Monsieur L. est professeur en classe « SEGPA » (section d’enseignement général et professionnel adapté) dans un collège des Yvelines et a été suspendu de ses fonctions par la rectrice de l’académie de Versailles, par un arrêté qu’il conteste devant le tribunal administratif. Le juge doit, au titre de son contrôle juridictionnel, s’assurer que les faits fautifs imputés au fonctionnaire présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.
Quatre motifs sont avancés par la rectrice ; ils sont tous censurés par le tribunal :
En premier lieu, la rectrice expose qu’un élève de 5ème qui attendait dans le couloir avant le cours de Monsieur L. s’est cassé le poignet ; il est fait grief à Monsieur L. de ne pas surveiller les élèves dans le couloir. Le Tribunal relève cependant qu’il ressort de la déclaration d’accident scolaire que l’élève concerné avait un comportement inapproprié et « jouait à se pousser dans le rang avec d’autres élèves », et qu’il a été immédiatement pris en charge par Monsieur L. qui l’a envoyé à l’infirmerie. Un collège enseignant atteste en outre que « des élèves de 5ème ont pris l’habitude de monter dans les étages pour courir (même sprinter) dans les couloirs durant les récréations ainsi que de faire le tour du collège avant d’aller à leur prochain cours », et de nombreux rapports d’incident concernant cette classe pour l’année scolaire, révèlent le caractère particulièrement turbulent des élèves de 5ème et la difficulté pour l’ensemble des professeurs d’assurer la discipline, notamment dans les couloirs.
Le tribunal administratif en conclut que les faits reprochés au professeur ne sauraient, dans ces conditions, constituer un manquement à son obligation de surveillance et, partant, une faute susceptible de justifier une mesure de suspension de fonctions.
En deuxième lieu, la rectrice de l’académie de Versailles expose qu’un parent d’élève a écrit dans le carnet de liaison de son fils, un message à l’attention de Monsieur L. dans lequel il le menace de porter plainte contre lui au motif que Monsieur L. « harcèlerait » son fils. Monsieur L. fait valoir qu’après avoir entendu l’élève concerné dire à plusieurs reprises à ses camarades qu’il « avait choisi de ne plus s’alimenter pour se laisser mourir comme sa grand-mère », il a relaté ces propos au conseil de classe, ce qui a conduit le directeur de la SEGPA à demander à l’infirmière scolaire de convoquer l’élève. Le message du parent d’élève a été rédigé après que l’élève concerné se soit rendu à l’infirmerie pour être examiné. Si la rectrice de l’académie de Versailles soutient que Monsieur L. aurait interrogé l’élève avec persistance pendant un an pour savoir s’il s’alimentait bien et n’était pas anorexique, le tribunal administratif constate cependant que les faits de harcèlement moral reprochés à Monsieur L. ne présentaient pas, en l’absence de tout élément permettant de soupçonner que son attitude envers cet élève aurait été malveillante ou de nature à porter atteinte à sa dignité, un caractère suffisant de vraisemblance pour justifier qu’une mesure de suspension de fonctions soit prise à son encontre.
En troisième lieu, la rectrice exposait que des élèves demandaient à Monsieur L. de se rendre à l’infirmerie dans le seul but d’éviter son cours « depuis une quinzaine de jours ». Cependant, plusieurs professeurs ont attesté avoir été confrontés à de telles demandes abusives de la part de certains élèves de 6ème. Le tribunal administratif estime que, compte tenu de la difficulté pour Monsieur L. de déceler, tout en continuant à assurer la discipline dans une classe particulièrement agitée, l’insincérité de ces élèves, lesquels n’ont, d’ailleurs, pas été réprimandés lorsque le motif médical qu’ils invoquaient s’avérait mensonger, la circonstance qu’il ait autorisé les élèves qui en faisaient la demande à se rendre, même à trois contrairement aux règles applicables, à l’infirmerie « sans aucune analyse préalable et sans filtre » ne présentait pas un caractère suffisant de gravité pour justifier légalement une mesure de suspension de fonctions.
En dernier lieu, la rectrice de l’académie de Versailles soutenait que Monsieur L. se serait adressé de manière inappropriée à ses élèves. Le tribunal administratif observe cependant qu’il ressort des nombreux rapports d’incident versés aux débats et des témoignages des collègues de Monsieur L. que certains élèves dont ce dernier avait la charge étaient particulièrement dissipés et adoptaient un comportement irrespectueux, voire violent, rendant la gestion des classes concernées extrêmement difficile. Le Tribunal estime que, dans les circonstances particulières de l’espèce, bien que fautifs, les propos que Monsieur L. a tenus à l’égard de certains élèves, dont le comportement pendant les heures de cours était inadmissible, ne revêtaient pas un caractère suffisant de gravité pour justifier qu’une mesure de suspension à titre conservatoire, impliquant son éloignement immédiat du service, soit prononcée à son encontre.
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