La Cour de cassation (Civ. 3e, 1er mars 2023, n°21-23.176) précise sa position amorcée en 2021 : l’action en paiement de travaux contre un consommateur court à compter de l’exécution de la prestation.
I. RAPPEL DE LA LOI
La question sur le point de départ de la prescription biennale a fait l'objet de nombreux litiges.
Cette question puise sa source dans l'article L. 218-2 du Code de la consommation (anciennement L. 137-2) disposant que :
"L'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans."
L'inconvénient de ce texte est de ne rien prévoir quant au point de départ de cette prescription biennale. Deux écoles se sont alors opposées : pour les unes, c'est le jour de l’établissement de la facture, tandis que pour les autres, c'est au jour où le créancier a connaissance des faits lui permettant d’agir.
La Cour de cassation a tranché cette question.
II. FAITS ET PROCEDURE
Dans la présente affaire, un maître d’ouvrage avait confié des travaux de construction d’un mur de soutènement et de réfection de terrasses à une entreprise de maçonnerie. Cette dernière lui adresse une facture pour le solde de ses travaux, datée du 19 décembre 2011.
Suite à une expertise amiable, l’entreprise assigne en paiement son client par acte de commissaire de justice, en date du 23 septembre 2014.
Le 27 mai 2011, la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE considère l'action prescrite et déboute l'artisan, qui forme alors un pourvoi en cassation.
III. POSITION DE LA COUR DE CASSATION
Aux termes de son pourvoi, l'artisan expose en premier lieu, que si l’action des professionnels contre les consommateurs se prescrivent par deux ans, ce délai court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
De fait, ce n’est pas à la date d’émission de la facture que la prescription trouve son point de départ, mais au jour où la créance devient exigible.
En second lieu, l'artisan expose que ce point de départ n'est pas la date de contestation de l’achèvement ou de la bonne réalisation des travaux.
La Cour de cassation expose que la jurisprudence antérieure qui fixait le point de départ des délais au jour de l’établissement de la facture (Cass. civ. 3, 14 février 2019, n°17-31.466) est surannée.
Dans le dessein d’harmoniser le point de départ des délais de prescription, la Cour de cassation indique que, désormais, il faut prendre en compte la date d’achèvement des travaux ou de l’exécution des prestations (excepté si le contrat ou la loi en dispose autrement) pour permettre au professionnel d'agir en recouvrement forcé.
Cette circonstance rend donc la créance exigible.
Cette décision n'est pas nouvelle, car déjà le 19 mai 2021 (n°20-12.520), la Cour de cassation avait statué en ce sens, déclarant qu'il y a lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits, tel que l'achèvement des travaux, pour permettre au professionnel d’exercer son action en recouvrement de sa facture.
En résumé, l’action en paiement de travaux à l’encontre d’un consommateur court donc à compter de la connaissance des faits qui lui permettent d'agir contre ce dernier et non plus au jour de l'établissement de la facture. Ces faits peuvent être caractérisés par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations.
IV. QUID SI LA FACTURE EST EMISE AVANT LA RECEPTION DES TRAVAUX ?
La question est importante car en cas de travaux de construction, lorsque plusieurs corps de métier interviennent, tous n'adressent pas leurs factures au même moment et le jour de la signature du procès-verbal de réception avec tous les artisans intervenant sur le chantier.
Généralement, une fois que l'artisan a terminé ses travaux, il adresse ses factures avant la réception intégrale du chantier.
Le délai de 2 ans court-il au jour de l'émission de la facture ou au jour de la réception du chantier ?
Pour répondre à cette interrogation, à notre avis, il faut reprendre l'arrêt du 19 mai 2021 précité (n°20-12.520).
Dans cette affaire, la Cour de cassation indique que si on applique son revirement de jurisprudence dans le litige qui lui a été soumis, l’entreprise qui sollicitait le paiement du solde de ses travaux serait prescrite. Cette solution serait injuste pour la Cour. C'est pourquoi, la Cour écrit que :
si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en oeuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action.
Autrement dit, appliquer la nouvelle jurisprudence aurait été injuste pour l'entreprise, car cette dernière aurait été privé du droit d'agir en raison de la prescription de son action, ce qui reviendrait à transgresser le principe du droit à un procès équitable (article 6, § 1, de la CEDH).
Dans ce cas, le juge doit faire application de l’ancienne jurisprudence : point de départ de l'action biennale à compter de la date d'émission de la facture.
Cette affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de CHAMBERY qui, le 21 mars 2023 (RG 22/01274), a retenu que :
"Pour respecter le principe du procès équitable, il peut être fait exception au principe de l'application immédiate de cette nouvelle jurisprudence aux litiges en cours en considérant que la date d'établissement de la facture constitue le point de départ de la prescription au jour de l'assignation des consommateurs. En effet, la jurisprudence précédente faisait partir le point de départ du délai de prescription à la date d'établissement de la facture, jurisprudence plus favorable au professionnel puisque la facture, émise après l'exécution de la prestation, était rarement émise le jour même de cette exécution comme le prévoyait l'article L. 441-3 du code de commerce , dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n 2019-359 du 24 avril 2019 : ' tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. Le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service....' "
De fait, pour être favorable à l'artisan, il faut considérer que si la dernière facture de l'artisan n'est pas une facture d'acompte, mais une facture de fins de travaux émise après l'exécution desdits travaux, le point de départ de la prescription court à compter de la date d'émission de cette facture, peu importe que la réception des travaux ne soit pas actée de manière contradictoire.
Pour démontrer que les travaux étaient bien achevés au jour de l'émission de la facture, il suffit de trouver des éléments de preuve : courrier de l'artisan accompagnant la facture, courrier de mis en demeure indiquant que les travaux étaient finis, attestation du maître d'oeuvre ou de l'architecte, etc.
A l'inverse, supposons le cas d'un artisan qui ait émis sa facture définitive 2 ans avant la réception des travaux, car cette dernière a été retardée du fait des autres corps de métier intervenant sur le chantier.
L'artisan peut-il prétendre que le point de départ du délai biennal est à compter de la réception du chantier ? et non de l'émission de sa facture (car il serait prescrit si cette date était retenue) ?
A notre avis, le point de départ reste l'émission de la facture définitive des travaux de l'artisan, car elle démontre que ses obligations contractuelles étaient achevées au jour de la facturation et il lui appartenait donc de tout mettre en oeuvre pour être réglé dans les 2 ans.
Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS
Tél. : 0689490792
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