EN BREF : ces parties, autre que le demandeur à l’expertise pour lequel la suspension de la prescription jouera automatiquement, pourront bénéficier de la suspension de la prescription,  à condition d’avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.


Il résulte des articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge.

Alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire , termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise.

La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.

SOURCE : Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 20/11/2020, 432678

JURISPRUDENCE :

Avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 :

CE, 7 octobre 2009, Société atelier des maîtres d'œuvre Atmo et compagnie les souscripteurs du Lloyd's de Londres, n° 308163, T. p. 837 ;

« Il résulte des dispositions des articles 2244 et 2270 du code civil, applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l'égard des maîtres d'ouvrage publics, qu'une citation en justice n'interrompt la prescription qu'à la double condition d'émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait. En conséquence, la citation dirigée contre l'assureur du maître d'ouvrage ne vaut pas contre les constructeurs. »

CE, 12 mars 2014, Société Ace Insurance, n° 364429, T. p. 744 ;

« Il résulte des dispositions de l'article 2244, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et de l'article 2270 du code civil, applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l'égard des maîtres d'ouvrage publics, qu'une citation en justice n'interrompt la prescription qu'à la double condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait. Toutefois, l'assureur du maître de l'ouvrage bénéficie de l'effet interruptif d'une citation en justice à laquelle il a procédé dans le délai de garantie décennale, alors même qu'à la date de cette citation, n'ayant pas payé l'indemnité d'assurance, il ne serait pas encore subrogé dans les droits de son assuré. Son action contre les constructeurs est recevable dès lors qu'elle est engagée dans le nouveau délai de dix ans ainsi ouvert et que l'indemnité due à l'assuré a été versée avant que le juge ne statue sur le bien-fondé de cette action. La demande, présentée par l'assureur du maître de l'ouvrage, tendant à l'extension aux constructeurs d'une expertise ordonnée dans le cadre de l'action engagée contre lui par le maître de l'ouvrage, vaut citation en justice et emporte, par suite, interruption du délai de garantie décennale. »

CE, 19 avril 2017, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 395328, T. p. 680.

« Il résulte des dispositions alors en vigueur de l'article 2244 du code civil, applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l'égard des maîtres d'ouvrage publics, que, pour les désordres qui y sont expressément visés, une action en justice n'interrompt la prescription qu'à la condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait. Par suite, erreur de droit d'une cour administrative d'appel à exclure l'effet interruptif d'une assignation devant le TGI au motif qu'elle ne précisait pas qu'elle reposait sur le fondement de la garantie décennale et qu'elle ne pouvait être regardée comme nécessairement fondée sur la garantie décennale. Il appartenait uniquement à la cour de rechercher si l'assignation identifiait de manière suffisamment précise les désordres dont elle demandait réparation, émanait de la personne qui avait qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et visait ceux-là même qui en bénéficieraient. »

Cass. civ 2e, 31 janvier 2019, Société Navaron, n° 18-10.011, à publier au Bulletin ;

Cass. civ 3e, 19 mars 2020, Société de travaux publics et de construction du littoral, n° 19-13.459, à publier au Bulletin.