Dans un jugement du 27 mars 2024, n°23/00201, le juge de l'expropriation de Bobigny a eu l'opportunité d'appliquer en pratique les principes posés par la Cour de cassation dans son avis du 16 novembre 2023 sur le relogement du propriétaire-occupant

le 16 novembre 2023, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation rendait un avis intéressant en réponse à une question posée par le Juge de l'expropriation de Bobigny relative à la portée du relogement du propriétaire-occupant sur le mode de fixation des indemnités d’expropriation. civ.3e 16 nov 2023 n°23-70.011 avis de la Cour de cassation

Dans un jugement du 27 mars 2024, n°23/00201, jugement le juge de l'expropriation de Bobigny a eu l'opportunité d'appliquer en pratique les principes posés par la Cour de cassation dans son avis du 16 novembre 2023 sur l'impact du relogement du propriétaire-occupant exproprié.

Il s'agissait de l'expropriation d'un appartement à usage d'habitation.

le juge reprenant les principes de l'avis de la Cour de cassation a décidé concernant l'abattement pour relogement que :

"— Sur la nature du droit au relogement: L'opération d'expropriation réalise, dans la présente hypothèse d'un propriétaire occupant lui-même son bien, à la fois une dépossession du bien immobilier lui appartenant et une privation de son lieu de résidence.

L'entité expropriante doit aux propriétaires expropriés occupant eux-même leur bien :

— des indemnités en réparation du préjudice de dépossession couvrant l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, en application des dispositions de l'article L.321-1 du code de l'expropriation ;

— en sus, deux propositions de relogement;

En outre, l'offre de relogement n'a pas pour but de permettre la reconstitution d'un patrimoine équivalent, mais d'assurer un lieu de vie à l'exproprié, c'est pourquoi la Cour de Cassation précise que le droit au relogement répare partiellement le préjudice subi du fait de l'expropriation.

Par ailleurs, le fait que les expropriés ne soient pas replacés immédiatement dans la même situation d'occupation antérieure passant du statut de propriétaire à locataire, est sans emport sur la nature de la réparation étant à nouveau rappelé que le relogement du propriétaire-occupant ne répare que partiellement le préjudice subi du fait de l'expropriation. À cet égard, une fois, l'indemnité de dépossession fixée et payée, il sera loisible aux expropriés de repasser du statut de locataire à celui de propriétaire-occupant en acquérant un nouveau bien.

De plus, le fait que l'obligation légale qui pèse sur l'expropriant lui impose d'effectuer deux offres soumises à l'acceptation de l'exproprié, est également sans conséquence sur la nature de la réparation étant rappelé que dans l'hypothèse où finalement l'exproprié n'accepterait aucune des offres de relogement l'abattement pour relogement ne s'appliquera pas.

De même, le fait que le relogement du copropriétaire-occupant ne soit pas semblable à celui d'un locataire évincé est aussi sans emport sur la nature de la réparation puisqu’ainsi que l'indique la Cour de Cassation dans son avis du 16 novembre 2023, "le relogement du propriétaire-occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié et sa situation n'est pas assimilable à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire".

Enfin, il n'est pas incompatible que le droit au relogement constitue une réparation en nature d'une partie du préjudice subi par l'exproprié tout en disposant d'une valeur constitutionnelle.

Ainsi, conformément à l'avis de la Cour de Cassation du 16 novembre 2023, le droit au relogement du copropriétaire-occupant est une réparation en nature d'une partie du préjudice subi du fait de l'expropriation."

— sur le calcul de l'abattement pour relogement

"L'EPFIF, estime que l'abattement pour relogement doit être évalué à 15 % du montant de l'indemnité principale.

Les époux [B] considèrent que cet abattement doit être forfaitairement évalué à la somme de 1000 €.

Il a été précédemment établi que la valeur vénale de l'appartement des époux [B] est évaluée à la somme de 79.240 € tenant compte notamment du très bon état d'entretien du bien.

En premier lieu, calculer l'abattement pour relogement en pourcentage de la valeur vénale du bien exproprié, est contraire à l'avis de la Cour de Cassation du 16 novembre 2023 selon lequel l'occupation de leur bien par les propriétaires expropriés ne constitue pas une moins value sur la valeur vénale du bien, mais la réparation en nature d'une partie du préjudice subi, à savoir non pas la perte patrimoniale, mais la privation du lieu de résidence.

Calculer l'abattement pour relogement en pourcentage de la valeur vénale du bien revient à continuer d'appliquer un abattement pour occupation alors que la Cour de Cassation l'a expressément exclut en expliquant que "(...) le relogement du propriétaire-occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié, dans la mesure où sur le marché libre, le bien occupé par son propriétaire ne subit pas de moins-value en raison de cette occupation, dès lors qu'il sera libéré à l'occasion du transfert de propriété. La situation de ce propriétaire n'est donc pas assimilable à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire.".

En second lieu, calculer l'abattement pour relogement en pourcentage de cette valeur vénale, laquelle a notamment été déterminée au regard de l'état d'entretien du bien, serait inéquitable à l'égard des époux[B] sanctionnés de s'être comportés en propriétaires diligents tandis que des propriétaires négligents se verraient appliquer un abattement dont le montant serait moindre.

Ainsi, conformément à l'avis de la Cour de Cassation du 16 novembre 2023, il y a lieu de déterminer l'abattement pour relogement en prenant comme base de calcul non la valeur vénale du bien, mais l'avantage procuré à l'exproprié, c'est-à-dire le fait d'être déchargé de l'aléa de la recherche d'un nouveau domicile et la possibilité de jouir d'un bien décent, aux normes, adapté à ses besoins personnels et familiaux ainsi qu'à ses moyens financiers et géographiquement à proximité de ses centres d'intérêt.

À cet égard, il y a lieu de souligner que l'avantage procuré à l'exproprié est d'autant plus important que sa famille est nombreuse et composée d'un ou plusieurs membres présentant des besoins particuliers, les logements de grandes surfaces à loyer modéré et adaptés aux personnes à mobilité réduite étant les plus difficiles à obtenir.

En l’occurrence, ni l'EPFIF, ni les époux [B] n'ont fait parvenir d'élément quant à la composition de leur famille et à leurs besoins de manière générale relativement à leur logement, de sorte qu'il y a lieu de considérer qu'un relogement dans un appartement de taille et de situation équivalente à celui dont ils sont privés est de nature à répondre à leurs besoins.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'avantage procuré aux époux [B] en cas d'acceptation d'une offre de relogement par l'EPFIF, peut être évalué à la somme de 2000 € soit l'équivalent de deux mois de loyer pour un appartement similaire à celui dont ils sont privés, étant précisé qu'il est généralement sollicité deux mois de loyers à titre de dépôt de garantie.

Aux termes de son avis du 16 novembre 2023, la Cour de Cassation a également expressément exclut que l'abattement pour relogement constitue une créance de l'exproprié sur l'expropriant, ce qui fait obstacle à tout mécanisme de compensation.

En conséquence, l'indemnité principale de dépossession est évaluée :

— dans l'hypothèse où les époux [B] renonceraient à leur droit au relogement, à la somme de 79.240 en valeur libre;

— dans l'hypothèse où les époux [B] accepteraient l'une des offres de relogement de l'expropriant, à la somme de 77.240 € (79.240 € - 2000 €) en valeur libre."

ce jugement éclaire le justiciable propriétaire-occupant sur le mode de calcul de son indemnisation par le juge de l'expropriation et son impact économique réel sur l'indemnité à lui revenir en fonction de son choix, acceptation ou renonciation au relogement.

Comme d'habitude, le conseil d'un avocat titulaire du certificat de spécialisation en "droit de l'expropriation"  accordé par le Conseil national des barreaux permettra au propriétaire exproprié de bien préparer sa défense et d'évaluer au mieux les indemnités dont il pourra bénéficier dans le cadre d'une procédure d'expropriation.

N'hésitez pas à prendre contact avec Me Olivier PERSONNAZ titulaire de ce certificat de spécialisation.