L’associé d’une société peut-il librement concurrencer la société à laquelle il appartient ? Peut-il en réalité créer une société concurrente ?

 

L’affectio societatis qui gouverne le contrat de société implique-t-il une obligation de non-concurrence ?

 

Pour l’apporteur en industrie, cette obligation de non-concurrence est automatique, ce qui paraît logique, ce dernier apportant ses compétences et connaissances à la personne morale.

 

En revanche, qu’en est-il concernant l’apporteur en capital ?

 

Il faut tout d’abord bien évidemment étudier les statuts et le cas échéant le pacte d’actionnaires s’il en existe un.

 

S’il n’existe pas de clause relative à une obligation de non-concurrence, alors s’applique le principe de la libre concurrence de l’associé ou de l’actionnaire.

 

  1. Principe de libre concurrence

     

    L’associé non dirigeant est libre de développer une activité concurrente à celle de sa première société.

     

    Un arrêt de la Cour de cassation relatif à un conflit entre les associés d’une SARL (Com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049, Sté DL Finances c/ Albiac) tranche la question :

     

     « sauf stipulation contraire, l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyaux ».

     

    Pour la SAS, a été rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation un arrêt le 19 mars 2013, (n°12-14.407) : les faits étaient les suivants :

     

    Un actionnaire majoritaire d’une société A avait cédé une partie de sa participation dans la société mais en restant minoritaire.

     

    Il créée avec deux autres personnes une société concurrente de la première, la société B: à savoir en l’espèce une société qui avait pour activité la collecte et traitement de déchets.

     

    Cette société remporte un appel d’offres évinçant la première qui détenait précédemment le marché renouvelé.

     

    La Cour de cassation pose pour la SAS le principe qu’elle avait déjà dégagé pour la SARL :« sauf stipulation contraire, l’associé d’une SAS n’est pas en cette qualité, tenu de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyale. »

     

    Cependant la Jurisprudence est par nature évolutive et différents auteurs se posent la question de savoir si celle n’évoluera pas dans un sens plus restrictif pour les associés/actionnaires concurrents.

     

  2. Sous réserve d’absence de concurrence déloyale

     

    La constitution d'une société parfaitement régulière au regard du droit des sociétés peut néanmoins être génératrice de responsabilité conformément au droit commun, lorsqu'elle se fait au mépris d'une obligation de non-concurrence pesant expressément sur l'un des fondateurs ou encore lorsqu'elle s'effectue au moyen d'actes de concurrence déloyale.

     

    Bien évidemment, l’associé doit s’abstenir de concurrence déloyale, mais que cela recouvre-t-il ?

     

    La jurisprudence actuelle fait résider l’acte de concurrence déloyale dans l’idée plus générale de rupture de l’égalité dans les moyens de la concurrence.

     

    Une telle concurrence déloyale peut être constituée par différents types de comportements :

     

  1. La désorganisation de l’entreprise

     

    La concurrence déloyale peut être constituée par une désorganisation de l’entreprise telle que:

     

    • le débauchage de salariés :

  • lorsqu’un opérateur initie lui-même un contact avec un salarié, incite ce dernier à rompre le lien contractuel qui le lie à son employeur, recrute ce salarié et par là-même provoque un effet de désorganisation pour l’employeur primitif.
  • Ou lorsque, dans le cadre d’un recrutement, un opérateur favorise en connaissance de cause la violation des obligations contractées par un salarié à l’égard de son employeur et devient par là même « tiers complice ».

     

    •la désorganisation de l’activité commerciale de l’entreprise :

  • Le détournement de commandes ou de flux d’affaires après avoir incité le client à rompre avec le concurrent ;
  • Le détournement de fichiers-clients, qui est souvent le fait d’anciens salariés

     

    •la révélation de secrets d’affaires,

    •l’action consistant à faire échec à la diffusion normale d’une publicité conçue par un autre opérateur.

     

  1. Le dénigrement :

     

    Le dénigrement consiste à dissuader un client de s’orienter vers un concurrent.

     

    Le dénigrement a été défini par la jurisprudence comme le fait de : « jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié.

     

    IL se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier.

     

    Cette définition limite la qualification de dénigrement aux propos ou écrits publics et dont le contenu vise à jeter le discrédit sur des produits ou services. Il doit viser une personne donnée ou aisément identifiable.

     

    Enfin, il importe peu que l'information dont la divulgation est de nature à jeter le discrédit sur un concurrent soit exacte" » (CA Paris, 10 mai 2017, no 14/13330 ; CA Paris, 7 juin 2017, n° 14/17158 ;: CA Paris, 30 mai 2018, n° 17/01693).

     

  2. L’imitation ou la confusion

     

    L'un des cas les plus fréquents de concurrence déloyale consiste à utiliser la réputation d'un concurrent en créant une confusion avec ce dernier, afin d'en capter la clientèle.

     

    Il s’agira le plus souvent, d’une imitation. Cette imitation vise à créer une confusion entre deux entreprises concurrentes, ou entre les marchandises ou les services qu'elles produisent ou distribuent, parfois les deux.

     

    E principe est qu’« en l’absence de tout droit privatif, le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent n’est pas fautif » (Cass. com., 9 juin 2004), sauf si les circonstances particulières qui ont accompagné cette commercialisation sont de nature à caractériser une faute.

     

    Ce sera le cas dès lors que l’imitation génère un risque de confusion, ce qui nécessite une certaine originalité du produit objet de l’imitation, ex : imitation d’un signe distinctif (slogan, nom de domaine, insigne) ;imitation d’un produit et des modalités de présentation du produit.

     

     

     

     

  3. Le parasitisme :

     

    En France, le concept de parasitisme a été introduit par la doctrine

     

    Yves Saint-Gal l’a défini comme le fait de « vivre en parasite dans le sillage d’un autre en profitant des efforts qu’il a réalisés et de la réputation de son nom et de ses produits » (V. Y. SAINT-GAL, Concurrence parasitaire en agissements parasitaires, RIPIA 1956. 37).

     

    Philippe Letourneau quant à lui définit le parasitisme comme suit : « Quiconque, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire sensiblement ou copie sans nécessité absolue une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un effort intellectuel et d'investissements, commet un agissement parasitaire fautif »".(Le parasitisme dans tous ses états (D. 1993, p. 310))

     

    L’acte doit causer une rupture d’égalité dans les moyens de la concurrence par appropriation du travail d’autrui. Le parasitisme est souvent retenu par les juges en conjonction avec d’autres fautes sanctionnées au titre de la concurrence déloyale (risque de confusion principalement).

     

    Exemples : reproduction des caractéristiques essentielles d’un article de prestige, utilisation d’un homonyme pour tirer profit de la notoriété qui y est attachée, reprise de slogans publicitaires, imitation des installations de l’entreprise…

     

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Il en ressort que la protection de la société doit passer par une clause de non-concurrence stipulée dans les statuts ou un pacte d’actionnaires.