Le jugement du conseil de prud’hommes de Saint Germain en Laye est définitif car les parties n’ont pas interjeté appel.

Dans ce jugement du conseil de prud’hommes de Saint Germain en Laye du 8 avril 2024 (RG 23/00015), ce dernier condamne la société Cargill Corporate France à payer au responsable financier la somme de 136 000 euros d’heures supplémentaires suite à l’invalidation de son forfait jours.

La salariée est déboutée de sa demande de rappel d'indemnité de congé de reclassement

2.2) Sur la demande d'invalidation de la convention forfait jours et la demande d'heures supplémentaires

2.2.1/ Sur la validité de la convention forfait jours

En droit,

L'article L. 3121-39 du code du travail dispose que la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou à défaut par une convention ou un accord de branche.

Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptible de conclure une convention individuelle de forfait ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.

L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours vise à préciser les conditions d'exécution et de contrôle, il doit déterminer les clauses en matière de suivi de la charge de travail les modalités d'exercice du droit à la déconnexion

L'article L 3121- 65 précise les modalités du suivi individuel. Il prévoit un entretien annuel portant sur la charge de travail du salarié, l'équilibre vie professionnelle, vie personnelle et son articulation, ainsi que sur la rémunération.

Lorsque l'employeur ne respecte pas les dispositions de l'accord collectif permettant de contrôler la charge de travail et dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au forfait, la convention de forfait jours est privée d'effet et le salarié peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires. A défaut la convention de forfait jours est nulle.

Le recours au forfait annuel jours est prévu par la convention collective de la Chimie. La validité de ce forfait a été contestée ultérieurement et la cour de cassation dans son arrêt du 31 janvier 2012 a jugé que l'accord cadre du 8 février 1999 ne remplissait pas les conditions requises par les textes, toute convention conclue en application de l'accord est nulle.

L'accord d'entreprise de la société Cargill date du 11 mars 2021.

En l'espèce,

Madame X bénéficiait d'un forfait de 216 jours travaillés par an tel que mentionné dans son contrat de travail signé en 2016, donc soumis à l'accord de 1999 désormais invalidé.

Elle considère que les conditions de validité de son forfait sont invalides pour plusieurs raisons: Toute convention de forfait jours conclue en application de l'accord de branche de 1999 est nulle. De plus sa convention forfait jours était invalide car l'entreprise ne pouvait ignorer ses dépassements horaires seule à ce poste, la société n'a jamais pris la mesure de sa charge de travail Enfin l'entreprise n'avait pas mis en place d'accord d'entreprise apportant des garanties suffisantes pour assurer la protection de la sécurité et la santé des salariés.

Sa convention forfait jours se trouvant annulée, elle demande le paiement d'heures supplémentaires pour la période du 30 avril 2018 au 12 juillet 2020 soit avant l'entrée en vigueur du nouvel accord d'entreprise.

Elle prétend à l'application des règles du droit commun de décompte et de rémunération de ses heures de travail et formule une demande d'heures supplémentaires développée plus bas.

La société s'étonne de la remise en cause d'un forfait jours dont Madame X en tant que cadre autonome bénéficiait et dont elle semblait satisfaite n'ayant jamais fait de remarques ou demandes.

La société s'étonne de la contestation du forfait jours au cours d'un litige sur un calcul de prime dans le cadre d'un licenciement économique.

Jamais Madame X n'avait fait état de difficultés dans l'application du forfait jours durant l'exécution de son contrat de travail, ni évoqué de dépassement du temps de travail habituel.

Le contrat de travail de Madame X mentionne " compte tenu de l'autonomie dans l'exécution et la planification de vos missions, vous êtes informée de l'existence d'une procédure spécifique vous invitant à saisir votre manager de toute difficulté dans la réalisation de vos missions dans le respect des durées maximales de travail et des repos y afférents à charge pour l'entreprise de prendre les mesures qui s'imposeront le cas échéant ".

Madame X occupait un poste important dans la structure et était totalement autonome dans son organisation.

Jamais elle n'a fait état d'une quelconque insatisfaction, ni demandé que sa charge de travail soit évaluée comme le prévoyait son contrat de travail.

Madame X a, chaque année, bénéficié des jours de réduction du temps de travail en exécution de la convention forfait jours.

La société est surprise de découvrir avec ce contentieux sur un calcul de prime, une demande de nullité du forfait jours. La société considère qu'il s'agit d'une demande par opportunisme qui doit être rejetée.

L'annulation de la convention de forfait annuel jours ne conduit pas nécessairement à la réalisation d'heures supplémentaires.

A titre reconventionnel, la société demande à ce que si la convention de forfait jours était reconnue comme inopposable à Madame X, cette dernière soit condamnée à rembourser à la société Cargill les jours de réduction de travail accordés en application de la convention sur ses trois dernières années soit la somme de 9 068,65 €.

En conséquence,

Attendu que le contrat de travail prévoit un forfait jours de 216 jours par an,

Attendu que la société n'a pas apporté la preuve des modalités de suivi de la charge de travail mises en place,

Attendu que même si Madame X n'avait jamais évoqué avant l'instance de dépassement du temps de travail il appartenait à l'entreprise de s'assurer du suivi de la charge de travail de Madame X chaque année,

Attendu que la convention de forfait jours de Madame X se trouve privée d'effet du fait de l'absence d'un suivi régulier de la charge de travail,

Attendu que Madame X a bénéficié de jours de réduction du temps de travail en application d'un forfait contesté,

Attendu que ces jours doivent être remboursés,

Le Conseil reconnait la nullité du forfait jours,

Le Conseil fait droit à la demande d'invalidation du forfait jours formulée par Madame X,

Le Conseil fait droit à la demande reconventionnelle de la société,

Le Conseil dit qu'il y a lieu à remboursement des jours de réduction de travail qui étaient de facto inapplicables,

Le Conseil condamne Madame X au remboursement des jours de repos octroyés soit

9 068,65 €.

2.2.2/ Sur la demande d'heures supplémentaires

En droit,

Les heures supplémentaires doivent être effectuées à la demande et pour le compte de l'employeur. Le salarié doit fournir des éléments probants de nature à étayer sa demande.

L'article L 3171-4 du code du travail précise qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction.

En l'espèce,

Madame X a formulé des demandes de paiements d'heures supplémentaires à l'appui de sa contestation du forfait jours.

La nullité d'un forfait jours impose que les relevés de temps de travail puissent permettre de visualiser les éventuelles heures supplémentaires en découlant.

Madame X produit des tableaux de relevés d'heures, précisant les heures d'entrées et de sorties, les temps de déjeuner, ils correspondent à sa présence dans les bureaux car son poste n'impose pas de déplacements extérieurs. Ses documents sont précis. Elle réclame le paiement de 79 235 € et 7 923,50 € au titre des congés payés.

Pour la société, Madame X n'a jamais fait d'heures supplémentaires. Madame X travaillait normalement. La société ne lui a ni demandé d'effectuer des heures supplémentaires ni donné son accord pour réaliser ces prétendues heures supplémentaires.

Elle rejette le bien fondé et la valeur probante des documents établis unilatéralement par la salariée. Pour elle ces éléments sont insuffisants pour démontrer le nombre d'heures supplémentaires réclamées soit 79 235 €. Surtout, au cours des années de collaboration jamais ce sujet n'a été abordé, c'est par opportunisme que cette demande apparait dans un litige sur une prime. Madame X collaborait de façon satisfaisante et n'avait jamais exprimé la moindre insatisfaction sur son temps de travail.

Elle n'a jamais évoqué la réalisation d'éventuelles heures supplémentaires dont elle aurait pu demander le paiement, aucun mail tardif ou autres preuves n'a été apporté, ses demandes doivent être rejetées. Rien ne vient corroborer ses affirmations, ni ne prouve que ces tableaux ont été établis au jour le jour. La société juge infondée la demande de paiement de 79 235 € d'heures supplémentaires.

En conséquence,

Attendu que Madame X a été précise dans les documents apportés à l'appui de sa demande de reconnaissance d'heures supplémentaires,

Attendu que la société s'est contentée de contester les documents établis sans apporter la preuve des suivis du temps de travail qu'elle aurait pu mettre en place,

Attendu que la société n'a apporté aucun élément à l'appui de sa position de rejet des heures supplémentaires demandées,

Attendu qu'aucun élément n'a été apporté pour contester les montants réclamés,

Attendu qu'il appartient au juge de forger sa conviction au vu des éléments fournis par les parties,

Le Conseil reconnait l'existence d'heures supplémentaires et la nullité du forfait jours,

Le Conseil condamne la société au paiement de 79 235 € à titre de rappel d'heures supplémentaires et 7 923,50 € au titre des congés payés afférents.

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Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

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