Dans un arrêt du 15 octobre 2025 publié au Bulletin, la Cour de cassation a eu l'occasion de statuer sur le pourvoi relatif au critère de l'anormalité du préjudice de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique (Civ. 1, 15 octobre 2025, pourvoi n° 24-14.186). 

Selon les dispositions de ce texte, lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé ou d'un établissement de santé n'est pas engagée, l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition notamment qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état.

Ce critère légal de l'anormalité du préjudice a fait l'objet d'une jurisprudence des deux ordres de juridiction selon laquelle il est rempli dans deux cas.

1) lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

2) la survenance du dommage doit présenter une probabilité faible dans les conditions où l'acte a été accompli.

En l'espèce, lors d'une intervention chirurgicale, la victime a subi une lésion de la trachée à la suite de quoi elle a conservé des séquelles digestives et respiratoires.

Il s'agit d'un préjudice suivant une intervention chirurgical mais le principe s'applique naturellement à d'autres préjudices tels qu'un accident d'anesthésie ou de réanimation ainsi qu'un préjudice consécutif à une manoeuvre obstétricale pratiquée lors de l'accouchement et la naissance.

Or, la cour d'appel avait considéré que les deux cas doivent être présents ensemble pour que le critère de l'anormalité du préjudice soit rempli.

A vrai dire, la jurisprudence antérieure devait éviter cette conclusion d'un cumul des deux cas.

En effet, la Cour de cassation a toujours pris soin de préciser le contraire.

Par exemple, dans une affaire concernant un accident d'accouchement à la suite d'une manoeuvre du gynécologue-obstétricien pratiquée en raison d'une souffrance fœtale, la Haute juridiction a décidé (Civ. 1, 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20.883) :

Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique que, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I de ce texte, ou celle d'un producteur de produits n'est pas engagée, l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

Ainsi la Cour de cassation précise nettement que le second cas relatif à la probabilité faible n'est examiné que lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement.

En effet, dans cette affaire d'une erreur médicale subie lors de l'accouchement, la condition de l'anormalité du préjudice était exclue car l'acte médical n'a pas entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Il en était ainsi puisque le risque encouru par l'enfant en l'absence d'intervention obstétricale est la survenue de troubles anoxo-ischémiques (asphyxie péri-natale) et de décès. Donc, la priorité du gynécologue-obstétricien consiste à procéder dans les meilleurs délais à la naissance de l'enfant. Ce risque vital est à comparer au risque moins grave d'un traumatisme issu de la réalisation des manoeuvres obstétricales (ou d'un forceps ou une césarienne). Certes ledit traumatisme est sérieux, mais il est notablement moins grave que le possible décès de l'enfant ou encore la survenance d'une encéphalopathie par asphyxie conduisant à une infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale).

C'est pourquoi, dans son arrêt du 15 octobre 2025, la Cour de cassation sanctionne, pour violation du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique, la cour d'appel qui a décidé que la paralysie récurentielle gauche et la hernie diaphragmatique subies par la victime caractérisent des conséquences plus graves que celles dont elle aurait souffert en l'absence d'intervention mais que leur probabilité n'est pas suffisamment faible pour justifier une prise en charge par la solidarité nationale.

La cour d'appel a appliqué en même temps le premier critère et le second critère sur la probabilité de survenue du dommage. 

Cette solution de la Cour de cassation est conforme à la lecture de sa jurisprudence antérieure déjà citée dans le cadre d'un accident d'accouchement (Civ. 1, 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20.883).

Elle est aussi une solution fort logique car l'application des deux critères de manière cumulative aura pour effet d'écarter la quasi-totalité des victimes d'une réparation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Il résulte de cet arrêt de la Cour de cassation que, pour déterminer si le critère légal de l'anormalité du préjudice est rempli, il faut d'abord analyser si l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

C'est uniquement lorsque ce critère n'est pas rempli qu'il faut ensuite déterminer si dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

Dimitri PHILOPOULOS

Avocat à la Cour de Paris et Docteur en Médecine

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