des conseils municipaux de 2026.

La décision commentée peut sembler, de prime abord, d'une banalité affligeante : à la suite d'une perte de confiance de la part de ses colistiers, le maire d'une commune reçoit la démission de plus du tiers du conseil municipal, ce qui entraîne l'organisation de nouvelles élections, en application des dispositions de l'article L. 270 du code électoral.

L'issue du scrutin s'avère cruelle pour l'ancien édile, car son ancien premier adjoint l'emporte, au premier tour, avec 51,33 % des suffrages exprimés contre 48,67 % pour le sortant, ce qui correspond en l'espèce à un écart de 16 voix.

Manifestement surpris de ce résultat, il décide de jouer son va-tout en consignant au procès-verbal des opérations électorales une protestation tenant au grief unique selon lequel les bulletins de la liste adverse seraient d'un poids « égal ou supérieur à 80 g », ce qui aurait eu pour effet de pousser « plusieurs administrés » à exprimer « leur étonnement sur la différence de poids des deux imprimés », circonstance qu'une « balance alimentaire aurait confirmé ».

Il n'est pas nécessaire d'être un juriste aguerri pour saisir immédiatement le caractère désespéré de l'argument :

 

  • Le code électoral régit bien le grammage du matériel de propagande électorale, en son article R.30. Mais il ne s'intéresse qu'au poids du papier sur lequel les bulletins de vote est imprimé, en disposant qu'il doit se situer « entre au moins 70 et au plus 80 grammes au mètre carré ». Tenant les formats possibles du bulletin, qui sont fonction de la taille du conseil municipal et donc de la commune concernée, il est toutefois impossible qu'un bulletin ait, à lui-seul, un poids proche de 80 grammes. Il y a donc, ab initio, une confusion dans l'esprit du protestataire entre le poids d'un bulletin et les caractéristiques de son support, confusion qui trahit à elle seule le caractère artificiel du grief.
  • Partant, le fait que plusieurs électeurs auraient fait part de leur étonnement apparaît hautement improbable : la différence de poids entre un bulletin imprimé sur du papier à 70 g/m² et du papier à 80 g/m² est de l'ordre du tiers de gramme. Autant dire qu'il faut avoir le doigt fin pour les discriminer...
  • ... si fin qu'il faudrait d'ailleurs une balance de précision - et non une balance alimentaire - pour établir la réalité de l'imputation.
  • On notera enfin qu'il serait particulièrement étonnant qu'une irrégularité reposant sur une règle si précise puisse être soulevée sans apporter aucun élément probant au soutien de ces différentes affirmations, ce que le juge de l'élection ne manquera d'ailleurs pas de relever.

Si des mentions consignées au procès-verbal des opérations électorales « ne peuvent valablement saisir le juge de l’élection que si elles contiennent une demande d’annulation de ces opérations ou sont formulées dans des termes qui, au moyen de griefs précis, mettent expressément en cause leur validité et invitent ainsi le juge à en tirer les conséquences » (CE, 14 novembre 2014, Elections municipales de Pineuilh (Gironde), n° 382218, fichée en B) et qu'une fin de non-recevoir a été soulevée en défense, tenant la tardiveté du mémoire complémentaire du protestataire au regard des dispositions de l'article R. 119 du code électoral, le Tribunal administratif de Nîmes a fait le choix de la pédagogie en choisissant de se prononcer uniquement sur le fond.

A cet égard, plusieurs observations s'imposent.

En premier lieu, le présent litige ne peut se concevoir que dans une commune dans laquelle il n'a pas été institué de commission de propagande par le préfet (article R. 31 du code électoral), puisque cette dernière a précisément pour objet de vérifier, préalablement aux opérations électorales, la conformité du matériel électoral (conformité purement formelle, puisque la commission de propagande se refuse encore, malgré des coups de boutoirs contentieux de plus en plus nombreux, à en contrôler réellement le contenu).

En deuxième lieu, cette espèce permet de mettre en lumière une évolution des dispositions de l'article R. 30 du code électoral, passée relativement inaperçue puisque procédant de l'article 21 du Décret n°2021-1740 du 22 décembre 2021 entré en vigueur au 1er janvier 2022.

Auparavant, le texte imposait un grammage unique de 70 g/m². La nouvelle version autorise une marge de tolérance, permettant aux bulletins d'être imprimés sur du papier d'un grammage compris entre 70 et 80 g/m².

Cette évolution - ou plutôt ce retour à un peu plus de mansuétude (le grammage fixe de 70 g/m² n'ayant eu cours qu'entre le 1er janvier 2019 et le 1er janvier 2022 - s'explique par deux motifs principaux. D'une part et ainsi qu'il l'a déjà été rappelé, la différence de poids entre un bulletin de 70 g/m² et un bulletin de 80 g/m² est minime, ou en tout cas imperceptible pour l'électeur de sorte qu'elle ne peut pas, à elle seule, affecter la sincérité du scrutin. D'autre part, le grammage de 80 g/m² correspond au standard le plus courant dans l'industrie papetière.

Cette évolution réglementaire est donc frappée au coin du bon sens, sans remettre en cause, intrinsèquement, l'objectif de garantir le secret du vote.

En effet et en dernier lieu, il s'agit là de la raison d'être de l'article R. 30 : lorsque les bulletins présentent des irrégularités susceptibles de porter à ce principe, le juge de l'élection se montre intransigeant et n'hésite pas à annuler les opérations de vote.

Un arrêt du Conseil d'État du 4 mai 2023 (n° 469492, fiché en B) illustre parfaitement cette jurisprudence. Dans cette affaire, l'annulation des élections municipales a été prononcée en raison de l'utilisation de bulletins d'un format non conforme (A5 au lieu de A6). Le juge a estimé que ce format excessif, une fois plié, pouvait générer un gonflement des enveloppes électorales, permettant de deviner le sens du vote des électeurs.

En revanche, la jurisprudence ne semble pas s'émouvoir d'une légère différence de poids entre deux bulletins de format identique. Cette tolérance, à laquelle le juge administratif n'est pourtant pas si coutumier, s'explique par les raisons déjà évoquées : la différence de grammage n'est pas suffisamment significative et ne se traduit par une différence d'épaisseur du bulletin que de quelques microns, or cette différence minime n'a aucune incidence sur le secret du vote.

Les juges nîmois ont donc fort logiquement estimé que :

« (...) les termes mêmes de la combinaison des articles R. 30 et R. 66-2 du code électoral introduisent la possibilité qu’existe une différence de poids entre les bulletins de listes concurrentes. De plus, en l’espèce, il ne résulte pas de l’instruction qu’une différence de poids entre les bulletins des deux listes candidates fut remarquée par les électeurs ou put permettre leur identification à un quelconque moment du déroulement des opérations électorales. Aucun membre de l’unique bureau de vote n’a appelé la permanence mise en place par la sous-préfecture d'Alès pour signaler une difficulté sur ce point au cours des opérations de vote et de dépouillement lors de la journée du 18 février 2024, avant qu’à l’issue de la comptabilisation des bulletins, et tel qu’il l’affirme, M. B ne se manifeste auprès de cette veille téléphonique à ce sujet. Ainsi, à supposer même que le grammage des bulletins de la liste « E... » n’ait pas été conforme aux dispositions de l’article R. 30 précité, cette circonstance ne saurait être regardée comme ayant porté atteinte au secret du vote ou affecté la sincérité du scrutin. »

L'assouplissement du contrôle du poids des bulletins de vote témoigne ainsi d'un pragmatisme et d'une volonté de simplifier les démarches des candidats tout en préservant l'intégrité du scrutin. Le juge électoral, gardien vigilant du secret du suffrage, demeure toutefois intransigeant face à toute irrégularité susceptible de porter atteinte à ce principe fondamental.

Moralité, le juge de l'élection n'a cure du poids d'un vote, tant que le poids du vote n'en est pas affecté...