Dans un communiqué du 21 juillet 2023 la cour de cassation a déclaré ce qui suit : « une personne qui découvre le défaut du bien qui lui a été vendu a 2 ans pour engager une action en garantie des vices cachées. Ce délai peut être suspendu lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée. Cette action en garantie doit aussi être engagée dans un délai de 20 ans à compter de la vente du bien » .
La chambre mixte qualifie le délai de 2 ans de délai de prescription et reconnaît l’existence d’un délai butoir dont elle fixe la durée à 20 ans à compter de la naissance du droit pour encadrer le délai de prescription(Chambre mixte, 21 juillet 2023, pourvois n° 21-15.809,21-17.789, 21-19.936, 20-10.763 ).
Quelles peuvent en être les applications en droit maritime ?
L’intérêt d’une telle question se situe dans les modes d’acquisition de la propriété d’un navire par l’effet des obligations, la vente de navire et la construction navale. Nous n’évoquerons pas le crédit-bail qui, lui, suppose au préalable soit le contrat de construction navale soit le contrat de vente. Les solutions de ces derniers lui sont applicables sur des questions relatives à ce préalable.
La vente de navire et la construction navale impliquent la cession du droit de propriété sur un navire. Aussi, le vendeur ou constructeur doit-il la garantie des vices cachés à l’acquéreur du navire. Se pose alors la question de l’applicabilité des délais d’action de droit commun retenus par la chambre mixte.
1- Application à la vente de navire
Comme toute vente, la vente d’un navire met à la charge du vendeur l’obligation de garantie des vices cachés qui compromettent son utilisation. A ce titre, l’acquéreur dispose d’une action en garantie qu’il doit exercer. La règle de Article 1648, code civil est applicable à la vente de navire. En effet, « ayant relevé que le contrat portait, en l'espèce, sur la vente d'un navire de plaisance produit en série et commercialisé sous la marque ….. la cour d'appel a exactement énoncé que la demande en garantie formée par le revendeur à l'encontre du constructeur était soumise, non au délai d'un an de l'article 8 de la loi du 3 janvier 1967, mais au bref délai de l'article 1648 du Code civil » (Cass., com., 13 octobre 1998, 96-14.656 P.). Par cet attendu, le délai de droit commun de l’action en garantie des vices cachés est appliqué à la vente de navire : deux ans à compter de la découverte du vice.
De cette analyse, on conclura que la solution de droit commun étant applicable à la vente de navire, la solution retenue par la chambre mixte lui est pleinement applicable tant du point de vue de la nature du délai que de l’existence du délai butoir fixé à vingt ans. D’ailleurs, dans son communiqué, la cour précise apporter la même solution qu’il s’agisse d’une vente simple ou intégrée dans une chaîne de contrats quelle que soit la nature du bien.
2- Application à la construction navale
Selon Article L5113-5, code des transports, « en cas de vice caché, l'action en garantie contre le constructeur se prescrit par un an à compter de la date de la découverte du vice caché ». L’application de cet article peut être relevée dans l’interprétation a contrario de l’arrêt de la chambre commerciale du Cass., com., 13 octobre 1998, 96-14.656 P. cité sous l’analyse portant sur la vente de navire. Mieux, un arrêt rendu spécifiquement sur la construction navale retient que « l’action en garantie des vices cachés d’un navire doit, par ailleurs, aux termes de l’article 8 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, être exercée dans l’année de la découverte du vice ou, s’il s’agit de l’exercice d’un recours en garanties contre le sous-traitant par le constructeur lui-même assigné par son client, dans l’année de cette assignation ». Ces aarrêts, quoique explicites sur la spécificité du délai d’action, ne disent rien quant à la nature du délai. Elle est donnée expressément dans un autre arrêt.
La cour de cassation avait en effet jugé que : « (…) les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes et que le délai d'un an de l'action en garantie contre le constructeur d'un navire ……. »( Cass. com., 27 novembre 2001, 99-13.428, P.). Le droit de la construction navale avait ainsi devancé le droit commun en qualifiant expressément de délai de prescription le délai d’action en garantie des vices cachés.
Quid de l’existence d’un délai butoir ?
Ce délai constitue le délai de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées. Il court à compter de la naissance du droit revendiqué. L’existence de ce délai butoir est également reconnue dans le cadre de l’action en garantie des vices cachés contre le constructeur naval, puisse que suivant toujours l’ arrêt qui qualifie le délai d’action de délai de prescription, « le délai d'un an ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur de cette prescription extinctive de dix ans » (Cass. com., 27 novembre 2001, 99-13.428, P.). C’est la reconnaissance explicite de l’existence du délai butoir qualifié de prescription extinctive qui était de dix ans.
Dans les arrêts de la chambre mixte, la cour de cassation a consacré le délai de 20 ans de l’article 2232, code civil . Elle abandonne ainsi les délais de cinq ans de articles L110-4 du code de commerce et 2224 du code civil utilisés jusque-là.
Si le délai butoir de cinq ans était retenu en droit commun tout comme en droit de la construction navale, il n’y a pas de raison particulière de penser que le délai de cinq restera applicable à la construction navale. La correction apportée par la chambre mixte est applicable à la construction navale. Qu’il s’agisse du droit commun ou de la construction navale, seul le délai de l’article 2232, du code civil qui a pour point de départ le jour de la naissance du droit s’appliquera. D’ailleurs, ni les arrêts ni le communiqué ne laisse penser à une distinction entre droit commun et droit spécial. On ne saurait distinguer là où le législateur et la jurisprudence ne distinguent pas.
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