Délais de grâce et suspension des effets de la clause résolutoire
S'agissant des baux commerciaux, le Code de commerce prévoit la faculté pour le juge d'octroyer des délais de grâce au locataire en situation d'impayé, lorsque celui-ci justifie de sa situation et fait la preuve de sa bonne foi (Code de commerce, article L145-41 ; Code civil, article 1343-5).
Pour autant, ces dispositions ne sont pas applicables aux baux professionnels. Le statut des baux professionnels, d'ailleurs très bref, ne contient pas de disposition équivalentes (Loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l'offre foncière, article 57 A). Les dispositions régissant les baux commerciaux ne sont applicables aux baux professionnels qu'en vertu d'une clause contractuelle le prévoyant (Code de commerce, article L145-2).
La Cour d'appel de Lyon a déjà tranché en ce sens :
"Or, le contrat de bail liant les parties étant un contrat de bail professionnel et non un contrat de bail commercial, les dispositions de l'article L 145-41 du Code de commerce ne sont pas applicables, étant rappelé que le bail professionnel est régi par les dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, qui ne prévoient rien à ce titre." (Cour d'appel de Lyon, 20 septembre 2023, RG n° 22/07801).
Jurisprudence contradictoire de la Cour d'appel de Paris et du Tribunal Judiciaire de Paris
Pourtant, d'autres arrêts font douter de la rigueur du principe. Par exemple, au lieu d'écarter purement et simplement la question comme l'a fait la Cour d'appel de Lyon, la Cour d'appel de Paris va jusqu'à rechercher si le locataire fait la preuve de sa bonne foi ou de sa capacité à apurer la dette dans le cadre de l'échéancier sollicité :
"Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
L'article 1343-5 du code civil prévoit que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins de créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Au cas présent, la société Le Verger de [Localité 5] ne conteste pas la validité et les effets du commandement de payer visant la clause résolutoire qui lui a été délivré le 7 avril 2022 mais sollicite uniquement des délais de paiement avec suspension des effets de cette clause.
Il résulte toutefois des pièces produites par Mme [N] que l'appelante a été expulsée le 14 décembre 2022 et que, lors de cette expulsion, le commissaire de justice a constaté que les locaux n'étaient plus exploités.
La demande de suspension des effets de la clause résolutoire est donc devenue sans objet.
En tout état de cause, l'appelante, qui fait état des difficultés financières de sa filiale, la société Louloutte & Co, et d'un compromis de cession du droit au bail de celle-ci lui permettant, après cession, de procéder à la liquidation amiable de sa filiale et de générer un boni de liquidation, ne produit aucun élément tangible et concret permettant d'envisager un apurement de sa dette dans le délai légal de deux ans. Sa demande de délais de paiement ne peut donc qu'être rejetée." (Cour d'appel de Paris, 12 mai 2023, n°22/18897).
Elle a pourtant préalablement noté qu'il est question d'un bail professionnel et n'a pas relevé une adoption contractuelle du statut des baux commerciaux.
Il est intéressant de noter que le Tribunal Judiciaire de Paris semble avoir récemment pris position contre la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris, en indiquant qu'aucune disposition législative n'autorise le juge à neutraliser les effets de la clause résolutoire figurant au bail professionnel :
"Sur la demande reconventionnelle d'échelonnement rétroactif
En vertu de l'article 1343-5 du code civil, pris en ses premier et troisième alinéas, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
Au cas présent, aucune disposition légale ne permettant au juge d'octroyer un délai délai de paiement rétroactif et la demande formée par la défenderesse étant motivée par la neutralisation des effets de la clause résolutoire par des paiement antérieurs à l'audience, cette demande ne saurait prospérer." (Tribunal judiciaire de Paris, 30 septembre 2024, n° 23/59201).
Précautions de rédaction des baux professionnels et aléas contentieux
Les rédacteurs de baux professionnels doivent particulièrement veiller à l'emploi de références au statut du bail commercial où à l'article L145-41 du Code de commerce dans leurs baux, et particulièrement dans la clause résolutoire.
En cas d'impayé, une analyse rigoureuse du contrat de bail professionnel et du risque de requalification en bail commercial ou d'application de l'article L145-41 du Code de commerce est nécessaire pour déterminer la stratégie à adopter.
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Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes
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