« Mais attendu que le seul fait pour le créancier bénéficiaire du nantissement d'un fonds de commerce de ne pas faire ordonner la vente de ce dernier, sur le fondement de l'article L. 143-5 du code de commerce, dès la défaillance du débiteur principal, ou, sur le fondement de l'article L. 643-2 du même code, après l'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur, ne constitue pas en soi une faute au sens de l'article 2314 du code civil ».
Le présent arrêt est l’occasion de revenir sur cette question, dont l’appréhension est parfois complexe pour les dirigeants d’entreprise qui se sont portés caution des dettes de leur entreprise, et dont le fonds de commerce est nanti au profit du créancier.
Qu’est-ce qu’un nantissement de fonds de commerce :
Le nantissement correspond à l’affectation en garantie de bien incorporels et peut porter à ce titre sur un fonds de commerce.
Il ressort plus particulièrement de l’article L.142-2 alinéa 1er du Code de commerce que, certains des éléments du fonds seulement, peuvent être l’objet du nantissement :
- L’enseigne et le nom commercial,
- Le droit au bail,
- La clientèle et l'achalandage,
- Le mobilier commercial, le matériel ou l'outillage servant à l'exploitation du fonds,
- Les brevets d'invention, les licences, les marques, les dessins et modèles industriels, et généralement les droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés.
Il convient de noter qu’à défaut de désignation expresse et précise dans l'acte qui le constitue, le nantissement ne comprend que l'enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l'achalandage.
Le nantissement ne peut en revanche porter :
- Sur les créances éventuelles qui sont liées au fonds,
- Sur les marchandises (un gage des stocks reste possible en revanche)
Deux catégories de nantissement existent :
- Le nantissement conventionnel : ici, le propriétaire du fonds consent le nantissement par contrat au créancier ;
- Le nantissement judiciaire : ici, le créancier demandera en justice l’autorisation de nantir le fonds à titre conservatoire lorsqu’il dispose d’une créance qui paraît fondée en son principe.
Le créancier nanti par décision judiciaire disposera alors des mêmes droits que dans un nantissement conventionnel.
Les effets du nantissement de fonds de commerce pour le créancier nanti sont les suivants :
- Droit de préférence : C’est le droit pour le créancier d’être payé en priorité en cas de cession du fonds de commerce
- Droit de suite : C’est le droit pour le créancier de faire vendre le fonds de son débiteur.
Il s’agit de l’article L.143-5 du Code de commerce : « Le vendeur et le créancier gagistes inscrits sur un fonds de commerce peuvent également, même en vertu de titres sous seing privé, faire ordonner la vente du fonds qui constitue leur gage, huit jours après sommation de payer faite au débiteur et au tiers détenteur, s'il y a lieu, demeurée infructueuse ».
L’article L.643-2 du Code de commerce permet également de le faire lorsque le débiteur est en procédure de liquidation judiciaire :
« Les créanciers titulaires d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque et le Trésor public pour ses créances privilégiées peuvent, dès lors qu'ils ont déclaré leurs créances même s'ils ne sont pas encore admis, exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de trois mois à compter du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire ».
Les rapports entre nantissement de fonds de commerce et engagement de caution :
Le prêteur de deniers, lorsqu’il consent un crédit à une entreprise, requiert souvent un engagement de caution de son dirigeant, et peut, en outre, se faire consentir un nantissement conventionnel sur le fonds de commerce de cette entreprise.
Il disposera ainsi de deux garanties : le cautionnement, et le nantissement.
Deux débiteurs seront alors présents : l’emprunteur qui est le débiteur principal, et le débiteur caution.
Par application de l’article 2306 du Code civil, la caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur principal, notamment dans ses privilèges.
Afin de protéger le recours subrogatoire de la caution, l’article 2314 du Code civil dispose par ailleurs que « la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ».
Le créancier qui fait ainsi perdre au débiteur caution le bénéfice de son recours subrogatoire peut perdre le bénéfice de son contrat de cautionnement, ce qui a pour effet de libérer la caution de son engagement.
En application de ces articles, d’aucun ont soutenu que, le créancier commet une faute lorsque, outre l’engagement de la caution, il bénéficie d’un nantissement sur le fonds pour lequel il n’a pas fait usage de son droit de faire ordonner la vente.
Le débiteur caution reprochant alors au créancier le dépérissement du fonds nanti en raison de sa carence dans l’actionnement de sa garantie, et de son inaction à l’encontre du débiteur principal.
La position de la jurisprudence rappelée à l’occasion de l’arrêt du 8 mars 2017 (Pourvoi n°15-14632) :
La position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation concernant ces questions est relativement stable.
Il en ressort que :
- Par principe, le seul fait pour le créancier bénéficiaire du nantissement d'un fonds de commerce de ne pas faire ordonner la vente ne constitue pas en soi une faute au sens de l'article 2314 du code civil ;
- Pour prospérer dans ses demandes, il incombera à la caution de démontrer la perte, par le fait exclusif du créancier, du droit dans lequel elle pouvait être subrogée,
- Cette perte peut notamment résulter du dépérissement du fonds nanti ;
- Conformément au droit commun, le débiteur caution devra en outre rapporter la preuve du préjudice subi, ce qui nécessite de démontrer que la faute du créancier nanti a été à l’origine d’une perte effective du recours subrogatoire de la caution.
Dans le cas d’espèce, qui a donné lieu à l’arrêt du 8 mars 2017, une banque avait consenti à une entreprise plusieurs prêts garantis par des engagements de caution.
La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l'article 2314 du code civil, en reprochant au créancier de n'avoir pas fait procéder, dès la défaillance du débiteur principal, à la vente du fonds de commerce de la société qui était nanti à son profit.
En l’occurrence, le débiteur caution soutenait :
- Qu’est fautif le fait, pour le créancier bénéficiaire d'un cautionnement, de tarder à procéder à la réalisation d'un nantissement de fonds de commerce qui aurait permis de rembourser la dette garantie ;
- Que le non exercice, par le créancier bénéficiaire d'un cautionnement, de la faculté de réaliser un nantissement de fonds de commerce, est constitutif d'une faute s'il avait permis au créancier d'être désintéressé ;
- Que la perte de valeur du bien donné en nantissement constitue la perte d'un droit préférentiel
- Que commet une faute le créancier bénéficiaire d'un nantissement qui s'abstient d'exercer son droit de poursuite individuelle dans l'intérêt de la caution.
Dans cette affaire, la Cour d’appel, dont la position a été confirmée par la Cour de cassation, a rejeté l’argumentation du débiteur caution estimant que « les débats n'ont pas permis d'expliquer la perte de valeur du fonds de commerce (…) entre, d'une part, l'acquisition de la société (…) et d'autre part, la liquidation judiciaire de la société (…) ayant ainsi fait ressortir que la perte du nantissement n'était pas imputable exclusivement au fait du créancier, ni fautive, et n'avait causé aucun préjudice à la caution ».
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