La Cour de cassation vient une nouvelle fois rappeler que la qualité de dirigeant de fait ne peut être retenue sans la démonstration concrète d’un exercice effectif et indépendant de fonctions de gestion. Dans un arrêt rendu le 26 mars 2025 (Cass. com., 26 mars 2025, n° 24-11.190), elle censure la décision d’une cour d’appel qui avait retenu cette qualité à l’encontre d’un directeur commercial sur le seul fondement d’une influence supposée et de déclarations non étayées. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante et rigoureuse, imposant aux juridictions du fond une démonstration rigoureuse des actes de gestion.

 

Une affaire classique de confusion des rôles

En l’espèce, un directeur commercial avait été condamné à une faillite personnelle par une cour d’appel, en qualité de gérant de fait d’une société à responsabilité limitée placée en liquidation judiciaire. Pour motiver sa décision, la juridiction du second degré s’était appuyée sur plusieurs éléments :

 

  • une enquête pénale ayant mis en lumière une « emprise » du salarié sur le gérant de droit,

 

  • la relation familiale unissant les deux hommes (l’un étant l’oncle de l’autre),

 

  • des déclarations de salariés affirmant que le directeur commercial était « le véritable patron » de la société,

 

  • et l’utilisation des ressources de la société au profit d’une autre structure contrôlée par l’intéressé.

 

Ce faisceau d’éléments avait conduit la cour d’appel à considérer que l’intéressé s’était substitué au gérant légal dans la conduite des affaires sociales, caractérisant ainsi une immixtion dans la gestion en toute indépendance.

 

Une exigence constante de la Cour de cassation : des actes concrets

La Cour de cassation ne suit pas cette analyse. Dans une motivation classique mais ferme, elle rappelle que la qualité de dirigeant de fait suppose l’exercice, en toute indépendance, d’une activité positive de gestion. En d’autres termes, il ne suffit pas d’avoir de l’influence ou d’être perçu comme un décideur : encore faut-il avoir posé des actes précis, répétés, excédant ses fonctions contractuelles.

 

Ce principe, ancien et solidement établi, a été rappelé à de nombreuses reprises (notamment Cass. com., 27 mai 2003, n° 859 F-D ; Cass. com., 24 janvier 2018, n° 16-23.649 ; Cass. com., 9 juin 2022, n° 21-13.588). Il repose sur une logique juridique claire : la responsabilité attachée à la qualité de dirigeant – de droit ou de fait – ne saurait être engagée sans qu’il soit démontré une véritable direction, de nature décisionnelle, et exercée de manière autonome.

 

Autrement dit, une emprise psychologique ou hiérarchique ne suffit pas. Il faut établir :

 

  • que le prétendu dirigeant de fait a pris des décisions structurantes pour l’entreprise ;

 

  • que ces décisions ont été prises sans validation du dirigeant légal ;

 

  • et qu’il y a eu une continuité d’action, et non une simple intervention ponctuelle.

 

Une exigence de sécurité juridique pour les cadres dirigeants

Cette décision revêt une importance particulière pour les cadres exerçant des fonctions proches du pouvoir exécutif, tels que les directeurs commerciaux, les directeurs généraux délégués, ou encore les conseils extérieurs ayant une influence stratégique.

 

L’exigence d’actes positifs protège en effet ces personnes contre une assimilation abusive à un rôle de gestionnaire qu’elles n’auraient ni revendiqué ni exercé. Elle évite que la justice ne confonde autorité fonctionnelle et pouvoir juridique. Cela est d’autant plus crucial que les conséquences de la reconnaissance de la qualité de dirigeant de fait peuvent être lourdes : faillite personnelle, interdiction de gérer, voire responsabilité pour insuffisance d’actif dans le cadre des procédures collectives (articles L. 653-1 et suivants du Code de commerce).

 

Dans le contexte économique actuel, marqué par une pression accrue sur les organes de direction, il est fondamental de bien délimiter les responsabilités de chacun. Cette délimitation passe par une analyse fine des statuts, des délégations internes, et des pratiques managériales.

 

Quelle stratégie de défense adopter face à une telle accusation ?

Lorsqu’un salarié, un associé ou un dirigeant informel est poursuivi en tant que gérant de fait, la stratégie de défense doit être construite autour de l’absence d’autonomie décisionnelle et de l’absence d’actes de gestion significatifs. Il est ainsi opportun de démontrer :

 

  • que toutes les décisions étaient prises ou validées par le gérant de droit,

 

  • que l’intéressé agissait dans le cadre strict de ses attributions contractuelles,

 

  • qu’il n’avait pas accès aux comptes, à la signature bancaire ou aux grandes orientations stratégiques.

 

L’objectif est de démontrer que, malgré un rôle actif ou visible, l’intéressé ne disposait ni de la liberté de décision ni de la responsabilité effective permettant de caractériser une direction de fait.

 

Si vous êtes concerné par une telle situation, ou si vous êtes associé ou gérant d’une société et que vous souhaitez sécuriser les contours de votre gouvernance, consultez un avocat en droit des affaires sur la Ville de Versailles. L’appréciation de la gestion de fait repose toujours sur des éléments factuels et juridiques qu’un avocat saura qualifier avec précision, en fonction de la jurisprudence la plus récente.

 

Une vigilance renforcée sur les preuves et les qualifications

L’arrêt du 26 mars 2025 s’inscrit dans un corpus jurisprudentiel exigeant, qui entend protéger les principes de sécurité juridique et de responsabilité individuelle. La direction de fait n’est pas une notion souple ou présumée : elle suppose des éléments objectifs, concrets, démontrables.

 

Pour les praticiens du droit comme pour les entreprises, ce rappel est bienvenu. Il impose de mieux formaliser les délégations, de clarifier les rôles dans l’organigramme, et d’anticiper les risques liés à la confusion des fonctions, en particulier dans les structures familiales ou à gouvernance souple.