« Rassurez, rassurez, il en restera toujours quelque chose » pourrait-on dire. En matière de VTC, si la loi Thévenoud a rassuré l’usager friand d’alternatives concurrentielles, c’est aussi au prix du voile jeté sur le sort des acteurs du secteur. Cachez cette ubérisation que je ne saurais voir…
Une activité indépendante et règlementée…
Rejeton turbulent du libéralisme, l’activité de VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur) est venue concurrencer celle de taxi, permettant à tout un chacun de s’ériger en professionnel du transport de voyageurs et à l’usager de réaliser, sur l’autel de la flexibilité, de substantielles économies. Il était donc urgent pour le législateur de venir rassurer l’électeur-consommateur en encadrant une activité qui tendait à sortir des clous sous l’efficace lobbying des futurs protagonistes des « uber-files », dont les destins auront connu, depuis, des fortunes diverses.
C’est désormais chose faite avec l’intervention, au prix de concessions dont on mesure aujourd’hui la consistance, de la loi n°2014-1104 du 1er octobre 2014 dite Thévenoud, du nom du ministre fiscalophobe. C’est qu’il fallait, en même temps, calmer l’ire des taxis, révoltés par l’intrusion d’opportuns flibustiers à l’abordage de leur coûteuse licence, et assurer le consommateur, toujours prompt à hisser le Jolly Roger de son pouvoir d’achat, qu’il n’y perdrait pas au change.
L’activité de VTC n’est, de ce point, de vue, pas la jungle qu’on pouvait craindre et l’exercer ne s’improvise presque pas.
Le principal critère de différenciation réside dans l’interdiction de la maraude, terme pourtant assez peu engageant, qui contraint les VTC à n’intervenir que sur réservation préalable, même précédant la course de quelques instants, sans possibilité, pour eux, d’arpenter le trottoir à l’affut du chaland, et plus particulièrement dans les gares et aéroports, chasse gardée des taxis.
Le code des transports, en ses articles L. 3120-2 et suivants, prévoit ainsi nombre de dispositions interdisant, par exemple, à ces nouveaux entrepreneurs du macadam d’être disponibles par géolocalisation, pour ne pas générer d’effet d’opportunité trop concurrentiel. La distinction est donc rhétorique, on en convient, et les plateformes de mise en relation, entremetteurs digitaux, permettent, toutefois, de rapprocher avec diligence le service de l’usager. Clairement dites, les choses peuvent ainsi se résumer : l’activité commence et finit au siège social de l’exploitant. Celui-ci doit, d’ailleurs, qu’il gère un ou plusieurs véhicules, justifier d’une inscription au registre spécialement dédié à cet effet, qu’il convient de renouveler tous les 5 ans, comme la formation continue dont devra justifier tout chauffeur de VTC pour assurer à l’usager un service lui garantissant confort et transparence tarifaire.
Car il importait tout de même au consommateur d’être certain de ne pas mettre sa vie entre les mains de n’importe quel Fangio dominical ou d’un opportun Charon. Le chauffeur de VTC doit, ainsi, outre la possession d’un immaculé bulletin n°2 certifiant son honorabilité, justifier d’une solide formation continue de quelques heures tous les 5 ans pour obtenir la carte professionnelle délivrée par la Préfecture et indispensable à l’exercice de l’activité. Ce sésame, dont le retrait peut aussi être ordonné par l’autorité administrative, et qui doit être présenté à toute réquisition des forces de l’ordre, ainsi, d’ailleurs, que la fameuse réservation préalable (sous format papier ou numérique), peut être délivrée à tout titulaire d’un permis de conduire depuis 3 ans et justifiant d’une expérience d’un an en qualité de conducteur professionnel de transport de personnes dans les dix années précédant la demande.
Réussir l’examen théorique et pratique visé à l’article R. 3120-7 assure, enfin, au postillon postulant de lancer son carrosse à l’assaut du marché du transport de personnes désormais concurrentiel, sans trop craindre les sanctions pouvant aller, tout de même, jusqu’à l’amende de 5ème classe…
On comprend qu’encadrer n’est pas nécessairement contraindre et que les garde-fous ainsi édictés demeurent d’une suffisante souplesse pour, tout à la fois, ménager les susceptibilités des taxis et soulager la conscience des usagers favorisant-malgré eux ?- ce qui est aujourd’hui devenu le nouveau mal à la mode : l’ubérisation.
…mais des chauffeurs dépendants de la plateforme de mise en relation.
Car, au-delà de la nécessaire règlementation à accoler à un monopole qui s’ouvre, c’est bien le sort de ces nouveaux travailleurs de la route qui demeure le cœur des enjeux. Et il faut bien admettre qu’à ce jeu-là, les perdants sont souvent ceux qui sont au volant, silencieux (ou pas…) cochers de nos fins de soirée ou de nos trains imminents, à la vie désormais suspendue à la cloche notifiant leur prochaine course. Et c’est bien cela que le consommateur ne veut pas voir, trop heureux de pouvoir bénéficier à moindre coût d’une bouteille d’eau fraiche avec sa course. A sa décharge, les positions successivement prises par la Cour de cassation ont de quoi dérouter… Car la question est bien celle du statut de ces infatigables rouleurs : indépendants ou salariés ?
Rappelons, d’abord, que le code du travail édicte une présomption de non-salariat pour les personnes inscrites sur les registres spécifiques, de sorte que la plupart des chauffeurs VTC devraient, par principe, être traités comme des indépendants insusceptibles de revendiquer le bénéfice du code du travail. La présomption est toutefois réfragable et il peut être établi que les « indépendants » exercent, en fait, dans un lien de subordination caractérisant le contrat de travail. De jurisprudence constante, le contrat de travail, dont la loi rappelle qu’il est établi selon les formes qu’il convient aux parties d’adopter (la belle affaire…), n’existe qu’au travers des conditions dans lesquelles la prestation de travail est exécutée (Cass. Soc. 23/04/97 n°94-40.909 ; Cass. Soc. 29/09/2009 n°08-44.194).
Et c’est bien le lien de subordination qui, plus que tout autre critère, guide le juge dans la détermination du contrat de travail. Ce lien se révèle, selon le juge, par l’exécution d’une prestation de travail sous l’autorité d’un employeur qui peut donner ordres et directives, en contrôler l’exécution et en sanctionner le manquement (Cass. Soc. 15/01/1997 n°94-40.738 ; Cass. Soc. 1/07/2009 n°08-40.513). Caractériser ce lien de subordination, c’est prouver le contrat de travail. C’est ce pari qu’ont tenté, avec des fortunes diverses, certains chauffeurs VTC, lassés d’être les dindons de la farce d’une libéralisation à marche forcée.
Pari réussi le 4 mars 2020, la Cour de cassation estimant que l’inclusion à un service organisé par Uber, l’ajustement du tarif en cas « d’itinéraire inefficace » choisi par le chauffeur et la possibilité de sanctionner trois refus de sollicitations, caractérisaient le contrat de travail (Cass. Soc. 4 mars 2020 n°19-13.316).
Cuisant revers le 13 avril 2022, la Cour prenant la position exactement inverse sur des critères similaires (Cass. Soc. 13/04/2022 n°20-14.870). La Cour d’appel de LYON avait, le 15 janvier 2021, statué également en faveur d’Uber.
Rappelons, pour l’activité analogue de livreurs, les solutions contrastées rendues en faveur de la plateforme DELIVEROO par la Chambre Sociale de la Cour d’appel de PARIS (pas de contrat de travail par principe-CA PARIS ch. 6, 7 avril 2021 n°18/02846) et en sa défaveur par le Tribunal Correctionnel de PARIS (condamnation à l’amende maximale pour travail dissimulé-Tribunal Correctionnel de PARIS 19 avril 2022).
Le consommateur peut avoir la conscience tranquille : le service « discount » auquel il accède en remplacement du désuet taxi est bien encadré et son argent n’est pas galvaudé. Mais il achète sa conscience au sacrifice de celui qui l’allège.
Il faut dire que la Cour de cassation ne facilite pas le sursaut de conscience en adoptant une position fluctuante, finalement peu concernée par les enjeux sociaux de sa jurisprudence qu’elle préfère établir à la pudeur de la rigueur juridique.
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