La problématique des plantations et de l'élagage lorsque des fonds privés jouxtent le domaine public soulève des questions complexes quant à l'articulation entre les règles de droit civil et les principes spécifiques du droit public. Cette situation appelle à examiner si, et dans quelles conditions, les règles civiles continuent de s'appliquer ou sont éclipsées par les exigences particulières du domaine public.

I. Les règles civiles applicables en matière de plantation et d’élagage

1. Les règles posées par l’article 673 du code civil

L’article 673 du code civil prévoit que :

  • « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. »
  • Le texte introduit un droit imprescriptible permettant au propriétaire de couper lui-même les racines, ronces et brindilles dépassant sur sa propriété.

Cet article, applicable aux rapports de voisinage entre propriétés privées, s'inscrit dans un régime protecteur des droits du propriétaire impacté par des plantations voisines. Toutefois, il ne précise pas les règles spécifiques applicables lorsqu’un fonds privé est contigu au domaine public.

2. L’absence de servitudes légales imposables sur le domaine public

Le Conseil d’État et la Cour de cassation ont érigé des principes fondamentaux excluant l’imposition de servitudes légales sur le domaine public :

  • Principe d’inaliénabilité du domaine public : Le domaine public, en raison de sa vocation d’utilité publique, est protégé contre toute greffe de servitude légale issue du droit civil (Civ. 1re, 2 mars 1994, Société Escota ; CE, 4 juillet 1879, Revon).
  • Incompatibilité avec l'affectation publique : Toute servitude grevant le domaine public est incompatible avec l’affectation de ce dernier à l’usage ou au service public.

Par conséquent, les règles de droit privé relatives aux distances de plantation et à l'élagage des arbres ne peuvent, en principe, être imposées au domaine public.


II. L’applicabilité résiduelle des règles civiles au bénéfice du domaine public

1. Le domaine public, bénéficiaire des charges de droit privé

Si le domaine public échappe aux contraintes de droit civil, il peut toutefois en bénéficier à l’encontre des propriétés privées voisines. La Cour de cassation a ainsi reconnu qu'une personne publique peut invoquer les servitudes légales de droit civil en faveur d’une parcelle appartenant au domaine public (Cass. Req., 14 février 1900). Cela inclut :

  • L'application des distances de plantation prévues par les articles 671 et 672 du code civil ;
  • Le recours aux dispositions de l’article 673 du code civil pour exiger l’élagage ou l’enlèvement des plantations privées débordant sur le domaine public.

Dans ce contexte, une collectivité publique peut contraindre un propriétaire privé à respecter les distances légales de plantation et à élaguer les branches ou racines empiétant sur une parcelle du domaine public.

2. Une applicabilité soumise à l’appréciation des juridictions

L’application des règles civiles au bénéfice du domaine public reste toutefois soumise à l’appréciation souveraine des juges administratifs ou judiciaires. Cela dépendra notamment :

  • De l’affectation concrète du domaine public concerné (par exemple, une voie publique ou un espace naturel protégé) ;
  • Des règles spécifiques applicables au domaine public : les plantations doivent respecter des règles de droit public, telles que celles relatives à la protection de la sécurité routière ou à la conservation des sites naturels.

III. Les cas de superposition des régimes : complémentarité ou conflit

1. Les situations où le droit civil s’efface

Certaines situations impliquent une exclusion totale des règles civiles :

  • Propriété publique affectée à un usage spécifique : Par exemple, un trottoir jouxtant un fonds privé ne peut être grevé d’obligations de distance ou de servitudes de vue.
  • Interventions d’intérêt général : Le droit public prime sur le droit civil lorsqu’il s’agit de protéger l’intérêt collectif, comme la sécurité publique ou la protection de l’environnement.

2. Les situations où les règles civiles conservent leur portée

En revanche, le droit civil peut s’appliquer lorsque :

  • L’empiètement d’une plantation privée affecte l’usage normal du domaine public : Une branche débordante sur une voie publique, par exemple, peut être soumise à l’obligation d’élagage imposée par l’article 673 du code civil.
  • Les règles de voisinage ne sont pas incompatibles avec l’affectation publique : Un fonds privé jouxtant un espace boisé classé du domaine public pourrait être soumis aux distances minimales de plantation prévues à l’article 671 du code civil, sous réserve qu’elles soient compatibles avec les prescriptions locales (ex. PLU ou documents d’urbanisme).

Conclusion et perspectives

L’articulation entre le droit civil et le droit public en matière de plantation et d’élagage repose sur une règle cardinale : le domaine public est protégé des charges privées mais peut bénéficier des avantages du droit civil. Si les règles civiles s’effacent face à la primauté de l’affectation publique, elles conservent leur portée dans des cas précis où elles complètent utilement les prescriptions de droit public.

Pour les propriétaires privés jouxtant le domaine public, il est essentiel de se référer non seulement aux dispositions du code civil, mais aussi aux documents d’urbanisme locaux et aux règlements administratifs. Dans les cas litigieux, la compétence des juridictions administratives ou judiciaires devra être déterminée au regard de la nature du domaine public concerné et des enjeux en présence.