L'idée d'un État de droit repose sur la séparation des pouvoirs, un principe fondamental qui veut que le pouvoir judiciaire soit indépendant de l'exécutif et du législatif.

 

Certes la Constitution de la 5eme République apporte les garanties formelles d'une justice indépendante par l’affirmation de la séparation des pouvoirs.

 

L'Article 111 dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif dans le respect des dispositions de la présente Constitution. Les magistrats ne sont soumis dans l'exercice de leur fonction qu'à l'autorité de la loi. »

 

Le préambule, les articles 1, 5 et 169 affirment également le principe de la séparation des pouvoirs. 

 

En théorie, cela signifie que la justice ne devrait pas dépendre de l'Exécutif pour son fonctionnement.

 

Cependant, la mise en œuvre effective de ce principe vient d’être écartée par la vidéo de la famille Bongo. Cette vidéo illustre la distance qui peut encore exister entre le texte constitutionnel et la réalité des pratiques de pouvoir. Cette vidéo révèle à jamais au grand jour l’information selon laquelle la justice est aux ordres. 

 

L'indépendance de la justice n'est pas un luxe, mais une condition essentielle pour garantir l'égalité de tous devant la loi. Lorsque la justice est perçue comme aux ordres de l'exécutif, plusieurs dysfonctionnements majeurs apparaissent. 

 

Or, chaque Juge et Procureur gabonais jure solennellement de n'exercer leurs fonctions qu'en observant des principes. 

 

La formule solennelle est la suivante : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat, de n'exercer mes fonctions qu'en toute indépendance, impartialité, dignité et probité, dans le strict respect de la Constitution et des lois de la République Gabonaise.

Je le jure. »

 

Le serment n'est pas une formule vide ; il est le rempart éthique qui place l'autorité de la loi au-dessus de tout ordre politique. 

 

Les raisons pour lesquelles le serment est fragilisé au Gabon sont structurelles et découlent de l'emprise persistante de l'Exécutif. 

 

Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), organe de gestion des carrières, est présidé par le Chef de l'État. L'Exécutif a ainsi une influence directe sur les promotions et affectations. Comment un juge peut-il rendre une décision défavorable au pouvoir si sa carrière dépend de celui-ci ? L'indépendance, jurée, est mise en péril par la menace d'une sanction ou d'un blocage de carrière.

La subordination du Ministère Public (Parquet) au Ministre de la Justice permet à l'Exécutif d'orienter les poursuites. Le procureur, qui jure pourtant d'être impartial, se retrouve pris entre le respect de son serment et l'obéissance hiérarchique.

 

Par ailleurs, la culture de l’obéissance, une pratique politique de longue durée a érigé la loyauté à l'Exécutif en valeur supérieure à l'impartialité. 

 

Dénoncer cette emprise de l’Exécutif est un premier pas, proposer des solutions concrètes est un impératif démocratique.

 

Restaurer l'indépendance et l'impartialité de la justice requiert des réformes structurelles profondes, visant à sanctuariser son fonctionnement et ses ressources.

Pour que les magistrats puissent respecter leur Serment sans craindre pour leur carrière, le Gabon doit opter pour une rupture institutionnelle claire.

 

Pour ma part, je crois qu’il est impératif de casser la tradition de l’obéissance afin de réhabiliter le serment du Magistrat. 

 

Aussi le CSM est la clé de voûte de l'indépendance judiciaire. Pour le prémunir de toute influence exécutive, il importe de dépolitiser sa composition. Le CSM doit être composé d'une majorité écrasante de magistrats élus par leurs pairs et non de membres nommés par le Chef de l'État. C'est l'autonomie du corps judiciaire qui doit prévaloir.

 

En outre, la Constitution doit être révisée pour que la présidence du CSM revienne au Chef de la plus haute juridiction judiciaire et non au Chef de l'Exécutif. La présence du Chef de l’Etat doit être symbolique. 

 

Puis, il faudrait affranchir définitivement le Parquet du Ministère de la Justice. Un procureur ne peut être impartial que s'il est libre. Cette liberté doit être constitutionnelle. La loi doit interdire formellement au Ministre de la Justice d'adresser des instructions, qu'elles soient individuelles ou générales, au Procureur concernant les poursuites. La décision de poursuivre doit revenir à la seule conscience professionnelle du magistrat, en accord avec son Serment.

 

En sus, l’inamovibilité du Magistrat doit être garanti. C’est l'Inamovibilité qui empêche un juge d'être déplacé ou rétrogradé sans son accord.

 

Cette garantie prémunirait de la menace d'une affectation punitive s'il s'oppose aux ordres politiques.

 

Aussi l’autonomie financière du pouvoir judiciaire, inscrite dans la Constitution, doit être rendue effective par un organe indépendant qui propose et gère le budget judiciaire, sans l'arbitraire du pouvoir en place.

 

Enfin, ce dernier point est très important pour le justiciable gabonais. Toutes les décisions de justice doivent être accessibles au public pour que le citoyen puisse contrôler l'application du Serment. Chaque citoyen doit être à même de profiter d’une justice numérique et transparente, permettant la consultation des décisions et la traçabilité des procédures. Ce système permettra de lutter contre l'opacité et les arrangements en coulisses.

 

Pour conclure, le seul moyen pour le Gabon d'honorer la Constitution et d'affirmer l'autorité de la Loi est de doter les magistrats des garanties institutionnelles qui leur permettront enfin de respecter pleinement leur Serment. Une justice libre est le premier acte de souveraineté d'une République restaurée.

 

Pour que la justice devienne le sanctuaire de l'égalité républicaine, les réformes proposées doivent être mises en œuvre avec courage. Seule une justice véritablement indépendante, aux mains des juges et non des politiques, peut pleinement assumer son rôle de gardienne des libertés individuelles et de contre-pouvoir essentiel à toute démocratie saine.

 

Me Mabika Sauze