La Blockchain comme Preuve dans un Jugement de Contrefaçon : Une illustration de l’évolution du droit de la preuve
Le 20 mars 2025, le Tribunal judiciaire de Marseille a rendu un jugement marquant dans une affaire de contrefaçon de droits d'auteur, mettant en lumière l'importance de la blockchain comme moyen de preuve (TJ Marseille 1er Chambre 20 mars 2025, 23/00046).
Ce jugement, qui oppose deux sociétés du secteur de la mode, illustre comment la technologie blockchain peut transformer la manière dont les créations artistiques sont protégées et défendues en justice.
Qu’est-ce que la Blockchain ?
L'horodatage par blockchain est une méthode moderne et sécurisée pour prouver l'existence et l'antériorité d'un document ou d'une création à une date précise.
Ce mécanisme repose sur l'utilisation de la technologie blockchain, qui permet d'enregistrer de manière immuable et vérifiable des informations sur un registre distribué.
Mécanisme de l'horodatage par blockchain
- Création de l'empreinte numérique :
- Un document ou une création est transformé en une empreinte numérique unique (hash) à l'aide d'une fonction de hachage cryptographique (comme SHA-256). Cette empreinte est une chaîne de caractères qui représente de manière unique le contenu du document.
- Enregistrement sur la blockchain :
- L'empreinte numérique est ensuite enregistrée sur une blockchain publique (comme Bitcoin ou Ethereum) ou privée. Cet enregistrement est effectué via une transaction qui inclut l'empreinte numérique et un horodatage (timestamp) précis.
- Vérification de l'antériorité :
- Une fois enregistrée, l'empreinte numérique et l'horodatage sont immuables et accessibles publiquement.
Toute personne peut vérifier l'existence et l'antériorité du document en comparant l'empreinte numérique avec celle enregistrée sur la blockchain.
Les Faits de l'Affaire
Une société de mode (Société A) a assigné une autre société (Société B) devant le Tribunal judiciaire de Marseille pour contrefaçon de droits d'auteur.
La Société A, spécialisée dans la création de vêtements de haute couture, accusait la Société B de commercialiser des vêtements reprenant les caractéristiques originales de ses créations "Love from Alber" et "Hearts from Alber".
Ces créations, conçues par un célèbre designer, avaient été divulguées et commercialisées sous la marque de la Société A, avec une preuve d'antériorité établie par un ancrage dans la blockchain.
La Blockchain comme Preuve d'Antériorité
L'un des aspects les plus intéressants de cette affaire réside dans l'utilisation de la blockchain pour prouver l'antériorité des créations de la Société A.
Les croquis et dessins des vêtements "Love from Alber" et "Hearts from Alber" avaient été ancrés dans la blockchain via une solution spécialisée, BlockchainYourIP.
Cet ancrage avait été constaté par un huissier de justice, renforçant ainsi la validité de la preuve.
La blockchain a permis de prouver de manière immuable et vérifiable que les créations de la Société A existaient bien avant que la Société B ne commence à commercialiser des vêtements similaires.
Cette preuve a été cruciale pour établir la titularité des droits d'auteur de la Société A sur ses créations.
Le Jugement et ses Conséquences
Le Tribunal a reconnu la validité de la preuve apportée par la blockchain et a jugé que la Société B s'était rendue coupable de contrefaçon de droits d'auteur.
La Société B a été condamnée à payer des dommages et intérêts à la Société A, ainsi qu'à cesser toute fabrication, reproduction, exposition ou vente des vêtements litigieux.
De plus, le Tribunal a ordonné la destruction des exemplaires contrefaisants et la publication d'un communiqué judiciaire dans plusieurs journaux professionnels.
La Blockchain : Une Révolution pour la Propriété Intellectuelle ?
Ce jugement montre que la blockchain peut être un outil puissant pour protéger les droits de propriété intellectuelle, notamment en matière de propriété littéraire et artistique.
En permettant un enregistrement immuable et vérifiable des créations, la blockchain offre une preuve d'antériorité solide et fiable.
Cela est particulièrement utile dans des secteurs où la protection des créations est essentielle, comme la mode, la musique, ou encore les arts visuels.
Cependant, il est important de noter que la blockchain ne peut pas être utilisée dans tous les domaines.
Les modes de preuve classiques, prévus par le Code civil (écrits sous seing-privé, authentiques, ou témoignages), sont toujours d’actualité.
De même que le constat par un commissaire de justice humain (anciennement huissier), sera toujours indispensable.
La blockchain est donc un outil supplémentaire, mais elle ne remplace pas les autres modes de preuve.
Elle est particulièrement adaptée aux cas où la preuve d'antériorité est cruciale, comme dans les affaires de contrefaçon de droits d'auteur.
Dans d'autres domaines, des moyens de preuve traditionnels peuvent rester plus appropriés.
Conclusion
Le jugement du Tribunal judiciaire de Marseille est toutefois significatif de l’adaptation de la justice aux nouvelles technologies.
Le Code civil date peut-être de 1804, mais ses rédacteurs, dont PORTALIS, étaient des génies dont l’œuvre perdure et s’adapte à l’évolution.
La prise en compte de l'utilisation de la blockchain, comme moyen de preuve en matière de propriété intellectuelle, en est une illustration.
En reconnaissant la validité de la preuve apportée par la blockchain, le Tribunal ouvre la voie à une meilleure protection des créations artistiques et littéraires.
Ce jugement pourrait inspirer d'autres juridictions à adopter des approches similaires, renforçant ainsi la protection des droits de propriété intellectuelle à l'ère numérique.
Toutefois, ce n’est pas la première fois que la justice s’intéresse à une telle technologie, les services de police et de gendarmerie l’utilisant pour tracer des transactions illicites, comme l’illustre un arrêt du 15 février 2023 de la Chambre criminelle (Cass. crim., 15-02-2023, n° 22-81.326).
L’Union Européenne et, en France, l’INPI, l’AMF et la CNIL notamment, se sont déjà penchés sur ses implications dans leurs domaines respectifs.
Pas de contribution, soyez le premier